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Par l’utilisation de nos applications de smartphone ou par nos navigations internet, nous sommes tous à notre manière co-auteurs d’un amoncellement de données numériques. Ainsi, tous nos pas, nos clics ou nos likes sont susceptibles d’être enregistrés, stockés puis traités pour tracer jour après jour nos histoires numériques, individuelles ou collectives.
À la croisée d’une démarche de recherche en sciences humaines et d’une approche design, notre travail porte sur les moyens de rendre perceptible cet ensemble hétérogène de traces [1] pour révéler nos usages et prendre conscience de leurs évolutions à l’heure du numérique. À travers quatre exemples, cet article montre comment, en utilisant les outils du designer, nous cherchons à rendre ces données concrètes pour permettre à l’utilisateur de ressentir, d’agir ou de réagir face à cette nouvelle matière.
Représenter les données autrement ?
Les traces numériques que nous produisons offrent la possibilité de mesurer nos usages. Les mettre en forme permet de les percevoir, de les analyser et de leur donner du sens pour, par exemple, comprendre nos habitudes et décrire la façon dont nous nous déplaçons, consommons ou communiquons. Ces mises en forme sont autant de moyens de comprendre l’impact du numérique sur nos usages. La plupart des chercheurs travaillant sur les données proposent un processus de transformation allant des données dites “brutes“ vers des représentations graphiques comme des datavisualisations. En effet, la matière collectée étant souvent – de par sa quantité ou sa forme – illisible, elle est traitée, puis calculée par des algorithmes [2] pour être ensuite présentée visuellement sous forme de graphiques ou de cartographies (schéma a), qui transforment ces traces en informations accessibles et intelligibles. Mais, si les infographies, cartographies et histogrammes sont si communs aujourd’hui qu’ils nous semblent être des outils universels, sont-ils pour autant toujours compréhensibles ? Représentent-ils vraiment les usages qu’ils veulent illustrer ?

Dépasser ces représentations visuelles et schématiques, pour aller vers des formes plus immédiatement accessibles pour le grand public, paraît un enjeu de taille pour favoriser la prise de pouvoir des utilisateurs. La dataphysicalisation [3] est une première exploration des liens possibles entre un monde sensible – perceptible par nos sens comme la vue, l’ouïe ou le toucher – et un monde numérisé, où les représentations visuelles des données sont mises en volume et en matière.

Toutefois, pour donner plus de corps aux traces numériques nous proposons d’aller plus loin en matérialisant les données avant même de les calculer à l’aide d’algorithmes ou de les représenter sous forme d’histogrammes (schéma b). Ce design des données [4] ouvre un champ de recherche et d’exploration où l’on crée des objets à partir des données afin que chacun puisse les percevoir et les penser. Cette approche, d’une part, inverse la proposition de l’infovisualisation en plaçant la mise en forme en amont du processus de transformation des données et, d’autre part, s’en décale en utilisant des représentations qui ne sont pas simplement visuelles et produites par l’informatique.
Poser les données des usages comme une matière première, au même titre que le bois ou le métal, est un moyen de les rendre intelligibles, en utilisant la capacité qu’ont ces mises en forme de les rendre sensibles ou de provoquer par l’expérience un ressenti, une émotion.
Matérialiser pour comprendre
Les objets créés par les designers sont des moyens d’agir sur notre environnement. À la manière des Design probes [5], où des objets servent d’outils pour mener des enquêtes qualitatives sur les usages et les habitudes de différents groupes, nous nous interrogeons sur la place du design dans un processus de recherche. Nous formulons ainsi l’hypothèse que mettre la création d’objet au coeur des terrains de recherche pourrait permettre de révéler, d’observer et de mesurer différemment la façon dont l’utilisateur perçoit ses traces numériques.
Empreinte de mouvement, l’un des premiers objets réalisés, propose une matérialisation des données individuelles de géolocalisation. Les cartographies tridimensionnelles créées sont le résultat d’un dispositif enregistrant la durée de positionnement géographique de personnes volontaires tout au long de la journée et de la nuit. Captées sur plusieurs jours, les traces composent une empreinte de mouvements géographiques sous forme d’une accumulation de strates. Elles mettent en évidence le temps passé sur un territoire : les endroits fréquentés apparaissent sous la forme de proéminences plus ou moins importantes, a contrario les zones peu ou pas explorées sont repérables par l’absence de relief.

Empreinte de mouvement vue du dessus (©Mit) 
Empreinte de mouvement vue en coupe (©Mit)
Au-delà du travail sur cette nouvelle mise en forme de données, ce projet a révélé qu’un tel objet pouvait provoquer une émotion. Ainsi les participants à l’expérimentation, lors de la présentation de leur empreinte, se sont trouvés surpris ou émus de voir, de toucher et de percevoir un moment de leur vie. Dans un second temps, cette mise en forme a inspiré d’autres chercheurs pour bâtir de nouvelles interfaces utilisées aujourd’hui par Orange Business Service [6].
Afin de développer cette réflexion sur les objets-data, nous avons créé un deuxième outil d’exploration, la valise à data, une “matériauthèque“ mobile permettant de conduire des ateliers pendant lesquels les participants sont invités à associer des notions liées aux usages numériques – navigation web, appels, sms, data, etc. – et des matières. Elle contient des formes et des matériaux avec lesquels les participants se posent des questions telles que : Comment représenter ma navigation internet pendant une journée ? Et les communications passées avec mon téléphone mobile ? Ou encore ma relation avec mon téléphone ? Ils se questionnent ainsi sur la forme, la texture, l’odeur ou la sonorité que peuvent prendre leurs usages. L’accumulation des associations ainsi réalisées alimente un catalogue de portraits révélant les régularités et les singularités des représentations mentales de chacun.


L’objectif de ces ateliers est d’enquêter sur l’universalité des représentations et sur le rôle de la matière dans l’appropriation par l’utilisateur de son environnement numérique. Les ateliers réalisés ont permis d’observer que l’utilisation des matériaux de la valise offrait aux participants la possibilité de passer directement de concepts abstraits à la matière, s’immergeant physiquement dans les données.
Screenographie, la troisième expérimentation entre données et matière, met en lumière les usages associés aux téléphones mobiles. En rendant visible le déplacement des doigts sur un écran, elle propose des radiographies des gestes numériques. Ces représentations fixent les gestuelles associées aux différentes applications qu’une personne utilise quotidiennement et la questionnent sur le rapport charnel à son téléphone.
L’écran noir initial se voit progressivement effacé par les passages successifs de ses doigts. Ainsi, ces enregistrements permettent d’esquisser des typologies d’applications basées sur les gestes. Les réseaux sociaux poussent en effet à scroller – faire défiler l’écran de haut en bas – à l’infini alors que les discussions instantanées invitent à taper sur des claviers virtuels.

Ce projet propose ainsi une analyse visuelle et graphique, faisant apparaître des motifs singuliers – propres à chaque application – et collectifs – tout le monde répète les mêmes gestes. Cette analyse, basée sur les applications et non sur les utilisateurs, montre comment le décalage de l’approche design permet de faire émerger de nouveaux résultats de recherche sur la façon dont les interfaces amènent certains gestes et influencent les usages.
Quatrième et dernière production de cette famille, le TicBot est un objet-data qui reflète une autre facette de l’activité numérique. Il restitue le niveau de dépendance – consciente et inconsciente – de l’utilisateur à son téléphone, en enregistrant via une application le nombre de fois où l’écran est déverrouillé au fil de la journée. En effet, son téléphone mobile, toujours à portée de main, le met en lien permanent avec le web, ses mails ou ses autres applications et donc avec des distractions incessantes qui ne cessent de bousculer son attention. Il le ressent mais aucun indicateur ne permet de quantifier et de restituer ces tics, reflets de la place qu’occupe son téléphone dans une journée.
Lorsque l’utilisateur déverrouille rarement son écran, le robot oscille à un rythme doux et lent, mais si le nombre de déverrouillages augmente, son rythme s’accélère jusqu’à devenir frénétique, au point que ses cheveux peuvent se dresser et ses yeux rougir.

Le TicBot calme (© Kim) 
Le TicBot énervé (© Kim)
Le TicBot est un objet connecté à fabriquer soi-même, grâce aux plans disponibles en ligne [7], qui offre une matérialisation animée de notre rapport au mobile. Il est un témoin qui fait prendre conscience à l’utilisateur de ses pratiques et peut permettre de changer de regard sur les données collectées par un téléphone.
Percevoir ses usages
Ce travail de recherche nous montre comment les mises en forme concrètes des usages par le design amènent une perception différente des comportements grâce aux données numériques. À travers les quatre réalisations décrites, nous proposons ainsi de passer plus directement des données “brutes“ à une mise en forme matérielle et porteuse de sens sur les usages des utilisateurs.
À ce stade du projet, nous cherchons maintenant à étudier les différents niveaux d’engagement que l’utilisateur peut avoir dans ces dispositifs objets-data. Dans quelle mesure lui offrent-ils de prendre en main ses données ? La création de ces objets-data permet-elle de proposer des expériences qui rendent l’utilisateur acteur d’un monde numérisé ?
Une thèse en cours sur ces problématiques s’attache à comprendre le rôle de ces mises en forme tangibles dans la perception des usages numériques. Sur la base des terrains ou projets évoqués plus haut, il s’agit maintenant d’enquêter sur les façons dont la matérialisation de leurs données renforce l’empowerment des utilisateurs, leur permettant de les utiliser selon leurs envies et leurs besoins. Pour Orange, il s’agit d’une opportunité de mettre l’utilisateur au centre, en apaisant ses craintes pour créer des services utiles et pertinents.
POUR ALLER PLUS LOIN
[1] Merzeau, L. (2013). L’intelligence des traces. Intellectica – La revue de l’Association pour la Recherche sur les sciences de la Cognition (ARCo). (pp.115‑135)
[2] Cardon, D. (2015). À quoi rêvent les algorithmes : nos vies à l’heure des big data. Paris : Seuil
[3] Jansen, Y. (2014) Physical and tangible information visualization. [Thèse de doctorat]. Université Paris Sud – Paris XI. (p.53)
[4] Vollaire, L. (1997). Le design d’information. Communication et langages, 112(1). (pp.35‑50)
[5] Gaver, B., Dunne, T., & Pacenti, E. (1999). Design: Cultural probes. interactions, 6(1). (pp.21 29)
[6] Empreinte de mouvement (2012) réalisé par Sense, Orange Labs. Une vidéographie est disponible à l’adresse https://vimeo.com/157655926. À la suite du projet une expérimentation a été menée dans le quartier du Blosne à Rennes, utilisant les formes proposées par Empreinte de mouvement.
[7] Tic Bot (2017) réalisé par Sense, Orange Labs. Plans et explications disponibles sur le site Hello Future .
Cet article a été publié sur le Blog de la Recherche d’Orange Labs.
Sujet et contexte –
Les données numériques – ou data – sont plus que jamais au cœur de nos quotidiens et de nos préoccupations. Qu’il s’agisse de big data, de données personnelles ou issues du quantified self, chacun envisage et questionne un futur où le nombre de ces données sera croissant. Lorsqu’on les évoque il nous arrive un ensemble flou d’images, de suite de chiffre inintelligible et de flux colorés qui semblent nous traverser sans nous atteindre. Entre incompréhension et indifférence, les enjeux soulevés par cette déferlante de données numériques paraissent alors se jouer loin de nous. Pourtant nous sommes tous à notre manière les auteurs de cet amoncellement, par le biais de nos applications mobiles, de nos déplacements urbains ou de nos navigations sur internet avec lesquelles nous créons cette nouvelle matière numérique. Chaque pas, chaque like ou chaque clic peut ainsi se trouver enregistré et jour après jour écrire nos histoires individuelles et collectives. De ce point de vue nous sommes donc tous auteurs, et responsables, de l’usage de ces données et il nous incombe de les comprendre et de les interroger. Depuis leur création jusqu’à leur (re)présentation, ou restitution, elles peuvent devenir une matière à penser et à créer des outils pour voir le monde et créer de nouvelles connaissances.
Dans cette optique, la maitrise de la mise en forme des données – algorithmiques autant que visuelles – est un enjeu majeur. En effet en tant que tel les données n’ont pas de sens et ce sont ces mises en forme qui permettront leur traitement et leur transformation en information, source de connaissances. Ici il n’est donc plus seulement question d’amoncellement de chiffres mais bien de notre façon de faire les faire parler, à travers les modes de calculs utilisés ou la forme employée pour agréger une base de donnée constituée, par exemple, sur le logiciel Excell. Pourtant les infographies, cartographies et autres datavisualization, sont à ce point communes aujourd’hui qu’elles nous semblent être des outils universels et que leur emploi tend à devenir la norme. Alors que ces modes de représentations ont infiltré notre quotidien, il est intéressant de les interroger et de voir plus loin pour en faire des outils réellement pédagogiques qui nous permettent de décrypter le monde qui nous entoure et de nous redonner les moyens d’en être acteur.
Dépasser la représentation visuelle et schématique des données pour aller vers des formes sensibles est un moyen à explorer afin de les rendre accessibles et de proposer des modes de présentation plus immédiats pour le grand public. Pour étudier ces interactions entre le monde sensible et celui de l’informatique, l’approche du design donne la possibilité d’observer tout en créant des dispositifs expérimentables. Ici le design des données, que nous désignerons ici par l’expérience sensible des données numériques, ouvre un champ de recherche, d’exploration et de matérialisation des données permettant de créer des objets (représentation visuelle, matérielle, sonore, etc…) afin que chacun puisse percevoir et penser les données issues de l’activité numérique. On cherchera ainsi à rendre les données numériques compréhensibles et intelligibles en utilisant la capacité qu’ont les représentations, non pas analytiques, mais sensibles à nous toucher, à provoquer une émotion, une connaissance, une acceptation ou une compréhension. On étudiera ainsi les leviers de cette expérience et les conditions de sa mise en œuvre. Il s’agira de parvenir à transformer cette matière numérique en quelque chose d’accessible, en créant des visualisations, des objets-data, des matérialisations et des installations qui mettent en scène et en forme la donnée.
L’objectif de cette thèse est d’apporter des éléments pour comprendre les nouveaux usages numériques et mieux anticiper les besoins qu’ils génèrent, en s’inscrivant dans le domaine de la perception des données numériques. L’approche du design, en faisant de la donnée une matière première au même titre que le bois ou le métal, pourra créer de nouvelles expériences, de nouveaux services, de nouvelles interactions et surtout de nouvelles émotions et réflexions. Il s’agira d’initier et de développer une réflexion de fond qui pourra s’ancrer sur les questions suivantes :
– Quels sont les effets de la matérialisation des données sur nos comportements d’usage vis-à-vis de ces dernières ?
– Quels sont les effets de la mise en forme – sensible, esthétique, algorithmique ou physique – des données ? Facilite-t-elle l’appréhension et la perception du monde numérique ?
– Quels sont les leviers de transformation des data en objet tangible ? Et quelles sont les émotions, réflexions et usages que ces objets peuvent générer ?
Questions de recherche et premières lectures –
Les données numériques, pensées comme des objets à ressentir et à comprendre, invitent à problématiser le sujet sous une première forme, entre pédagogie et matérialisation ; Comment rendre un ensemble de données accessible, compréhensible et/ou manipulable ?
Cette question nous engage à envisager la part sensible des données et à enquêter sur les expériences que l’on peut faire des leurs mises en forme. On formulera alors l’hypothèse que faire l’expérience des données nous permet de mieux les appréhender, les comprendre et/ou les manipuler. Afin d’explorer le champ ouvert par cette question différents outils méthodologiques ont été mis en place durant les premiers mois de la thèse, naviguant en parallèle entre état de l’art et étude de terrains concrets.
Dans un domaine de recherche encore jeune il est difficile de délimiter les bornes d’un état de l’art suffisamment vaste et tout de même pertinent. Dans le cas de la représentation des données de nombreuses disciplines peuvent être invoquées – de l’esthétique à l’interaction humain-machine en passant par la sociologie – et la première étape a été de tracer de grandes thématiques permettant de classer les articles, essais ou dossiers s’y référant. Pour ouvrir le champ des possibles ce ne sont pas les disciplines qui ont été choisi pour définir les thèmes, mais une typologie personnelle qui cherche à confronter entre elles les différentes approches ; Les Formes – Les Expériences sensibles – La Réception d’un dispositif – Les Données intimes – La Perception – Les Mythes du numérique – La Représentation des données – La Création de connaissances.
Ces thèmes ouvrent de nombreuses possibilités de lectures et doivent être vus comme les frontières du sujet et non comme l’ensemble des idées à approfondir. Ils ont permis d’impulser une première dynamique et de commencer à décortiquer le sujet. La notion d’expérience a d’emblée été la plus problématique ; Comment la définir ? Doit-on considérer toutes les expériences ? Est-elle sensible, esthétique ou artistique ? De plus peut-on étudier, qualifier ou mesurer cette expérience ? Des auteurs comme John Dewey, ou plus récemment Jean-Marie Schaeffer, bien que se concentrant sur la notion d’expérience esthétique, apportent des définitions et tracent les contours de ce que peut être une expérience. Ces lectures amènent à se plonger dans une réflexion philosophique qui demanderait à être traité à part entière et s’éloigne pour l’instant des données et de leur appréhension. Un certain nombre d’articles scientifiques, notamment publiés lors des conférences CHI[1], traitent de la réception des œuvres numériques – interactives ou participatives -, et constituent une autre piste permettant d’étudier l’expérience selon une approche différente. Ici le regardeur est observé et ses réactions nous renseignent sur les mécanismes d’appropriation de ces œuvres numériques. Après ces quelques lectures il semble que l’approche bibliographique ne soit pas suffisante pour entrer véritablement dans le sujet de la représentation des données et ne permet pas de brosser un état des lieux suffisant sur cette question, restant souvent à la périphérie du sujet.
Afin de se recentrer sur la représentation, un état de l’art des projets data-sensible a été commencé, permettant de situer les différentes méthodes de création de visualisations – ou matérialisations – de données. À travers une cartographie de ces approches il apparait que nombre d’artistes, de designers ou de scientifiques abordent ces questions par l’angle du projet, où les données deviennent un matériau à transformer ou un médium pour raconter des histoires. On retiendra ici le travail de Laurie Frick qui propose de réinvestir nos données et d’en faire des œuvres d’arts, à l’image de ce slogan pioché sur son site internet « FRICKbits: Take back your data and turn it into art! » [2]. Le projet DearData[3], de Giorgia Lupi et Stefanie Posavec, propose une correspondance d’une année entre deux amies, qui créent chaque semaine un nouveau jeu de donnée et l’illustrent à la main. Passant du nombre de “goodbye“ aux aliments consommés elles tracent à leur manière de nouveaux portraits intimes et publics et nous interrogent sur ce que les données peuvent raconter de nous. Cette étude du matériau artistique n’exclue pas de s’intéresser aux initiatives des designers pour représenter les données, comme l’a fait Timo Arnal, avec sa thèse Making Visible[4], où il conçoit des dispositifs techniques permettant de rendre visible des ondes invisibles à l’œil nu, comme celle du wifi. Les recherches de l’équipe Aviz[5], de l’INRIA, en réunissant chercheurs en informatique et en design, exposent une démarche plus proche de la recherche-action et étudient nos façons de créer ou de s’approprier des outils de visualisation de données. Ces quelques exemples permettent d’illustrer la pluralité des approches et d’affirmer que la recherche autour de la représentation des données est un dialogue entre laboratoires et ateliers, autrement dit entre chercheurs et créateurs.
Le dernier outil mobilisé pour tracer les contours de l’état de l’art est une analyse des projets réalisés en interne – chez Sense, entité de recherche d’Orange Labs – dont l’étude constitue le terrain privilégié de la thèse. Ainsi les projets terminés comme les projets à venir offrent la possibilité d’expérimenter de nouveaux dispositifs d’objets-data, et d’étudier les façons dont nous les percevons et les manipulons. Ces projets sont donc pensé de manière à ce que différentes formes de matérialisations soient explorées – dynamique et sonore, cinétique ou sous la forme d’échantillons de matière à manipuler – et qu’en parallèle différents modes d’exposition soient proposés au public – installation monumentale ou dispositif expérimentable.
En conclusion –
Ces premières analyses, et la difficulté à trouver la bonne focale dans un corpus trop étendu, ont mis en lumière que la première question posée était trop vaste. Elles ont, de plus, mis en avant le manque d’ancrage des lectures dans le champ de la mise en forme – terme que l’on privilégiera à celui de représentation, moins large. Ainsi de nouvelles recherches seront menées sur les formes de représentations de données classiques et leurs impacts, ainsi que sur les matérialisations déjà testées, dans le domaine de la data physicalization par exemple.
Tout en restant dans la continuité des recherches sur le sujet, cela permettra de faire émerger la spécificité de la démarche de design des données que nous souhaitons mener à travers cette thèse. En effet dans les projets et recherches étudiés le design est utilisé afin de donner une forme – visuelle le plus souvent – à un jeu de données mais il semble que le design comme moteur de transformation de la matière que constitue les données – de leur captation à leur présentation – n’ai pas encore été interrogé.
Ainsi sans perdre de vue l’aspect sensible de la recherche où l’on s’interroge sur les rôles que peuvent peuvent avoir les sens, l’émotion, la matérialité, la narration dans la compréhension des données, il serait intéressant d’ouvrir la question sur les données comme matière. Le processus de mise en forme commencerait alors plus en amont avec la prise en compte de la phase de collecte, porteuse elle aussi de sens – et peut-être de sensible. En effet pour nous parler, les données ne doivent-elles pas commencer par être parlantes ? On pourra alors s’atteler à préciser le type de données dont il est question et la façon dont elles créent des saillances qui accrochent notre œil autant que notre esprit. L’enjeu de cette recherche sera donc bien de révéler la part sensible que peuvent avoir les données, mais aussi de nous y reconnecter, pour qu’enfin nous n’y soyons plus indifférents et que nous ayons quelque chose à cacher[6].
Bibliographie –
Agamben, G., & Rueff, M. (2014). Qu’est-ce qu’un dispositif ? Paris: Payot & Rivages.
Arnall, T. (2013). Making visible: mediating the material of emerging technology (Thèse de doctorat).
Dewey, J. (2010). L’art comme expérience. (J.-P. Cometti, Trad.). Paris: Gallimard.
Levillain, F., Zibetti, E., & Lefort, S. (2015). Moving on its own: How do audience interacts with an autonomous moving artwork. CHI 2015.
Goc, M. L., Dragicevic, P., Huron, S., & Fekete, J.-D. (2015). Design Considerations for Composite Physical Visualizations. Présenté à Proceedings of the CHI Workshop on Exploring the Challenges of Making Data Physical. Consulté à l’adresse /hal-01138024/document
Huron, S., Jansen, Y., & Carpendale, S. (2014). Constructing Visual Representations: Investigating the Use of Tangible Tokens. IEEE Transactions on Visualization and Computer Graphics, 20(12), 2102‑2111. https://doi.org/10.1109/TVCG.2014.2346292
Guillaud, H. (s. d.-a). La mise en chiffre de soi (1/2) : qui sont ceux qui se mesurent ? Consulté à l’adresse https://www.internetactu.net/2013/05/22/la-mise-en-chiffre-de-soi-12-qui-sont-ceux-qui-se-mesurent/
Guillaud, H. (s. d.-b). La mise en chiffre de soi (2/2) : les chiffres ne savent pas toujours répondre. Consulté à l’adresse https://www.internetactu.net/2013/06/11/la-mise-en-chiffres-de-soi-22-les-chiffres-ne-savent-pas-toujours-repondre/
Schaeffer, J.-M. (2015). L’expérience esthétique. Paris : Gallimard.
Zouinar, M., & Bationo-Tillon, A. (2012). Le public en action : analyse ergonomique de la découverte d´une œuvre d´art numérique interactive. Dans J.-P. Fourmentraux (dir.) L’Ère post-média Humanités digitales et Cultures numériques (pp. 181‑201). Paris : Editions Hermann, Coll. Cultures Numériques.
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Les 4 événements dont il sera question :
- Les Entretiens du nouveau monde industriel 2015 (ENMI), ” La toile que nous voulons, des big data au web néguentropique “, le 14 et 15 décembre au Centre Pompidou, organisé par l’IRI.
- Les 13eme Rencontres Passeurs d’images, ” Traces de ville 2.0, les images dans la cité “, le 17 et 18 décembre au Docks, Cité de la mode et du design, organisé par Passeurs d’images.
- Le séminaire Muséographie et attention, ” Vers un art de l’ambiance “, le 17 décembre à l’IRI, organisé par l’IRI
- Le séminaire l’Humain au défi du numérique, ” L’âge du Faire, Hacking, travail, anarchie “, le 16 décembre au Collège des Bernardins, organisé par la Chaire des Bernardins “ l’Humain au défi du numérique “.
- Constructive Visualization : Expérimentation où un groupe de personnes non-expertes représente un dataset chiffré à l’aide de jetons colorés.
- Data sketching : Expérimentation où l’on demande à un groupe de dessiner un jeu de données et où l’on regarde ce qu’ils apprennent.
- Boris Razon est écrivain et il travaille pour France TV aux Nouvelles Ecritures. Les processus collectif de rédaction et de création sont au coeur de ses projets. Parmi les travaux évoqués nous retiendrons “Viols, les voix du silence », une plateforme regroupant des témoignages, “Génération poids”, 3 documentaires et un questionnaire d’enquête sociologique, “The ennemi », projet en réalité augmentée sur les aspirations de deux soldats de camps opposés.
- Fanny Chevalier est chercheuse à l’INRIA, laboratoire de Mjolnir à Lille. Elle a travaillé sur la visualisation de l’évolution de la construction d’un texte wikipédia (avec une timeline).
- Simon Bouisson est réalisateur de films interactifs (allant du documentaire à la fiction). Il nous a présenté quelques uns de ses projets traitant la narration et l’expérience du spectateur de façon originale ; “Les communes de Paris“ documentaire sur les déplacements de parisiens, “Jour de vote“ qui nous propose de nous glisser dans la peau d’un député, “Stain beau pays“ un film sans début ni fin sur des jeunes de la ville de Stain, “WEI OR DIE“ une fiction enquête sur un week end d’intégration qui tourne mal.
- Ulrich Fischer est plasticien. Son application “Walking the edit“ génère un film propre à chaque parcours dans la ville grâce à un ensemble de vidéos géolocalisées. Un algorithme choisi les fragments de film en fonction du parcours (lieu, vitesse, déplacement).
- Antoine Schmitt est plasticien. Son installation participative, “City light Orchestra“, voyage de villes en villes et propose à chacun de créer une œuvre le temps d’une soirée en transformant sa fenêtre – grâce à la lumière d’un écran d’ordinateur – en un pixel qui pulse au rythme d’une symphonie (imaginaire).
- Julien Nonnon est artiste et fondateur du studio Le3. Il propose des interventions de street art éphémères et parfois en mouvement grâce à la technique du mapping. Safari Urbain nous raconte de nouvelles histoires de villes.






























