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La mort, la disparition, l’absence, la solitude, la souffrance, la peur, la vieillesse, tout événement, tout bouleversement au sens large, extérieur ou intérieur, lent ou brutal, spectaculaire ou imperceptible, visible ou non, dicible ou indicible : voilà les thèmes centraux du film de Miyazaki. Centraux mais pas principaux. Car le thème principal de ce film c’est la vie.
La mort fait partie de la vie, mais la vie ne fait pas partie de la mort. Encore que, chez Miyazaki peut-être que si.
Car le film de Miyazaki à travers ses personnages d’abord, ses décors, sa structure, sa temporalité, ses espaces redonne du mouvement, du souffle. Le réalisateur rend hommage à son art, au pouvoir de son imagination, à la force de son dessin, à la puissance de l’animation.
Parce qu’imaginer, animer, c’est résister, c’est combattre : c’est vivre.
Qu’on me donne un crayon !
Tout change d’apparence, tout se transforme, tout bouge, tout tremble.
Mahito, jeune garçon orphelin de mère, est en perpétuel mouvement : il monte des escaliers, il les descend, il longe des couloirs, il court, il fuit, il se faufile, il ouvre des fenêtres, des portes, il les referme, il chute, il se lève, il découpe, il fabrique, il navigue, il traverse et retraverse. Ses gestes, ses actions font le lien entre les espaces, les temps, les êtres. Mahito est le lien, la ligne, le trait, allégorie du mouvement comme le suggère aussi sa flèche, et incarnation du crayon, du dessin, d’une animation mise au service de l’imagination et des métamorphoses qu’elle permet : du solide au liquide, de la douceur à la dureté, du lourd au léger, de la terre à l’eau, du feu à l’air, de la destruction à la création, de la mort à la vie, de la vieillesse à la jeunesse, du rejet à l’acceptation, de la détestation à l’affection, de la guerre à la paix, de la mère à la belle-mère.
Et le film se clôt sur une porte que l’on va refermer, un départ encore, un mouvement toujours, et l’on sait que si le film se termine, la vie, elle, continue.
]]>Guerres d’ocre mûri dans l’ombre de la mort,
Géométrie des yeux toujours recomposée,
Silhouette d’une âme en forme de condor ;
De Staël, plaque de lait multicolore et tendre
Où le port et le roc confondent leurs conflits,
Baume éternel des jours déchirant à cœur fendre
L’étalement rêvé des corps et de leurs plis ;
Renoir, pollen sucré aux baisers suspendu
Dont la pourpre douceur épouse fleurs et blés,
Chemin d’une campagne émouvante et perdue
Où un parfum d’enfance inspire nos années ;
Vermeer, clair univers contenu dans un vase,
Matin d’une semaine apaisée d’un sizain
Mystérieusement déroulé d’une phrase,
Vaisseau prêt à partir vers de plus bleus embruns ;
Modigliani, princesse enluminée de noir,
Sillons creusés, grands sphinx, rideaux d’intimité,
Capitale aux longs doigts étirés jusqu’au soir,
Quand au sortir du bain sèche la nudité ;
Dali, crâne amusé, molécule du rêve,
Jésus plastifié par les fruits du sommeil,
Microscopique amour dans le cœur de la fève,
Déménagement lent du sable et du soleil ;
Miro, océan rouge, étoiles éloquentes,
Galaxies étalées sur du papier sali,
Mirages enfiévrés nés aux soirées bacchantes,
Gamineries sculptées sur un vieil établi ;
Manet, cristal d’alcool glacé comme un flocon
Tombé d’un ciel artiste, errance dans la ville
Qui danse et qui festoie, et regarde au balcon
L’amour désenchanté abaisser ses longs cils ;
Soulages, chose éclair, profondeur de l’érable
Déployant son feuillage à l’horizon du temps,
Météorologie des orages faisables
Zébrant le monde obscur de grands éclats changeants ; (à suivre)
]]>de Hegel si
on coupe
ce qui
dépasse on y
couche l’histoire
– si on étire leur étriqué
on y allonge les religions (les religieux)
certes
mais l’art mais
le langage (mais
c’est pareil : même
problème)
n’y tiennent pas
plus
que
ça
]]>L’appel est repoussé jusqu’à fin août !
]]>Il s’installe face au micro, le baisse pour le mettre devant sa bouche qu’il vient de débâillonner.
Puis il l’ouvre :
« Mesdames et Messieurs,
si on m’a demandé en urgence il y a quelques minutes de reporter mon petit dodo de l’après-midi, et par conséquent, et plus gravement, de me mettre à mes devoirs plus tard, avec le risque non seulement d’avoir moins de temps pour préparer la composition de rhétorique qui est prévue en classe demain matin au lycée du Grand Siècle, mais aussi d’être contraint d’annuler pour cette semaine mon cours de tennis du mercredi 17 heures, c’est que, – et vous le savez bien, loin de moi, loin de nous la volonté de vous prendre pour des débiles – et on m’a bien dit d’insister là-dessus – – , l’heure est grave.
Franchement, on ne contrôle plus rien.
Néanmoins, et pour autant, mes chers concitoyens mes chères concitoyennes – pardon : mes chères concitoyennes mes chers concitoyens –, on m’a bien dit de vous dire qu’il n’y a pas de lieu pour paniquer. Vraiment.
Et là-dessus, on va se la jouer en toute clarté, ainsi que toujours. Comme l’a souligné hier avant de le refaire demain Monsieur le Premier Minustre – … Ministre ! –, Jo Castoixe, les analyses de l’Observatoire de l’Agence du Grand Conseil Alchimique du Comité de Salut Hygiénique sont formelles : la baisse de l’augmentation augmente. Autrement dit, la diminution de l’augmentation de la baisse est repartie à la hausse (comme en quarante, en vérité je vous le dis), ce qui fait que, forcément, et d’après les remontées (dont nous disposons) des chutes de diminution de la hausse, l’augmentation de la baisse est en baisse d’augmentation. Si vous êtes vifs, vous pourrez le constater sur le gribouillis de courbes arc-en-ciel qui va apparaître trois secondes à l’écran. Et… voilà, c’est bon.
Alors évidemment, qu’est-ce que ça veut dire ? ça veut dire, vous l’aurez bien compris, mesdames mesdemoiselles messieurs mes enfants mes minorités visibles diversement variées et les autres, ça veut dire que bien qu’il faille se garder de tout optimisme excessif qui serait malvenu, on peut se permettre de ne pas tomber dans un pessimisme noir, enfin pardon : sombre (métaphoriquement évidemment), pessimisme non lumineux qui ne ferait pas les affaires de notre incroyable lien social assurant la cohésion nationale de notre bon vieux vivrensemble qui nous est si cher, comme le prouvent notamment toutes ces aides sociales qu’on est bien obligé de balancer, sans arrière-pensée aucune de notre part gouvernementale ni nous départir de notre sourire sincère, sur toute cette grosse masse de pauvres qui, même s’ils freinent lourdement et durablement, avec leur pouvoir d’achat qui franchement fait pitié, la décroissance de la baisse de la croissance vers un Produit Intérieur Brutal citius altius fortius comme on l’aime, comme on « quiffe », même, diraient nos chers jeunes de France, ces pauvres, donc, dis-je, qui nous soucient beaucoup parce qu’ils sont fragiles, oui voilà c’est le mot.
Il y a eu des erreurs, c’est vrai. Nous serions bien sots, et puis on vous déplairait, si nous étions incapables de reconnaître les erreurs. Les nôtres, mais aussi celles des autres. Mais qui n’en fait pas. Hein ?! Soyons sérieux, et puis c’est ce que les Français, c’est ce que VOUS, attendez, de NOUS : du sérieux. Donc il y a eu des erreurs, c’est vrai, mais, tenez-vous bien, c’est justement une chance, pour vous, pour nous, pour la Nation, car c’est en faisant des erreurs qu’on apprend. Quand on tombe, eh bien après on peut se relever. Et ce-qui-nous-tue-pas-nous-rend-plus-forts, comme l’a dit, si justement, un de nos amis allemands. Donc de ces erreurs, qui sont une chance, nous savons tirer les leçons, pour mieux remettre ça. Quelles sont les leçons à tirer ? Eh bien c’est très clair :
D’autre part, si, droit dans mes bottes, la conscience tranquille, et les fesses ultraserrées, je m’adresse à vous aujourd’hui, c’est aussi pour, et là-dessus le Président de la République a été très ferme et très clair et plein d’intransigeance tout en restant tendre et bienveillant comme on l’aime quand, afin d’être bien certain que j’allais vous rapporter fidèlement le fond de sa pensée il m’a appelé tout à l’heure, puisqu’il a mon numéro de portable et que j’ai le sien, c’est pour vous présenter le plus tranquillement et sereinement possible la stratégie mûrement réfléchie par toute cette équipe brillante, dont je suis, et que VOUS avez élue, avec une massivité relative, stratégie visant à nous sortir de là la tête haute et les pieds pas devant.
Cette stratégie, dans notre logiciel pragmatique, va se décliner autour de trois axes forts :
Premièrement, nous avons, et ce sur la base évidemment des avis éclairés de tout un tas de grosses têtes du monde médicalo-scientifique, nous avons divisé l’âge en tranches, obtenant ainsi des tranches d’âge, en un certain nombre. A partir de là, et chaque tranche d’âge une fois finement délimitée, nous allons les tartiner de vaccins. Et ça, vous tous qui m’écoutez au moment où je vous parle, vous savez bien que c’est la SEULE SOLUTION POUR S’EN SORTIR, et retrouver cette mondialisation normale qui nous manque tant, et où la France a un rôle si important à jouer, c’est son histoire, c’est son destin, c’est ce qui nous cimente.
Deuxièmement, et en attendant que tout le monde soit sagement allé se faire piquer par un professionnel ou voire le premier venu, et ça va prendre du temps, car même si on n’est pas des Chinois on est quand même nombreux vous le savez bien, et notamment les fragiles, qui sont, sinon trop, du moins très, nombreux, et donc à l’impossible nul n’est retenu, en attendant, on va distribuer, en veux-tu en voilà, et en réquisitionnant des canadairs s’il le faut, le Président a été très clair là-dessus, des tototests. Donc, attendez-vous prochainement à voir débarquer de tous les coins des tototests : tototests dans les usines, tototests dans les entreprises, tototests dans les écoles, tototests par la porte et si besoin tototests par les fenêtres. C’est vraiment le bon geste de la semaine, je n’insisterai jamais assez là-dessus cette semaine : tototestez-vous, tototestons-nous, sans tabou. Mais là, je le sais, nous le savons, certains d’entre vous s’inquiètent, et c’est bien normal : comment se tototester, comment me tototesté-je ? Est-ce difficile ? Est-ce douloureux ? Se poser des questions, c’est bien naturel. Alors comme on a prévu ce questionnement bien naturel, on a prévu des tutoriels, des tutos, hein, qui vont déferler sur vos appareils connectés d’ici le mois prochain, notamment via l’application, dont le succès grandissant est phénoménal, touscontrelacovidcaronvapascrevercommeçaetaprèstoutonenavudautrescestquandmemepas14-18 (téléchargeable, vous le savez désormais, sur sauvequipeut@gouv-ardetpecuchet.fr). D’un clic (si je puis dire, car caresser un écran ça ne fait plus de bruit, hé hé, c’est moderne) sur votre appli, vous aurez donc prochainement la possibilité de consulter le tuto à tototest. D’ailleurs Monsieur le Ministre de la Bonne Santé a prévu de faire une démonstration après-demain devant les caméras, et vous savez comme Monsieur Verabien est à l’aise devant les caméras, il les adore et elles le lui rendent bien.
Quatrièmement, et pour finir, pour toutes celles et ceux d’entre vous qui auraient l’impression, bien légitime, de décarocher sévère en cette période de crise, et il n’y a aucune honte à cela, moi-même pour tout vous dire de dimanche à lundi j’ai très mal dormi, et dieu sait pourtant que je suis d’une vitalité folle, presque autant que Monsieur le Président, eh bien je rappelle, mais ça c’est pas nouveau et ça a fait ses preuves, que le gouvernement a mis en place depuis dix-sept mois un numéro vert pomme, qui vous permet, trois jours sur sept et deux heures trente sur vingt-quatre, de dire quelque chose à quelqu’un. Ce numéro, c’est le 0800 0900 23024 24 500 6000 3.14 – je crois qu’il s’affiche normalement en bas à droite de votre écran, c’est-à-dire à ma gauche, je le précise car on sait bien que parmi vous y’en a un paquet qui sont pas des flèches, ceci dit en toute tranquillité de ma part, et avec ma meilleure conviction forte.
Voilà. J’en ai terminé pour ce bilan, qui me, qui nous, tenait à cœur, et qui doit nous permettre de tracer au milieu de ce grand merdier un chemin d’espoir sur lequel marcher proactivement, même si c’est parfois à reculons ou un peu en crabe, et je me tiens à votre disposition pour les traditionnelles questions d’usage habituel. »
Avec une discrétion d’une habileté telle que tous les esprits s’en trouvent frappés, Gaspard Attend recule, et s’efface derrière un rideau aux couleurs de l’Europe. A présent, la scène est vide.
]]>voici le jo
li toi de mai
met
tons les voiles
dans les pétales
du blanc pommier
gonflé de beauté
le vent des an
nées couche douce
ment l’herbe
vie de prairies
et pousse
l’idée cerise
du petit pleur
eur dans la
clair
ière de ton rire aujourd’hui
*
Velours de louve
veloutée :
proche du velouté
velours de ma louve
je me
lu
panar
ise haut
de gamme car à
Rome on fait comme
les mains dans l’ar
ôme : cor
nu
copia de tes rond
eurs de tes rom
ans décor
setés
*
La liste des cadeaux risque d’être infinie
parce que de ta vie murmure d’un cours d’eau
le songe inaccompli ; et il est juste aussi
que j’aime à te combler parce que c’est ainsi
ainsi que va ma vie depuis qu’on s’enlaça
une nuit de janvier ─ libérée des fardeaux
des fâcheux des remords des fais-donc-ça-comm’-ça
─ quand la neige possible imprima tous nos pas
veux-tu des fleurs ? des fruits ? un arbre imprévisible ?
une lampe à frotter ? des contes invisibles ?
des bottines ailées à dépasser les modes ?
veux-tu des robes de parfums inaccessibles ?
un livre où chaque phrase informerait une ode ?
un geste de ta main me montrera la cible
]]>
s’est posé un oiseau
pour restaurer le temps,
et bronzer son plumage souriant.
Je me suis approché de lui,
je l’ai regardé
avec des yeux sépulcraux,
je me suis fait renégat de la foi aviaire.
Qu’il s’inquiète ou pas
de l’abandon de ses parents,
et de la guerre des lys blancs
quand la rancune envieillir les jeunes fronts.
Je l’ai capté au milieu de la verdure,
et dans les catacombes,
je l’ai ligoté au mur,
j’ai souri comme un mafieux,
ses regards m’ont lancé des brûlures,
et ses cris ont tenté de transgresser mon âme dure.
D’éruption, j’ai arraché ses griffes,
cassé son bec,
et avec mon riflard,
j’ai fauché ses ailes,
je les ai tâtonnées avec famine,
puis, je les ai déposées sur mon dos.
Reniant la terre,
muni de liberté,
l’oiseau s’est évanoui
quand j’ai palpité des ailes,
moi, le nouveau propriétaire de l’insaisissable lumière.
GASSARA Mohamed
]]>L’Association Prix Bernard Vargaftig doit son nom au poète ayant tissé une des œuvres les plus fortes de ces dernières décennies et qui a toujours eu à cœur d’« offrir des pages à de jeunes poètes qui ont tellement de mal à publier et si peu de lieu pour le faire ».
Le Prix Bernard Vargaftig a pour objectif de faire découvrir la poésie d’un auteur n’ayant pas été publié en tant que poète (hors revue et ouvrage collectif). Il est décerné tous les deux ans et donne lieu à la publication du manuscrit lauréat. Il se veut donc à la fois un hommage à un poète cher à beaucoup d’entre nous et un lieu de découverte d’une jeune écriture, pour que le poème « continue à faire exploser vers l’avenir la charge de mémoire et de présent », selon les mots de B. Vargaftig lui- même.
Le premier prix Bernard Vargaftig a été décerné en décembre 2017 à Amandine Monin pour son texte Racine Carougne qui a été publié en septembre 2018 aux Éditions Jacques Brémond. En décembre 2019, le prix fut attribué à Cécile Pineau Chantelot pour son recueil Domestique, publié également aux Éditions Jacques Brémond en 2020.
Appel à texte 2021 du Prix Bernard Vargaftig
Conditions pour concourir
Un manuscrit, formant un ensemble poétique cohérent, sera présenté en version papier et numérique, en format A4 et police 12. Il regroupera 30 à 40 pages numérotées et reliées.
Il devra, de plus, être anonyme.
Ce manuscrit devra être envoyé avant le 20 juin 2021.
- – La version papier sera envoyé par la poste en trois exemplaires, accompagné d’une feuille volante mentionnant le nom, l’adresse, le numéro de téléphone et le mail de l’auteur ainsi qu’un chèque de 10€ libellé à Association Prix B. Vargaftig, à l’adresse suivante : Association Prix Bernard Vargaftig, BP 31014 – 30201 Bagnols-sur-Cèze cedex.
- – et la version numérique en version pdf au courriel suivant : prixvargaftig1@gmail.com
- Tout envoi hors délai ou ne respectant pas l’une des consignes ne sera pas pris en compte. Aucun manuscrit ne sera retourné.
Les membres du jury final, en cours de constitution, regrouperont poètes, éditeur et libraire. Le jury, suite à la délibération, n’est pas tenu de justifier ses choix.
La participation vaut acceptation des conditions énoncées ci-dessus. - Pour tout renseignement complémentaire, vous pouvez également nous joindre à l’adresse suivante : prixvargaftig1@gmail.com
- Il est possible de simplement adhérer en joignant un chèque de 15€, à : Association Prix Bernard Vargaftig, BP 31014 – 30201 Bagnols-sur-Cèze cedex.
Penser le continu dans et par la recherche
Masquer/montrer le conflit entre les catégories de langue et les catégories de l’expérience du dire ? Un exemple avec la notion de point de voix dans l’œuvre de Christian Dotremont

- Commencer par Mallarmé
Stéphane Mallarmé le 12 octobre 1894 dans une lettre à Charles-Louis Philippe : « Le conseil que je vous donnerais s’il ne fallait, quand on cherche, se garer de tout avis, c’est que vous poussiez en tous les sens votre étude actuelle du vers, elle vous mène en bonne voie, quant à ce qui est d’une langue poétique où ne reste de prose apparente seulement, le chant secret, lequel doit remplacer la phrase, se marquera mieux ou se dégagera, dans l’avenir. » (Correspondance 1854-1898, éd. Bertrand Marchal, Paris, Gallimard, 2019, p. 1274 – nous avons souligné). Voir https://uip.hypotheses.org/70.
Mallarmé ne veut certainement pas supprimer la phrase mais remplacer une conception par une autre car de la phrase nous n’avons que des représentations ! Et ici il préfère, quant à sa recherche avec d’autres, « le chant secret » à la conception certainement dominante de la phrase comme garante du sens par la syntaxe en regard du vers soumis à la métrique, dans la conception parnassienne dualiste. On pourrait certainement avancer que la notion de « chant secret » n’est pas sans évoquer celle d’un Cicéron que Mallarmé devait connaître : « Or même quand on discourt, il y a une sorte de chant assez obscur » (Quidam cantus obscurior) – je renvoie à la belle étude de Muriel Claisse-Rinck dans les mélanges offerts à Gérard Dessons, L’Utopie de l’art (Garnier classiques, 2020). L’objectif de notre recherche consiste à remplacer les conceptions courantes et naturalisées de la phrase par ce que nous font les œuvres, ce qu’elles nous obligent à repenser, à reconfigurer, à rejouer, pour entretenir notre sens du langage, de la relation, par l’écoute du poème, de sa voix, de son “chant secret” ou “obscur”. Enjeu poétique, politique et éthique d’une orientation épistémologique des catégories de la langue vers celles de l’expérience du dire : les premières orientées vers les secondes, portées par elles et donc nos représentations s’en trouvant à proprement parler refaites.
2. Le continu est un problème
Le continu est un problème, son exigence une activité critique. Un problème permanent par le « chant secret » en ce qu’il engage une critique au travail dès qu’enseignement, recherche : problème du conflit entre l’herméneutique et la poétique, entre l’interprétation et la réénonciation, c’est-à-dire du conflit entre le pouvoir que peut donner le savoir et le passage qu’il implique d’un savoir déshistoricisé à un savoir situé. C’est pourquoi l’enjeu du continu c’est l’enjeu des passages ou des frontières hermétiques et donc des réénonciations, des paroles possibles ou rendues impossibles, et en fin de compte, c’est l’enjeu des recherches et des œuvres continuées ou arrêtées…
Il n’y a pas à choisir, il y a à œuvrer, à montrer le conflit, pour que la critique ne laisse pas se durcir les habitudes des séparations établies, les illusions scientistes du discontinu l’emporter avec souvent les bonnes intentions de la didactique. On se contente pour aujourd’hui d’une notion, celle de phrase qui n’est pas que linguistique ni textuelle mais qui est au centre de la pensée du langage comme activité de trans-subjectivation. Comment l’orienter non vers une modélisation mais vers l’expérience du dire ? Comment situer la phrase, ses représentations, dans et par une critique qu’oblige à faire le chant secret, le chant obscur des œuvres, de telle œuvre, pour garder toute l’attention aux expériences du dire trop souvent rendues inaudibles par sa modélisation ou sa réduction aux dimensions et autres catégories du discontinu quand ce n’est pas par sa sortie du langage. Ce serait le sens de l’orientation de la phrase vers le phrasé ; une orientation qui tient l’utopie de la poétique comme activité critique.
D’aucuns, comme Pierre Vinclair dans une série récente publiée dans la revue en ligne Catastrophe, y voient une manifestation de l’être même s’ils n’enfourchent pas les grands chevaux de l’aléthéia voire de l’épokhè ! S’il y a métaphore avec le phrasé, c’est un pousse-à-écouter par la démétaphorisation qu’engage toute réénonciation au plus près de la voix qui travaille la phrase, du sujet qui y passe. Il s’agit en effet par le travail de critique, et donc de démétaphorisation, qu’est la poétique, d’écouter le « continu de la signifiance » que fait le phrasé à la phrase, la voix au texte, bref son oralité comme maximum de corps-langage, de voix-relation comme « force dans le langage », cette « force du continu » (Henri Meschonnic, « La force dans le langage » publié dans Dessons, Chiss, La Force du langage, Champion, 2000).
3. Le phrasé de Dotremont
Je me contente de lire le départ d’un texte de Christian Dotremont (1922-1979) en essayant de penser ce départ comme un commencement de l’œuvre entier, de son chant secret et obscur jusqu’aux fameux logogrammes auxquels on l’assigne avec ce qu’ils peuvent signifier comme perte vocale dans une perspective esthétique et sémiotique chez de nombreux commentateurs, alors que les logogrammes, ces manuscrits continués, seraient le continu d’un même chant secret et obscur, son recommencement par des points de voix dans les historicités propres du poète qui a fondé Cobra (1948-1951), ce mouvement pictural éphémère qui a considérablement modifié les itinéraires des peintres s’en étant réclamés.
Voici donc la première page, premier moment d’un ensemble qui en compte dix, de la plaquette publiée à Louvain en 1940 réédité par Maeght éditeur en 1962 avec des burins de Raoul Ubac, et récemment par les éditions Unes (Ancienne éternité et autres textes, 2021) :
Quand vous l’avez vue ? – eh ! bien ? – son allure ? – elle mangeait quelque chose et je n’ai jamais su si c’était de l’herbe – ou moi. – pourquoi ? vous habitiez l’herbe en ce temps-là – non. Mais après l’avoir vue, j’ai disparu. – vous souvenez-vous d’être mort ? – un peu, mais je ne suis pas encore venu à la terre, – sauf ces jours-là et cette fille-là. – et alors ? comment voulez-vous vivre ? – en me disant que je ne sais pas mourir. – comment était-elle ? – petite comme le monde, exactement en arrière des choses, – comme quelqu’un qui va bondir. – elle a bondi ? – non. la joie fut fortement cachés – et sortait de mon côté, bien qu’elle n’était pas en moi, – au contraire. – elle était tigre, elle était après la vie, la mort. – elle était rien. elle n’était pas tout ? – c’est la même chose.
L’absence de majuscules après les points et, donc, l’indication que ces derniers ne sont pas des arrêts qui permettraient d’isoler deux énoncés signalent que l’énonciation l’emporte sur le découpage des énoncés. D’autant que l’écriture dialogique qui devrait demander des alinéas n’est pas à proprement parler organisée par les tirets, lesquels participent d’un rythme qui emporte le passage de voix dans un continu qui fait comme disparaître toute identité stable d’énonciateur, multipliant les incises, les reprises, les relances. Bref, ce morceau qui réénonce une rencontre à la vie à la mort est un morceau d’oralité au sens où tout y fait un maximum de corps-sujet dans et par le langage : la volubilité, cette vitesse des questions réponses, des renversements logiques, y est conjointe avec une retenue, des ralentissements prosodiques, une critique acerbe de toutes les ontologies et autres métaphysiques dont celles du langage et du poème. On peut se contenter des points de voix que constituent le verbe « bondir » et l’animal « tigre » qui permettent de prolonger une apparition-disparition non sur la dualité absence-présence mais sur le renversement, l’égalisation, du rien et du tout. Points de voix qui construisent une sémantique de la vie, de l’amour dans et par le poème comme élans multipliés de la phrase hors d’elle-même.
4. Dotremont ou l’aventure de sa phrase
Aussi, il me semble qu’il y aurait à approfondir le continu de l’œuvre de Dotremont que d’aucuns dissocie en opposant ces premiers textes aux logogrammes. J’ai observé dans la revue Europe (https://ver.hypotheses.org/3232) combien tout était avec Dotremont de l’ordre d’un continu de l’aventure-langage-sujet-corps-poème par la voix-relation, en particulier avec le logogramme de 1972 dont le texte est le suivant : « Écoute les éclaboussures d’encre de ma voix, les éclats de rire de mon écriture à se tordre ». D’une part, leur illisibilité est toute relative quand, d’autre part, ils continuent exactement, comme ce texte de 1939-40, l’activité d’une « ancienne éternité », d’une vocalité qui porte sa cosmogonie comme un corps infini, une relation inouïe ainsi que le neuvième moment le dit :
Avez-vous été heureux ? – oui. – jusqu’à ma peine qui frétillait de joie. – mon bonheur tonnait en moi. – en ce temps-là, la violence était douce, – les étoiles plus étoiles, – le soir plus soir, – moi moins moi. – le soleil avait une belle figure – (je ne l’avais jamais vue). – j’étais comme un enfant qui marche un pied dans la rue, – un pied sur le trottoir – mais j’ai dû seulement marcher sur la rue de la peine – qui est vide, – je déclare : rien n’est si lourd que le néant. – j’ai connu ce que je ne connais pas. – je ne connais plus – que les dents lentes du temps – qui mangent les herbes – disponibles.
5. Le continu du poème-Dotremont
Oui, le poème qui met toutes ses phrases dans sa voix ouvre à cette inconnaissance : c’est tout le risque du continu avec ses points de voix, mais c’est aussi tout son bonheur quand on arrive à l’écouter, à écouter ce que fait l’écriture, c’est-à-dire la voix emportant ses phrases dans son phrasé, même logogrammatique à son lecteur. Voyez cet envol, cette oralité qui lourde d’encre s’élève dans et par son phrasé même, son maximum de corps, du soleil aux silences, du jour à la nuit. Par quoi, l’expérience du dire que le poème fait est l’invention de ses propres catégories : et d’abord de celle du continu, de sa recherche insatiable, inimaginable, intempestive ainsi que Christian Dotremont l’a montré depuis Ancienne éternité jusqu’à ses logogrammes. Aussi, n’y a-t-il pas à séparer les lectures, les écritures, les expériences qu’elles relèvent de l’art ou de la recherche, de l’enseignement ou de la vie. Leur continu et donc leur écoute hors du discontinu des habitudes savantes ou pas en font une politique et éthique de l’écoute des voix-relations, de l’aventure de la phrase dans et par ses points de voix.

Texte en bas à gauche au crayon papier : « J’ai eu des mots avec le soleil et des silences avec la nuit ». Date : 1968. Encre de Chine sur papier, 55×73 cm.
]]>Séance de séminaire virtuel sur zoom organisée
par Serge Martin et Olivier Mouginot
Phrase, phrasé ? Penser le continu discursif en littérature et dans les arts
Vendredi 26 février 2021 (09.00-13.00)
Participer à la réunion Zoom
https://zoom.us/j/3356308748?pwd=T3lsemhLc1dzcU9KSG1oRFpUOC9IZz09
ID de réunion : 335 630 8748
Code secret : 5jPQ8X
Stéphane Mallarmé le 12 octobre 1894 dans une lettre à Charles-Louis Philippe : « Le conseil que je vous donnerais s’il ne fallait, quand on cherche, se garer de tout avis, c’est que vous poussiez en tous les sens votre étude actuelle du vers, elle vous mène en bonne voie, quant à ce qui est d’une langue poétique où ne reste de prose apparente seulement, le chant secret, lequel doit remplacer la phrase, se marquera mieux ou se dégagera, dans l’avenir. » (Correspondance 1854-1898, éd. Bertrand Marchal, Paris, Gallimard, 2019, p. 1274 – nous avons souligné). Voir https://uip.hypotheses.org/70.
Programme
Ce séminaire se situe dans la suite du séminaire de doctorant.e.s que SM anime depuis 2013 à la Sorbonne nouvelle ; il permet aux doctorants d’échanger sur leur recherche tout en se confrontant à d’autres chercheurs autour de notions et/ou œuvres qui engagent la critique. Le séminaire a toujours été ouvert à toutes et tous. Les répondants sont tous doctorant.e.s (ou ex-) sous la direction de SM.
Chaque intervention dure 15 mn et le répondant lance et anime le débat qui s’en suit.
09.00 Accueil autour d’un cafécran : comment ça va ? comment ça ? comment ?
09.15 Serge Martin (DILTEC et THALIM, Univ. Sorbonne nouvelle) : Ouverture : Penser le continu dans et par la recherche
Masquer/montrer le conflit entre les catégories de langue et les catégories de l’expérience du dire ? Un exemple avec la notion de point de voix dans l’œuvre de Christian Dotremont
Répondant : Rafael Costa Mendes
09.45 Richard Guedj (CERLIS, Paris-Descartes) : Transcrire (mise en texte et en écriture) des récits de vie parlés ? Quel phrasé pour quelle oralité ?
Répondant : Frédérique Cosnier
10.15 Olivier Mouginot (CRIT, Univ. de Franche-Comté) : Avec des étudiants en sciences du langage, penser, chercher, continuer, remplacer la « phrase » ? Un dialogue entre enseignement et recherche.
Répondant : Valérie Ducrot
10.45 Laurent Mourey (Configurations littéraires, Univ. de Strasbourg) : La phrase, la note, le phrasé dans le carnet duTombeau d’Anatole de Mallarmé.
Répondant : Pascal Lefranc
11.15 Marina Krylyschin (DILTEC, Univ. Sorbonne nouvelle) : Siouffi, Le Goffic, Chiss : la phrase, le phrasé ?
Répondant : Melissa Melodias
11.45 Rafael Costa Mendes (THALIM, Univ. Sorbonne nouvelle) : La poésie concrète brésilienne et Mallarmé : le vers, la phrase, le phrasé ?
Répondant : Shungo Morita
12.15 Pascal Lefranc (THALIM, Univ. Sorbonne nouvelle) : « Relire, écouter, écouter, relire par la grammaire de l’oreille. Les mots ne s’achèvent pas vraiment, chaque phrase se prolonge à l’ombre de ce qu’elle vient d’énoncer. » (Michel Chaillou)
Répondant : Charlotte Guennoc
12.45 Conclusion par Olivier Mouginot : Après cette séance…
]]>le paon s’est pendu
dans un jour muselé
pour laisser son plumage coloré
voler sur les cous luxueux et dégorgés.
La corde était pitoyable…
elle a laissé passer
un flot d’extase amère
avant d’étreindre sa gorge duveteuse.
Par nostalgie volante, il s’est souvenu de ses étés chypriotes,
de sa fidèle serveuse
qui lui raconte des histoires zoologiques.
Des blés italiens,
qui remplissent son petit ventre bourgeois.
De l’invitation au Palais royal
pour assister au congrès des paons.
Des chandelles qui illuminent
sa table à dîner.
De ses spectacles,
de ses admirateurs,
de ses costumes,
il a séquestré ses larmes,…
il a voulu garder ses somptueux lupins sur la tête
jusqu’à sa dernière minute.
Un hymne asiatique s’élève,
puis un cheveu élégant tombe,
plein d’enthousiasme
lorsque sont arrivés les petits poussins
béqueter ses yeux bleus
sous le regard boueux des vautours de terre.
]]>sur ma poitrine osseuse
après y avoir aspergé
l’insecticide des rêves.
La nuit, elle m’adore,
le jour, elle me quitte
comme une abeille trompeuse
vers les figuiers bestiaux.
Les sloughis dorment
sur la lune savanienne
quand Elle s’infiltre
au cimetière des oiseaux
pour faire des cris,
et des chants
à la gloire des becs cassés.
J’ouvre les yeux,
elle s’assied sur mes cils
pour boire un verre de regards
suspendus sur le mûrier stérile
dans un jour apatride.
]]>ébréchée par les pas de l’Étranger,
j’ai enlevé les mycoses,
et les joyeuses blessures
pieusement encastrées dans la mémoire planétaire.
Le ciel souffre de l’obésité,
il n’est plus l’acrobate de ses jours,
il ne peut plus étreindre la lune de l’humour.
J’y ai enfoncé mon scalpel
pour vider le ventre divin
de ses horribles secrets
sans raccrocher l’entaille baignée de sang.
De loin, m’appellent les arbres parjures
qui ont lancé l’exode des pauvres fourmis.
J’y ai injecté de la chlorophylle
pour que la verdure engendre la tolérance éternelle.
Même la mer des poètes a changé de couleur,
la nageoire des sirènes s’est noircie d’opprobre,
et les roches n’ont qu’à lever les bras au Ciel.
Par malheur, j’ai évoqué le poète des guérisons
pour panser les inflammations aquatiques.
Hélas ! Comme le monde a besoin de secours
avant que le temps lui tire les pieds !
Là, je vois deux hommes se quereller,
j’accours pour arracher leurs cœurs,
et les mettre entre mes genoux,
je les frotte avec un abrasif sans pitié,
puis les replace
pour voir la paix ruisseler des yeux sauvages.
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En redevant sauvages et féroces, dessin, 2016
« Nul homme n’est une île, un tout en soi ; chaque homme est partie du continent, partie du large ; si cette parcelle de terre est emportée par les flots, pour l’Europe, c’est une perte égale à celle d’un promontoire, autant qu’à celle d’un manoir de tes amis ou du tien. La mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. » Devotions upon Emergent occasions, John Donne 1624
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