| CARVIEW |
1. Présentation de la case de santé. https://www.casedesante.org/ et du “projet de recherche innovante”. Dans cette section, on découvre en quoi la Case de Santé représente une “anomalie” dans l’environnement social et sanitaire en France. On revient sur son approche en termes de santé globale, sur l”objectif principal d’agir contre les inégalités sociales de santé, sur une double inscription “territoriale” et “extraterritoriale” et les compétences particulières acquises par l’équipe au long de ces années (ex: accès aux droits pour les étrangers). Dans cette section on revient aussi sur l’historique du projet de recherche, sur les “Dispositifs innovants de l’accompagnement des personnes à l’autonomie en santé”, en 2016, avec le CRESCO (https://cresco.univ-tlse3.fr/), sur la médiation en premier recours.
2. le projet de recherche. On revient ici sur le projet de thèse de Laurence dans le cadre de ce “grand projet” de recherche. Elle revient sur son intégration dans l’équipe de recherche et sur la construction de son objet. Mais… elle parle aussi de certaines conditions personnelles et affinitaires pour effectuer cette recherche. Ceci permet de revenir sur les inscriptions et désinscriptions dans des milieux militants divers et sur les effets de celles-ci sur la posture de recherche et, de manière plus générale, sur le désenchantement, la culpabilité, l’objectivité, sur les exigences éthiques et politiques. On revient aussi sur les expériences de la Case de Santé dans leurs relations avec les chercheur.es d’horizons divers et la particularité de la recherche interventionnelle actuelle, notamment sur la convergence entre militant.es et chercheur.es autour de l’objet “inégalités sociales de santé”, sur la commande de recherche et la construction de la question de recherche.
3. le rapport entre les chercheur.es et l’équipe de la case de santé. Ici les invité.es reviennent sur les logiques différentes et semblables entre chercheur.es et militant.es; sur les objectifs des un.es et des autres, sur les conflits et les temporalités différentes. On revient de manière plus pratique sur l’accès au terrain, les (non) stratégies et la (non) construction de la place de chercheur.e dans un milieu particulier. Mais aussi sur les limites qui se posent à la chercheuse et celles qu’elle se pose elle-même. On revient aussi sur “l’intrusion” , la “confiance”, l'”extériorité”, la “légitimité” du/de la chercheur.e en milieu “délicat” et comment cela se négocie entre militant.es et chercheur.es. Iels reviennent à la fin sur une expérience de “restitution” (de la chercheure aux professionnel.les) qui ne c’est pas très bien passée et en quoi cette expérience sert à la réflexion.
4. La question de la diffusion et de à quoi servent les résultats de la recherche. Ici les invités reviennent sur les logiques différentes des chercheur.es et militant.es dans la “diffusion” des résultats. Sur les différentes perceptions de “ce qui est intéressant” à diffuser. Et surtout, on s’attaque à la “grande question”: qu’est-ce que cela apporte (ou pas) aux un.es et aux autres, de travailler ensemble…
Échanges avec les personnes présentes:
1. Quelques questions d’ordre méthodologique, notamment on revient sur la place de la chercheuse et les questions de “participation” / “observation”. On revient encore sur les zones de conflictualité entre les catégories et les langages des chercheur.es et militant.es.
2. Les pouvoirs publics et les usager.es, des absences très présentes. Une question qui vient titiller, mais pas tant que ça, les intervenant.es, sur les implications de “répondre aux demandes des pouvoirs publics”, les injonctions des politiques et les pièges de travailler sur les définitions données par elles, sur le remaniement de ces définitions, et sur les points “sourds” entre militant.es-chercheur.es et politiques publiques … et ensuite sur la question de ce que tout ça apporte aux personnes (patient.es, usager.es)?
3. Sur la case de santé et ses implications. Sur les liens de la Case de Santé avec d’autres structures au niveau national et local.
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Comment on s’y implique, ce que cela implique pour les personnes prises dans la relation d’enquête et ce que le savoir, les connaissances qui s’y fabriquent, peuvent avoir comme implications.
Nous invitons quatre personnes aux parcours complétement différents, dans des moments différents de leur vie et de leur carrière, dans des situations différentes, situées différemment.
Après une heure d’exposition de l’invité·e sous la forme d’un dialogue, nous ouvrirons la discussion avec la salle pour une heure encore.
Laurence Boulaghaf et Fabien Maguin, une recherche dans un centre de santé communautaire à Toulouse, La case de santé, vendredi 25 janvier 14h-17h salle F 423
Rodolfo Deroux, les apports à la recherche du tournant latino-américain des années 70. Théologie de la libération et histoire populaire, vendredi 29 mars 9h-12h, salle F 423
Fabien Lemozy, un précaire de l’université qui mène une recherche sur la précarité des coursiers à vélo, vendredi 12 avril 9h-12h, salle F 423
Horia Kebabza, l’intersectionnalité comme ressource, vendredi 24 mai 9h-12h, salle F 423

Nous proposons ici un parcours sensible dans notre université, celle où nous travaillons, enseignons, faisons de la recherche et, à l’occasion, luttons. Une promenade commentée entre des murs que nous aimons, qui mêlent constats, rêveries et analyses. Cette « lecture des murs » naît et prend sens dans l’expérience que nous avons de cet endroit et de ce qui s’y passe.
Un titre en forme de jeux de mot après le mouvement du printemps 2018 contre la sélection à l’entrée de l’université. Nous avons cherché à faire parler les murs, à regarder et à saisir ce qui se jouait là, pas seulement ce qui y était écrit, mais ce que l’on pouvait dire d’un processus profondément politique d’inscription. Inscription dans le sens de prendre place dans, trouver sa place ; inscription comme de multiples actes d’expression et de subjectivation qui s’effectuent dans un espace public qu’ils contribuent à construire. Ce sont des préoccupations, des conflits, des sensibilités qui se montrent sur les murs et traduisent des pratiques concrètes. Cette phrase, « t’effaces, je repasse », peut nous servir d’aphorisme (sans préjuger de l’intention de la personne qui l’a écrite) car dans cette rime bien sentie se mettent en scène un dialogue et une lutte de places : « tu m’effaces, je viens réécrire », et ce inlassablement, inexorablement, sans relâche. Un conflit qui s’exprime en permanence et prend ici un sens physique puisque la personne ne se laisse pas effacer, elle revient, opposant à l’acte d’effacement la présence concrète de la personne qui « repasse ».

Revendiquer l’expression
Cette lutte permanente entre effacement, délégitimation des formes sauvages d’inscription et, d’autre part, écriture et légitimation, s’exprime parfois telle quelle, mettant des mots sur la pratique même de l’inscription. Cette discussion en prolonge d’autres, qui avaient lieu en Assemblée Générale, où s’opposait une vision de l’écriture sur les murs comme une dégradation et en tant que telle perçue comme « défavorable à l’image du mouvement ». D’un autre côté l’écriture sur les murs est revendiquée comme expression, moment et outils du mouvement.

Cette discussion ne peut être séparée du récit médiatique sur les « dégradations »[1]. Ce qui se joue est un partage entre ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas. Il s’agit d’exclure, de réduire à rien une parole et une sensibilité, et par là les personnes qui les portent. Se joue un partage du sensible qui délimite la parole du bruit, la salissure de l’expression. « Ce système d’évidences sensibles qui donne à voir en même temps l’existence d’un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives. Un partage du sensible fixe donc en même temps un commun partagé et des parts exclusives. Cette répartition des parts et des places se fonde sur un partage des espaces, des temps et des formes d’activité qui détermine la manière même dont un commun se prête à participation et dont les uns et les autres ont part à ce partage. »[2]


La Fusion
Les photos réunies ici ont été prises entre février et mars 2017 alors que le projet de fusion des universités toulousaines, incluant Le Mirail (UT2J), Paul Sabatier (UT1), l’INP et l’INSA (école d’ingénieur) est en cours d’élaboration[3]. Il est pris en mains et décrypté par des étudiant.es qui le contestent. Alors qu’il est difficile d’avoir un réel débat sur la question, les murs de l’université et, dans leur prolongement, le métro et internet, relaient la contestation.



Le projet de fusion est contesté à partir d’une position sur le « savoir » qui doit être gratuit, soulevant déjà la question de la sélection. Il y a, si on va plus loin dans les critiques, une vision de l’université qui s’oppose à une autre. On voit aussi que les médiums utilisés sont divers : banderoles, micro-écritures dans les marges, sites internet ou encore autocollants, ainsi que beaucoup d’inscriptions faites à la craie.


Très clairement, il y a une retenue dans l’acte d’écriture sur le mur, les méthodes utilisées privilégient l’éphémère, prennent peu d’espace, comme pour éviter les attaques autours de la forme et ne garder que le fond. Cette période de gestation du conflit disparaitra des mémoires lorsque la grève débutera plus de 6 mois plus tard, suite à la consultation, et de manière plus importante encore lors de son durcissement et des phases de blocage. La fusion serait devenue un problème public tardivement, l’information aurait manquée. Il nous semble plus juste de parler d’une « invisibilisation ». Les coalitions qui portent la fusion font « comme si » il n’y avait pas de contestation, et l’organisation du travail à l’université, comprimant les temps, empêchant les temps collectifs, ne favorise pas le débat sur le sens du travail. Cela conduit les tenants du projet à analyser la contestation non pas comme une critique de celui-ci, fondée sur une vision différente de l’université, mais comme un problème d’incompréhension, voire ne concernant les intérêts particuliers que d’une minorité[4].


Dans cette période du second semestre 2017, le projet s’inscrit en plein dans l’université et pose la question de l’usage de celle-ci, de ses buts, de manière pratique et concrète. Un espace qui doit être attribué à une entreprise de restauration privée est occupé par des étudiant.es qui avaient pour ce lieux un projet de cantine autogérée à bas prix. La banderole « étudiant.es snobé.es, université occupée » semble, quand on la relit aujourd’hui, prémonitoire. La contestation du projet de fusion s’ancre dans une remise en question des options prises par la direction de l’université concernant l’usage des locaux et leur organisation.
Conflit

Le 13/12/2017 la grève est lancée à l’université contre le projet de fusion. L’inscription du conflit va prendre de l’ampleur et aboutir au blocage total de l’université. Il va rejoindre alors le mouvement national contre le durcissement de la sélection à l’université (note : Loi ORE, Parcoursup, etc). Remarquons aussi un autre mode d’expression qui est apparu sporadiquement dans les Assemblées[5]. Des banderoles qui viennent s’intercaler entre les discours, s’invitent sur la retransmission en direct sur internet, parasitant un autre espace de parole. Les deux banderoles ici représentées prennent à partie d’une part le quotidien local, La dépêche, accusé de donner une vision biaisée de l’événement, et d’autre part l’administrateur provisoire qui prend ici la parole pour la première fois dans l’assemblée générale.



C’est l’illustration que ce moment n’est pas celui de l’affirmation d’une unité, d’une identité univoque et monolithique mais plutôt le lieu de conflits et d’énonciations différentes. Les discussions déjà évoquées sur les écritures sur les murs relèvent de ce même dissensus : quelles sont les paroles et les pratiques légitimes ?


L’arche
Sur toute la durée du conflit, l’inscription de la lutte dans les lieux va varier. Blocage partiel, blocage total, occupation d’un bâtiment, puis d’un second. Il faudrait rentrer dans une description plus documentée que celle-ci pour donner une vision complète des événements de cette période. Nous nous arrêterons plus spécifiquement sur un des espaces occupés, l’arche, car il nous semble qu’il symbolise en partie ce conflit. La dimension du bâtiment qui sert de porte principale à l’université en fait un élément majeur de son architecture. L’ampleur des inscriptions réalisées sur celle-ci, la durée d’occupation de plusieurs mois, et la place que celle-ci a pris dans la représentation médiatique de l’occupation en fait un élément central.

Le bâtiment de l’arche est occupé par une partie des personnes s’opposant à la fois à la fusion et la sélection, avec toutefois une volonté de poser des questions plus directement sociétales et politiques, en prise avec l’actualité. L’énorme fresque où sont représentées des personnes masquées, prêtes à assumer un affrontement avec les forces de l’ordre évoquent le conflit alors en cours à Notre Dame des Landes, une locomotive fait le lien avec la lutte des cheminots et un panneau portant la mention « interdit d’interdire » rappelle mai 1968 dont on fête ici et là le cinquantenaire[6]. La mention Université populaire (qui est antérieure à la fresque) marque la volonté d’afficher un projet différent pour l’université et peut laisser croire qu’une réflexion sur à quoi et à qui sert l’Université prend place dans cette occupation. Celle-ci est aussi arrivée comme une proposition de lutte, à la fois but et méthode, dans une perspective critique des Assemblées Générales. « Occuper comme nouvelle forme de lutte ici et maintenant, en dépassant les moyens déjà mis en place, sans attendre les décisions des dirigeant.e.s administratif.ve.s et politiques. Occuper l’université au-delà de ce qu’elle est. (…) C’est aussi leur démontrer que par occupation nous entendons : construire une autre manière de voir et d’habiter l’université. C’est dans cette université qui n’est pas qu’un lieu de passage où nos principales activités seraient sortir du métro, marcher, s’asseoir et étudier et consommer le savoir que nous investissons notre volonté de militer »[7]

D’autres inscriptions relèvent et répondent à une actualité plus directe : « ingouvernable » étant aux dire de certain.es, « le plus beau compliment » de la ministre Dominique Vidal adressé aux étudiant.es en lutte. Prononcé lorsqu’elle démet de leurs fonctions l’ensemble des instances de l’Université de façon tout à fait inédite dans un conflit de cette ampleur. L’inscription « Ni fachos, ni flics » renvoie aux expulsions d’Universités par les forces de l’ordre qui donnent lieu à des tabassages en règles comme à Bordeaux[8] et à l’intrusion de nervis fascistes dont le cas le plus grave a été observé à Montpellier[9]. « Solidarité avec les détenus, la prison tue » fait référence à la mort d’un prisonnier à la maison d’arrêt de Seysse, mort dénoncée comme relevant de l’homicide par les co-détenus et dont l’annonce va déclencher quelques jours d’émeutes dans les quartiers populaires Toulousains. On peut voir, dans ces énonciations, une préoccupation attentive à ce qui se passe à la fois dans le pays et dans le quartier. Est-ce que ce n’est pas, au final, le rôle de l’université ?

Le battage médiatique sur les destructions qui ont eu lieu à l’intérieur du bâtiment occulte et rend impossible une autre discussion qui pourrait tenter de comprendre, d’analyser, de percevoir ce qui s’est passé et ce qui a été questionné. Le processus d’i le renvoie à la salissure, au bruit et in fine à une représentation du sauvage, de celui qui n’est pas d’ici, pas civil, pas écoutable. Une représentation qui exclut toute portée critique de l’occupation. Dans ce partage, entre ce qui peut avoir lieu et place et ce qui doit être exclu, se joue l’essentiel du conflit politique. Un processus de fuite de la politique est à l’œuvre. On préfère la sécurité de la police.
Ici, c’est le Mirail
Il faut rappeler que cette Université a connu, très récemment, un double processus de destruction, dans un délai très court. D’abord renommée du nom de Jean Jaurès puis concrètement détruite et reconstruite, en partie sous la forme d’un partenariat public-privé. Si les locaux devaient être remis en état, la décision de la destruction et du changement de nom relève d’un choix qui n’a jamais été réellement mis en débat. Là encore une réflexion détaillée sur les enjeux de ce processus reste à faire. Ce qui par contre s’inscrit avec force c’est le conflit qui se cristallise autour du nom de l’université : le Mirail ou Jean Jaurès.

Nous pouvons poser l’hypothèse que le conflit qui s’exprime de manière récurrente recouvre aussi des visions de l’université. Les quelques arguments énoncés lors du changement de nom relèvent en grande partie de l’image de l’université. C’est-à-dire que la raison principale tient à la volonté de donner la bataille de la concurrence, en France et à l’étranger, et ce dans un processus de « déterritorialisation » de l’Université. L’idée est alors de lui donner le nom d’une personne, consensuelle, plutôt que celui du quartier où elle se trouve. En effet, la dénomination Mirail renvoyait à un quartier dans une situation difficile : chômage, racisme, mal logement etc. étant le lot commun des habitant.es, il s’agit alors d’attacher cette université à une autre réalité. Par ailleurs, l’Université du Mirail était nationalement connue comme une « fac de gauche », « engagée » et régulièrement en grève, ce qui explique peut-être aussi la volonté de changer de nom. Enfin, on transforme aussi la mémoire d’un lieu en réaménageant l’espace lui-même. La destruction de l’amphi 8, lieu des AG depuis sa création, fut, elle aussi, tout un symbole.
Il semble que, là encore, la discussion sur le rôle et la place de l’université est invisibilisée, renvoyée à une nostalgie passéiste. Pourtant il y a là, sans doute, les germes d’un débat important et, peut-être, incontournable.
Occupation et effacement

Plus de 60 interventions policières ont permis de remettre les Universités en état de marche et en mesure de délivrer des diplômes à la fin de l’année scolaire 2017-2018. Les plaies sont sans doute profondes et pas seulement chez les nombreux blessés, plus ou moins graves, qui ont émaillés ce conflit. Force de l’ordre, sécurité privée et nettoyage ont été le triplé gagnant de cette fin de mouvement. Il est probable que c’est sur les murs que nous verrons émerger à nouveau les débats occultés dans l’opération.
Ce parcours commenté vaut en ce qu’il est une compréhension du politique à partir de ce qui s’inscrit dans l’espace. C’est aussi le résultat d’une prise de position forte : celle de considérer les inscriptions dans l’espace à la fois comme un rendu public et la configuration d’un dialogue. En bref, de considérer que dans l’occupation et l’écriture des lieux, se forme un espace public subalterne. Nous appelons ainsi à reconsidérer ce qui est de l’ordre de la dégradation et de l’expression, ce qui révèle des prises de position politiques et qu’il faut considérer comme telles. Et si l’on peut penser qu’il s’agit d’ une extension du domaine de la libre expression, il faut aussi penser que tout ce qui ramène cette expression à de la salissure, du bruit ou des présences inopportunes, relève alors de la censure, de l’oppression et de la violence.
[1] Le traitement de la protestation contre la sélection à l’université et la loi ORE en général a été celui d’un renvoie à une étrangeté vis-à-vis de l’université. Déqualifications, discours pointant la présence « d’éléments extérieurs », multiplication d’images en cadre serré montrant des « usages déviants » (lits, nourriture) ; le président de Tolbiac allant jusqu’à parler de « prostitution ». Le recours à la violence légale ou pas (comme à Montpellier) est la conséquence directe de cette déligitimation permanente.
[2] Jacques Rancière, « Le partage du sensible | multitudes », Alice, no 2 (1999), https://www.multitudes.net/Le-partage-du-sensible/.
[3] https://stopfusiontoulouse.wixsite.com/stopfusion/single-post/2017/01/30/Feuille-de-route-de-la-Fusion
[4] La controverse était parfois réduite à la simple fin d’un accord sur les congés des BIATS de l’UT2.
[5] Il convient de préciser que celles-ci sont filmées et transmises en direct sur les réseaux sociaux. L’espace de parole de l’assemblée est aussi un espace de représentation sur les réseaux. Cette dimension, qui a suscité un certain nombre de débats, mériterait développement.
[6] Que mai 1968 ait été une lutte importante contre la sélection à l’université, pour une université ouverte et critique, dont les pratiques d’occupation, de face à face déterminé avec les forces de l’ordre, de jonction avec des luttes ouvrières et aux célèbres graffitis n’a pas manqué d’alimenter certains parallèles. Il faut souligner l’incohérence de célébrations bon chic bon genre de ce mai là pendant que les universités subissaient une rare violence.
[7] https://iaata.info/A-la-fac-du-Mirail-l-occupation-on-la-voulait-on-l-a-prise-2412.html
[8] Le 6 mars
[9] Dans la nuit du 22 au 23 mars 2018 des personnes cagoulées font irruptions dans un amphithéâtre occupé par des étudiant.es et s’en prennent à eux à coup de barre de fer. L’enquête révèlera la responsabilité du doyen, qui avait approuvé l’autodéfense de ses étudiants, et l’implication de professeurs dans l’attaque.
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Ce compte rendu d’un voyage à Montevideo en 2017 pourrait constituer une sorte de bilan d’étape du parcours collectif de notre groupe de travail. Ce qui devait être une simple restitution à ceux et celles qui nous ont aidé, celles et ceux avec qui nous avons échangé là-bas, de l’autre côté du globe, s’est mué en un moment réflexif nous permettant de boucler une séquence de notre travail. Celui-ci avait commencé, en 2015, par un refus, le refus de suivre notre premier élan : sortir de l’université pour apporter au monde nos « indispensables compétences » de chercheur.es. Nous avons préféré réfléchir à notre travail et à nos positions. Rencontres, lectures collectives de Rancière, Fanon, Freire, nous avancions à tâtons, expérimentant des modalités de rencontres empruntées à l’éducation populaire, propres à défaire les habitus universitaires.

Nous avons alors précisé quelque peu nos buts, dans une seconde étape, organisant notre travail (de 2016-2017) autour de trois temps :
Se situer et prendre position, prendre acte d’une réalité : nous sommes vivant.es et par là intrinsèquement des corps situés et situés socialement. Nous sommes sur terre, il n’y a pas d’issues… et nous prenons part à des institutions que nous ne voulons pas quitter. Notre postulat épistémologique et politique a été de partir de ce qui nous meut et nous émeute dans notre travail, car s’émouvoir est le premier pas pour se mouvoir, se mettre en marche et chercher de nouveaux outils pour une praxis émancipatrice. Il a été question d’interroger notre propre réalité quotidienne, prosaïque, notre travail de recherche et d’enseignement, de transmission et d’intervention. Comment, à partir de là, poser la question des émancipations comme une pratique concrète, différente à la fois de la fuite hors de l’institution et/ou de la posture du « bon rebelle ». Cela nous a mené à l’inévitable question de devoir faire avec la conflictualité inhérente à tout processus d’émancipation.C’est cette réflexion que nous avons transposée dans des ateliers et une « table ronde » en Uruguay en décembre 2017. Un voyage collectif qui prend tout son sens du fait que nous sommes tou.tes les trois, par nos histoires de vie, d’exils, d’études et de recherches lié.es de près à la région du Río de la Plata. Et quand l’une d’entre nous a « vu passer » l’appel pour le XXXI congrès de l’Association Latino-Américaine de Sociologie, à Montevideo, ce fut pour nous une évidence : les questions que nous traitions ensemble avaient toute leur place dans les inquiétudes du congrès. Et nous nous sommes lancé.es dans la proposition d’une table ronde et la phase, fastidieuse mais nécessaire, de recherche de financements. Précaires mais débrouillard.es, après avoir essuyé quelques refus et un vrai soutien de l’association ATRIA (Association Toulousaine de Recherche Interdisciplinaire sur les Amériques), et au prix de quelques bricolages, nous sommes parvenu à réunir de quoi assurer notre aventure transatlantique. Une semaine, deux ateliers, une table ronde que nous décrivons et dont nous tirons des conclusions dans ces quelques pages.
Le contenu est hybride, nous avons écrit à différents moments, dans différents registres —mélangeant récit de voyage, texte didactique, restitutions de dialogues, etc. —parfois en espagnol, parfois en français, parfois dans les deux langues. La traduction nous aidant aussi à repenser nos textes.
Les quatre textes donnent lieu à trois parties qui peuvent se lire indépendamment et dans l’ordre que l’on souhaite.
Le premier texte, « De l’utilité du travail intellectuel », a été écrit en français à la fin de l’année 2016, avant toute une série de rencontres. C’est le texte le moins collectif, le plus théorique, il peut être lu avant ou après, de manière indépendante. Il a déjà été publié sur le blog.
Ensuite les deuxième et troisième textes, « Carnet de voyage » et « La synthèse du Chivito », constituent le cœur de l’ouvrage, rédigés à six mains à partir d’innombrables apports sans lesquels nous n’aurions tout simplement pas pu les écrire. Nous avons rédigé le « Carnet » dans les deux langues mais principalement en français tandis que « la synthèse du Chivito » a été entièrement rédigée en espagnol. Il faut dire que cet aller-retour entre les langues n’a pas été un choix délibéré mais le résultat d’une dynamique d’écriture que nous expérimentions à mesure. Certainement, nous pourrions encore travailler ce processus mais nous avons fait le choix de publier rapidement pour partager, pour remettre en circulation les idées, plus qu’en ciseler l’expression.
Enfin, le dernier texte est la communication prononcée par Laura Bianciotto lors de la table ronde réalisée à Montevideo. Il permet de donner une ouverture sur d’autres processus, sous d’autres latitudes. Il permet de faire le lien, nous semble-t-il, avec d’autres réalités pas tellement éloignées et qui mériteraient d’apprendre les unes des autres.
Il convient de faire une dernière précision sur l’envie pour nous de réaliser cet ouvrage plutôt que de simplement publier sur notre blog, par exemple, ou d’envoyer un texte sur des boîtes mails. D’abord, c’est l’envie de « réaliser », de rendre tangible et palpable un travail long, plein de tours et de détours, souvent volé des temps contraints et restreints. L’envie de prendre du large, de faire ensemble un objet qui circulerait de la main à la main. Se frotter à l’exercice de l’édition, mettre en route des savoirs-faires différents. Nous n’avons pas de prétentions particulières sur ces textes. Peut-être cet objet nous permettra-t-il des rencontres, donnera de la densité à des complicités, donnera envie de faire des alliances… Ce serait une belle utilité. Ou pas et il alimentera alors le flot des publications universitaires que personne ne lit. Nous aurions de toutes façons la satisfaction d’avoir mené à bout une expérience et de l’avoir fait ensemble.
Enfin, il nous reste à remercier toutes celles et ceux sans qui rien de tout cela n’aurait été possible, nos ami.es et camarades de l’association ATRIA ; Fernando Lema de la Fundación Polo Mercosur pour son accueil chaleureux et bienveillant; les habitant.es de la Casa de filosofía pour leur accueil, leur complicité, leur disponibilité ; Modesta Suárez pour les corrections sans mauvais traitement et le soutien de toujours. Enfin et surtout, toutes les personnes ayant participées aux activités, séminaires et ateliers du groupe, en France et en Uruguay, et celles et ceux qui sont parties à travers le monde ; ce sont leurs pensées, leurs paroles, leurs présences qui habitent les profondeurs intimes de ces pages.
Introducción en castellano
Estas crónicas de un viaje a Montevideo en 2017 podrían ser el balance de una etapa del recorrido colectivo de nuestro grupo de trabajo. Lo que debía ser una simple restitución para lxs que nos ayudaron, para las personas con quienes intercambiamos allá, del otro lado del ancho mundo, mutó en un momento reflexivo que nos permite cerrar una secuencia de nuestras reflexiones. Éstas habían empezado en 2015 con el rechazo a seguir un primer impulso : salir de la universidad para aportar al mundo nuestras « imprescindibles competencias » de investigadore.a.s. Preferimos en aquel entonces reflexionar acerca de nuestro trabajo y nuestras posiciones. Debates, lecturas colectivas de Rancière, Fanon, Freire, avanzábamos a tientas, experimentando modalidades de encuentro inspiradas por la educación popular, capaces de deshacer los hábitos universitarios.

Luego, ajustamos un poco nuestros objetivos, en una segunda etapa, y organizamos nuestro trabajo (de 2016-2017) en tres tiempos :
Situarse y tomar posición, reconocer una realidad : estamos vivxs y por ende, de manera intrínseca, somos cuerpos situados y situados socialmente. Estamos en la tierra, no hay salida… y participamos de instituciones que no no corresponden y de las culaes sin embargo no queremos salir. Nuestro planteamiento epistemológico y político fue el de partir de lo que nos mueve y nos remueve en nuestro trabajo, porque conmoverse es el primer paso para moverse, ponerse en marcha y buscar nuevas herramientas para una praxis emancipadora.
Se trató de cuestionar nuestra realidad cotidiana, prosaica, nuestro trabajo de docencia e investigación, de transmisión e intervención. Cómo, a partir de ahí, plantear el tema de las emancipaciones como una práctica concreta, que no implique la huida fuera de la institución ni la postura del « buen rebelde ». Esto nos llevó a la inevitable cuestión de tener que lidiar con la conflictividad inherente a todo proceso de emancipación.
Esta reflexión es la que llevamos a unos talleres y una mesa redonda en Uruguay en diciembre de 2017. Un viaje colectivo que cobra todo su sentido por el hecho de que somos, lxs tres, por nuestras historias de vida, de exilios, de estudios y de investigaciones, fuertemente vinculadxs con la región del Río de la Plata. Y cuando una de nosotrxs vio pasar el llamado para el XXXI congreso de la Asociación Latinoamericana de Sociología, en Montevideo, nos pareció evidente : las problemáticas que tratamos juntxs tenían todo su lugar en las inquietudes del congreso. Y nos lanzamos a escribir una propuesta de panel y a la tarea, fastidiosa mas necesaria, de búsqueda de financiamientos.
Precarixs pero sin embargo ingeniosxs, después de experimentar algunas denegaciones, contamos con el real apoyo de la asociación ATRIA (Asociación Tolosana de Investigación Interdisciplinaria sobre las Américas), y gracias a algunas astucias, logramos reunir lo suficiente para garantizar nuestra aventura transatlántica. Una semana, dos talleres, un panel que describimos aquí y de los cuales sacamos unas conclusiones, en estas pocas páginas.
El contenido es híbrido, lo hemos escrito en diferentes momentos, en diferentes registros: mezcla de historias de viajes, textos didácticos, restituciones de diálogos, etc. – a veces en español, a veces en francés, a veces en ambos idiomas. La traducción también nos ayuda a repensar nuestros textos.
Los cuatro textos dan lugar a tres partes que se pueden leer de forma independiente y en el orden que se desee.
El primer texto, «Sobre la utilidad del trabajo intelectual», fue escrito en francés a finales de 2016, antes de una serie de seminarios. Éste es el texto menos colectivo, el más teórico, se puede leer antes o después, de forma independiente.
Los textos segundo y tercero, «Diario del viaje» y «La síntesis de Chivito», constituyen la médula del libro, escrito a seis manos a partir de innumerables contribuciones sin las cuales simplemente no hubiéramos podido escribirlas. Escribimos el «Diario» en ambos idiomas, pero principalmente en francés, mientras que «La síntesis del Chivito» fue escrita completamente en español. Debe decirse que esta ida y vuelta entre idiomas no fue una elección deliberada, sino el resultado de una escritura dinámica que íbamos experimentando. Por cierto, aún podríamos trabajar en este proceso, pero tomamos la decisión de publicar rápidamente para compartir, para poner de nuevo las ideas en circulación, antes que ponerle un término.
Por último, el cuarto texto es la ponencia de Laura Bianciotto durante el panel organizado en Montevideo. Da una apertura a otros procesos, bajo otras latitudes. Hace posible establecer un vínculo con otras realidades que no están tan alejadas de las nuestras y que pudieron aprender cosas unas de otras.
Es importante hacer una aclaración más, sobre el deseo que nos lleva a hacer este libro en lugar de, por ejemplo, sencillamente publicarlo en nuestro blog o enviar un texto por e-mail. En primer lugar, es el deseo de «realizar», de hacer tangible y palpable un largo trabajo, lleno de giros y vueltas, a menudo robado a nuestro tiempo limitado y restringido. El deseo de zarpar, de hacer juntos un objeto que circule de mano en mano. Meternos con la labor de la edición, poner en marcha diferentes conocimientos. No tenemos ninguna pretensión con estos textos. Quizás este objeto constituya una apertura para nuevos encuentros, le dé densidad a complicidades, nos lleve a hacer alianzas… Sería una preciosa utilidad. O tal vez no, y este libro acabe alimentando el raudal de publicaciones académicas que nadie lee. En cualquier caso, tendremos la satisfacción de haber concluido una experiencia y de haberlo hecho juntxs.
Finalmente, queremos agradecer a todxs aquellxs sin lxs que nada de esto hubiera sido posible, nuestrxs amigxs y camaradas de la asociación ATRIA, Fernando Lema de la Fundación Polo Mercosur por su cálido y benevolente recibimiento, la Casa de filosofía por su acogida, su complicidad, su disponibilidad, Modesta Suárez por las correcciones sin maltrato y el apoyo de siempre. Por último, pero no menos importante, a todas las personas que participaron en las actividades, seminarios y talleres del grupo, en Francia y en Uruguay, y a aquellxs que se fueron para otras partes del mundo; son sus pensamientos, sus palabras, sus presencias las que habitan las íntimas profundidades de estas páginas.
Le 21 septembre 2018 salle E 411 de la maison de la recherche de 9h à 17h
Après avoir posé la question de l’utilité du travail intellectuel, interrogeant conjointement les conditions de production de celui-ci, nos propres conditions de travail, et le rôle que celui-ci peut prendre (ou pas) dans les émancipations, nous voulons maintenant tenter d’interroger spécifiquement le travail de recherche, toujours avec une démarche située qui part de là où nous sommes, de ce que nous sommes. Nous commençons à réfléchir sur un prochain cycle de rencontre autours de ces questions que nous résumons ainsi: “penser les conséquences, qu’est-ce qu’implique la recherche?”
Il s’agit de défaire le mythe d’une recherche qui pourrait être “fondamentale”, “en dehors du monde”. En effet, quoi qu’il arrive la recherche implique beaucoup de choses. Des chercheur.e.s, des “enquêté.e.s”, des financements, des méthodes, des concepts, des aspirations et des désirs. Beaucoup de choses, de personnes de moments se trouvent de fait impliqué.e.s dans le processus de la recherche. Pourtant, il y aurait spécifiquement une recherche impliquée ou engagée, voire militante ?
Qu’est ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que l’on produit comme rapports sur le terrain ? Qu’est-ce que cela fait aux sciences sociales ? Qu’est-ce que ça fait à la théorie ?
Nous allons prendre le temps de préciser ces questions en commençant par une studieuse journée de rentrée où nous prendrons soin d’explorer des pistes issues d’une « épistémologie du sud » avant d’échanger sur nos pratiques concrètes. Cette journée fait suite à la rencontre avec Nicolás Herrera du 25 janvier 2018 (un compte rendu est disponible sur le site)
Le 21 septembre 2018 salle E 411 de la maison de la recherche de 9h à 17h
La matinée sera consacrée à des arpentages de textes et l’après-midi à des échanges que nous commencerons avec Nicolás Herrera à distance depuis Buenos Aires.
Nous organiserons par la suite 4 demi-journées de séminaire sur des pratiques de recherche (janvier – mai 2019). Plus d’informations à venir.
Pour avoir accès à la brochure c’est ici
Sans vouloir faire une analyse de ce qui c’est passé lors du dernier mouvement, contre le tri social à l’entrée de l’Université, il est intéressant d’apporter des éléments de réflexion sur un point important : la question des examens. En effet, d’une part des étudiant.e.s n’ont pas hésité à refuser de passer leurs examens dans des actes forts individuels et collectifs, d’autre part les personnels enseignant.e.s et non enseignant.e.s ont envisagé de se mobiliser autours des examens. Enfin, le gouvernement a clairement marqué sa volonté de faire tout son possible pour que les examens ne soient pas impactés, le président se fendant de son fameux “il n’y aura pas d’examens en chocolat dans cette république”.
Il faut reconnaitre que le gouvernement a gagné cette bataille, mais il ne l’a pas seulement gagné en faisant intervenir 22 fois les forces de l’ordre sur les campus. Dans les multiples éléments qui ont fait basculer les personnes mobilisées en faveur de la tenue des examens, il y a un rapport profond à nos métiers. Nous devons l’évaluation aux étudiant.es. Nous touchons là à des convictions profondes, au sens même du travail des enseignant.es. C’est maintenant qu’apparaissent des initiatives telles qu’une université volante ou des interstices, et avec la conviction que cette question se reposera prochainement, que nous pensons nécessaire de nourrir la réflexion sur l’évaluation. C’est en questionnant nos pratiques dans leur cour ordinaire que nous pourrons éventuellement agir en temps de lutte et aussi que nous réussirons, éventuellement, à ouvrir des interstices dans l’Université telle qu’elle est.
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Le Colectivo Frente Unido est une équipe de recherche composée de 3 personnes colombien.ne.s qui résident en Argentine et au Canada. Un cinéaste, une historienne, et un psychologue (Nicolás) qui travaille en psychologie sociale communautaire. Le Colectivo Frente Unido travaille à reconstruire la mémoire de Camilo Torres Restrepo[1], fondateur en 1959 de la première faculté de sociologie en Colombie, à Bogotá (et une des premières en Amérique latine), avec Orlando Fals Borda[2].
Le texte en PDF pour lire loin des machines…
Contexte
Dans les années 60, suite à la crise du positivisme des années 50, Camilo Torres Restrepo et Orlando Fals Borda, mais aussi dans toutes les universités en Amérique Latine, se posent la question de « pourquoi les sciences sociales ?», et derrière cette question, celles de « qui parle ? Depuis quelle position ? Et au service de qui ? ». Elles mèneront à la volonté de produire une science engagée et située, tournée vers et au service des communautés, des secteurs populaires, des exclus…
Le contexte politique est marqué par des luttes révolutionnaires, des mouvements sociaux qui tentent de rompre avec l’ordre établi pour aller vers un « désordre ordonné » (Conférence de Medellin « engageant l’Église pour le développement intégral de tout l’homme et de tous les hommes vers une libération. »). Le recours à la violence apparaît de plus en plus comme un droit du peuple… C’est l’époque de la révolution cubaine (1959), la mort de Che Guevara (1967), la théorie de la dépendance (1967), Paulo Freire (Pédagogie de l’opprimé, 1968), la Conférence de Medellín (1968), la théologie de la libération (1970), l’élection de Salvador Allende en Chili (1970), la philosophie de la libération (1975). Mais c’est aussi le moment de l’organisation de la guerre contre-révolutionnaire et de l’idéologie du développement, de l’Alliance pour le progrès, du Maccarthisme, de la Campaña Civico-Militar (ou guerre psychologique), ou encore de l’opération “Camelot”[3].
C’est donc une période de grande conflictualité dans toute l’Amérique latine qui précède la longue série des dictatures militaires. On assiste alors à l’ouverture de certaines questions épistémologiques et politiques radicales, mais dans un milieu institutionnel de plus en plus fermé et conservateur.
Pourquoi chercher Camilo Torres Restrepo ? Pour qui et à partir de qui ?
En 1963, Camilo Torres préside le premier Congreso Nacional de Sociología à Bogotá et y présente une étude: “La violencia y los cambios socio-culturales en las áreas rurales colombianas”. Il a écrit un seul livre, La proletarización de Bogotá, qui restera assez méconnu et meurt à 37 ans. Il est complètement invisibilisé comme sociologue mais aussi comme homme d’église, en raison de son engagement dans la guérilla (« Si Jésus vivait aujourd’hui, il serait guérillero », sont des paroles qui lui sont attribuées). Orlando Fals Borda, lui, restera connu comme le maître, comme le fondateur de l’I.A.P. (Investigación Acción Participativa) parce qu’il a eu le temps d’écrire.
Camilo Torres apparaît comme un fantôme dans les milieux de la science, de la politique, de l’Église… Et c’est de là, pour questionner cette invisibilité, que naît le Colectivo Frente Unido. Celui-ci se propose de reconstruire sa mémoire, et une histoire jusqu’à maintenant pleine de trous et de préjugés. Il fait figure d’une « patate chaude » parce qu’il est mort à la guérilla, dans les rangs de l’ELN, qui fait encore partie du débat aujourd’hui.
La mémoire de Camilo Torres Restrepo est nécessaire aux processus de recherche liés aux changements et aux luttes sociales en Colombie. La recherche du Colectivo Frente Unido naît dans la rue et non dans le milieu académique, ni à partir de méthodologies universitaires. Elle part au contraire de la mémoire populaire, de celles et ceux qui se revendiquent « de » Camilo Torres.
L’enjeu est de (re)trouver un référent politique populaire, un réfèrent éthique et spirituel, à partir de la mémoire populaire, des « gens »… Et effectivement, ce sont des personnes lambda qui possèdent les traces, les souvenirs, les photos, les enregistrements de Camilo Torres.
Il y a plusieurs Camilo Torres Restrepo en fonction des mémoires et des secteurs qui s’en rappellent : le prof, le sociologue, le prêtre, le militant, le guérillero. Il s’agit donc de reconstruire un puzzle avec tous ces Camilos. Sa mémoire est pleine d’enjeux politiques, d’intérêts, et cette recherche aussi : il n’y a pas de volonté d’objectivité et de partialité, mais la rigueur de prendre tous les Camilos en compte.
Pour qui, à partir de qui et avec qui ?
Ces questions renvoient à la fois aux personnes avec qui le collectif de chercheur.e.s a travaillé mais aussi aux différentes formes de restitution et de divulgation développées par Orlando Fals Borda. Ce dernier parle de « devolución sistemática », c’est-à-dire de faire des retours en permanence, de ne pas attendre d’avoir fini un travail pour le restituer. C’est une vulgarisation continue, au fur et à mesure de la recherche, comme une partie de la construction et de l’action de la recherche.
Orlando Fals Borda travaille pour l’ANUC (Association Nationale des Utilisateurs Paysans). Il soumet à validation chacun de ses écrits avant de les publier. Il applique le droit à la consultation des acteurs et soumet son livre à la communauté. Pour lui, l’expérience empirique déconstruit la théorie et la structure scientifiques : la participation à la vie quotidienne des paysans lui permet un accès à leur savoir(s) et à leur(s) histoire(s) populaire(s). Orlando Fals Borda va introduire ces éléments dans l’éducation populaire (théâtre, radio, ballenatos, BD, … faits par les paysans).
Il est formateur politique et reconstruit l’histoire de la lutte des paysans avec eux, sans hésiter à allier recherche scientifique et réalisme magique. Il utilise notamment la méthode de la « imputación » : reconstruire un récit lisible et agréable à partir de plusieurs entretiens, en ayant recours à un peu de fiction, mais en ne se basant que sur des choses entendues. Il laisse toujours constance du lien entre les récits originaux et le récit reconstruit. Il repense la méthode et la manière de la présenter, représenter.
Son ouvrage principal, Historia doble de la Costa, publié entre 1980 et 1986, suit cette démarche, sur 4 tomes. « Histoire double » parce qu’il mêle histoire historienne/analyse sociologique et témoignages, réécriture de récits populaires[4].
Multiplication des supports de diffusion de la recherche
Le Colectivo Frente Unido est finalement une école virtuelle sur la pensée de Camilo Torres Restrepo. Il reprend ses méthodes, ses façons de faire de la recherche et de rendre compte du travail social. Il s’agit là aussi de mettre la recherche au service de la lutte populaire, de divulguer en permanence, etc. Le matériel de consultation et les personnes ayant connu Camilo Torres sont en train de disparaître, il s’agit alors de ne pas laisser se perdre les traces de cette mémoire, dans un contexte politique tendu.
Quelques exemples de « productions » du Colectivo :
Des « capsulas camilistas para la memoria » : des capsules sonores d’une minute, un fragment de la mémoire, mis en musique. Elles sont diffusées sur internet et ont été réutilisées par des leaders paysans, certains groupes de guérillas, etc. dans leur formation politique.
Un calendrier de Camilo Torres, pour l’éloigner de l’image la plus clichée du Camilo guérillero, l’arme à la main. C’est le résultat d’une réflexion autour de la mémoire visuelle et de la construction sociale du personnage. Le calendrier se diffuse bien, quand ils retournent voir les gens, ils le voient accroché aux murs. Certaines photos servent de base pour faire des pochoirs vus dans la rue… Il s’agit de nouveaux matériaux pour la lutte populaire colombienne.
Des livres : Les communautés et organisations avec qui travaille le Colectivo leur ont demandé du matériel de soutien à la discussion avec les secteurs populaires. C’est donc posée la question éditoriale. Quel livre ? Pourquoi et comment ? Après avoir passé 6 mois à discuter du sens, de la structure, de l’appel à textes, etc., entre 2010 et 2013, 3 livres ont été publiés, financés par bons de commande, etc.
Dans le dernier livre, on trouvait un poster. Il s’agit d’une ancienne affiche, une image connue, vue sur plusieurs photos d’époque mais devenue introuvable. Le Colectivo décide de le rééditer et de l’envoyer avec le livre… Si le livre est un appui à la discussion, le poster produit de l’identité, fabrique un sentiment d’appropriation de cette histoire. Il participe au processus de réinstallation de Camilo dans la mémoire collective depuis le visuel.
Écriture de son histoire en BD. Elle sort en 500 exemplaires, dont 400 étaient déjà vendus en amont (par des bons de commande pour financer la publication). Elles arrivent directement aux communautés concernées, sans passer par les libraires, c’est aussi une forme de diffusion intéressante.
Réalisation du documentaire (El rastro de Camillo). Il y avait, jusqu’ici, seulement 4 documentaires sur Camilo Torres, et le dernier datait de 1970. Ces nouveaux récits légitiment une nouvelle recherche du corps jamais retrouvé de Camilo Torres. Une recherche scientifique qui devient judiciaire.
Campaña « 50 años, 50 canciones para Camilo » : un appel à écrire et à produire des chansons, qui a aussi eu de bons retours, beaucoup de personnes ont joué le jeu de la création…
Pour résumer, le Colectivo Frente Unido schématise comme suis les éléments qu’il mobilise :
arChivage (universel, d’accès public et gratuit)
Artistico-culturels
Muséographiques
edItoriaux
«Acción calLejera » (dans la rue, interventions dans l’espace public…)
fOrmations (ils sont en train de mettre en place un séminaire en ligne…)
Dans un contexte de développement des mouvements pour les droits humains depuis les années 90, en Colombie, de processus de confrontation avec les oppresseurs, de dénonciation de l’injustice du système… La revendication de la mémoire prend une place importante.
L’idée est de diffuser la mémoire de Camilo Torres à travers des procédés artistiques et culturels, de promouvoir cette mémoire dans de nouveaux réseaux. Il s’agit aussi de démystifier le personnage pour lui rendre son humanité.
La recherche action participative IAP
Toute la recherche du Colectivo Frente Unido est donc un modèle d’I.A.P. (Recherche action participative) telle que fomentée par Camilo Torres et Orlando Fals Borda, c’est-à-dire : une méthode, une manière de faire de la recherche un processus collectif, avec des protagonistes qui cherchent à agir sur la réalité sociale.
La recherche est liée à une action (politique), donc on travaille avec les acteurs qui veulent réaliser cette action.
Ce type de recherche reconnaît les secteurs populaires comme des sujets épistémologiques (pas des objets de recherche). Elle se base donc sur une relation horizontale Sujet <> Sujet
Tous sont sujets et donc co-auteurs de la recherche.
Ce qui est visé, c’est la performativité de la recherche au fur et à mesure qu’elle se produit, les sujets sont co-auteurs de la connaissance dialogique. C’est un processus caractérisé par :
- une action sur la réalité pendant la réalisation de la recherche (par les questions soulevées, par la sollicitation des gens, les restitutions au fur et à mesure…),
- les échanges de savoirs chauds (populaires, issus des pratiques) et savoirs froids (universitaires, scientifiques), un dialogue qui doit pouvoir produire un nouveau type de savoir, révolutionnaire. Un savoir consensuel et collectif qui répond aux attentes de tous les sujets de la recherche, qui se construit en fonction des problèmes des gens, au service des intérêts populaires. C’est un processus de réflexion-action-réflexion…
Il y a un moment d’action, puis un moment de réflexion et de systématisation, et ainsi de suite en spirale. C’est dans cette spirale que se construit le savoir. Et il y a des temps longs, des rythmes différents, etc.
L’I.A.P. implique forcément une critique de la science traditionnelle et une « décolonisation du savoir » (terme à la mode aujourd’hui mais déjà largement utilisé dans les années 60 en Amérique latine), une critique de l’eurocentrisme. Il s’agit de créer du savoir à partir d’une « endogénèse contextuelle ». On ne fait pas une science universelle mais chaque contexte constitue ses propres savoirs, ses propres méthodes, ses points de vue… La science est perçue comme une construction sociale.
L’I.A.P. propose des démarches assez proches de celles de l’éducation populaire, de la philosophie de la libération, etc. C’est toute une épistémologie de la libération qui se met en place à cette époque, qui brise les rapports de savoir/pouvoir, et surtout arrive à se situer dans ces rapports.
L’I.A.P. aujourd’hui souffre toutes sortes de récupérations, de cooptations. La Banque Mondiale finance de la recherche participative, etc. L’université la récupère aussi, en la dépolitisant. L’I.A.P. n’est pas une méthode mais une perspective, une “philosophie de vie” (Orlando Fals Borda), à tenir sur la longueur, qui est toujours négociée et renégociée au fil du processus, avec les communautés.
[1]Camilo Torres Restrepo (1929-1966) né à Bogotá. Prêtre de l’Archidiocèse de Bogotá et sociologue à l’Université Catholique de Louvain. Pionnier des études en sociologie urbaine. En 1959, il a fondé avec Orlando Fals Borda l’École de sociologie de l’Université Nationale de Colombie, la première dans le pays, dans une tentative d’intervention sur la société colombienne (fondation INCORA : Instituto Colombiano de la Reforma Agraria, ESAP, JAC : Juntas Accion Comunales). En 1965, il fut forcé d’abandonner le sacerdoce et s’engagea ouvertement dans la lutte révolutionnaire. Il a fondé le mouvement « Front Uni du Peuple » puis a rejoint la guérilla de l’Armée de Libération Nationale (ELN). Camilo Torres est considéré comme un des initiateurs de la Théologie de la libération, un pionnier de la recherche-action participative (IAP) et un précurseur du « socialisme enraciné » (socialismo raizal). Le 15 février 1966, il meurt dans son premier combat. Depuis lors, son corps a disparu dans les mains de l’armée et sa mémoire a subi une censure cachée. Son héritage a été subsumé sous le fétiche du « prêtre de la guérilla ».
[2]Orlando Fals Borda (1925-2008) né à Barranquilla. Il a étudié la sociologie aux Etats-Unis (Minneapolis et en Floride). Fondateur, avec Camilo Torres, de la Faculté de Sociologie de l’Université Nationale de Colombie. Pionnier des études de sociologie rurale. Promoteur en Amérique latine de la recherche-action participative (IAP), développée avec la paysannerie dans ses luttes pour la réforme agraire. Il était préoccupé par la construction et la déconstruction du savoir, la pensée endogène, la science située, la critique du colonialisme intellectuel, la recherche d’alternatives et la compréhension du dialogue entre science et politique. Il a écrit une centaine d’articles spécialisés et une douzaine de livres, parmi lesquels se distinguent : « Les paysans des Andes », « L’homme et la terre à Boyacá », « La subversion en Colombie », « Les révolutions inachevées en Amérique latine », « Propre science et colonialisme intellectuel », « Histoire de la question agraire en Colombie », « Double histoire de la côte », « Vers le socialisme enraciné et d’autres écrits ».
[3]Un programme de contre insurrection élaboré aux Étas Unis d’Amérique et déployé en Amérique Latine https://en.wikipedia.org/wiki/Project_Camelot.
[4]« Fals Borda reconstitue l’histoire d’une sous-région jusqu’ici insuffisamment étudiée — Mompox et une partie du bas Magdalena — depuis la conquête jusqu’au seuil de l’histoire républicaine, en mettant particulièrement l’accent sur la trajectoire des familles seigneuriales qui ont contribué à modeler cette société à partir du XVIIe et surtout du début du XVIIIe siècle. En même temps, cette reconstitution de la trajectoire des grandes familles permet de retracer l’histoire des luttes populaires de cette zone, fournissant une solide base et une réelle légitimité aux conflits actuels et futurs. Car ce livre n’est pas seulement un livre d’histoire et de sociologie ; c’est aussi un texte politique, un texte d’action destiné à déboucher sur des luttes contemporaines dont il se nourrit déjà et qu’il contribue à nourrir. A bien des égards, son titre peut paraître modeste. Double, cette « histoire » que propose Fais Borda l’est effectivement, et de plus d’une façon. Ne serait-ce que par l’existence de ces deux « canaux de communication » qui conduit à lire le livre deux fois, par les pages de gauche puis par celles de droite ; d’abord par l’anecdote — celle de la recherche proprement dite et celle de l’histoire historique — , ensuite par l’analyse et la réflexion, théorique, méthodologique ou autre. Double également par ce jeu entre le présent et le passé, entre la connaissance et l’action, entre la recherche documentaire et la mémoire populaire, entre les élites et la plèbe. Mais, finalement et par-dessus tout, multiple, du fait que les deux canaux de lecture ne se complètent et ne prennent tout leur sens que par de nombreuses inter-relations : lecture faite d’échos et de réactions ». (CR de lecture, J. Gilard, Caravelle n°36, 1981)
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