Samuel Bédécarrats est Post doctorant rattaché au LAMPEA amU CNRS sous la direction de Gwenaelle Goude DR HdR CNRS

Re-penser le féminin à la Préhistoire : la recherche WomenSOFar (ANR-21-CE03-0008)
par Samuel Bédécarrats
Le genre en bioarchéologie
L’application des approches féministes dans l’étude du passé a donné naissance dans les années 1980 à l’archéologie du genre ou gender archaeology. En remettant les femmes dans les lectures archéologiques, cette approche a grandement renouvelé notre perception du passé par l’intérêt porté sur les vies des femmes, par l’analyse des rapports de domination et, par extension, en mettant en avant les groupes minorisés et invisibilisés. Cet intérêt croissant pour l’archéologie du genre se marque aussi bien dans les études de l’iconographie, des cultures matérielles et dans l’analyse biologique et funéraire des vestiges humains mis au jour lors de fouilles archéologiques (archéo-anthropologie).
Aborder le genre en préhistoire
La préhistoire, période documentée uniquement par les vestiges archéologiques, fait l’objet de nombreuses études par le prisme du genre. Cette période a connu d’importantes transformations dont le passage d’une économie de chasseur-cueilleur-collecteur à l’agriculture et au pastoralisme. Dans ces fonctionnements sont souvent recherchées les origines des rapports de domination actuels. Différentes grilles de lecture scientifique se sont succédées : la déesse mère et le matriarcat primitif (e.g. Morgan 1877), l’homme chasseur et la femme qui s’occupe des récoltes et de la sphère domestique (e. g. Lee et De Vore 1968), la femme chasseuse et guerrière (e. g. Lacy et Ocobock 2024). Toutefois, toutes ces lectures sont régulièrement remises en cause car faiblement appuyées par les preuves matérielles ou impossibles à généraliser en raison du grand nombre de contre-exemples. Ces approches reposent avant tout sur une vision binaire des structures genrées due d’une part à un actualisme difficilement dépassable et d’autre part à l’emploi de raisonnements par opposition qui définissent un groupe par rapport à un autre.
Du point de vue de la bio-archéologie, nos études permettent avant tout d’aborder des fonctionnements au travers de leurs expressions et conséquences biologiques comme la matri/patri linéarité, la matri/patri/néo localité ou l’exploration de divisions sexuées dans les activités et les conditions de vie. Ainsi Les rapports de domination tels que le matriarcat ou le patriarcat sont très difficiles à appréhender par le seul registre archéo-anthropologique.
Proposer une nouvelle approche – la recherche WomenSOFar
Le projet ANR WomenSOFar – (Histoires de vie et place des femmes chez les premiers agropasteurs. Perspectives bioarchéologiques dans le contexte préhistorique français et méditerranéen) propose un renouveau dans l’approche des femmes en tant qu’actrices des sociétés préhistoriques. L’originalité de cette étude est de baser la réflexion sur les témoignages biologiques (restes humains, archives environnementales) qui résultent en partie de comportements sociaux et qui sont potentiellement contraints par des espaces géographiques. Il s’agit également d’explorer la place des femmes, non pas en tant qu’individus déterminés par un sexe biologique, mais en tant que personnes ayant eu une histoire de vie, qui peut être mouvante (bébé, fille, femme et femme âgée) et complexe (ex. union, mobilité, maladies, famines). Nos travaux questionnent quatre grandes thématiques : l’alimentation, la mobilité, les activités physiques et certains soins apportés aux enfants. La période ciblée correspond à une phase de développement des premières sociétés agropastorales du Néolithique sur le territoire actuel de la France (principalement Vème millénaire avant notre ère). Nous explorons également des collections bioarchéologiques du nord de l’Afrique pour documenter à plus grande échelle les variabilités dans les constructions sociales et les conditions de vie.
Repenser les interactions sociales au regard du féminin
Nos résultats mettent en avant des différences entre les individus identifiés comme étant des femmes ou des hommes qui s’expriment en premier lieu en termes de variabilité et non de distinctions : les individus féminins ont des mobilités, des activités, des alimentations plus variées que les individus masculins.
De manière récurrente, un ancrage territorial semble plus marqué chez les individus masculins, amenant à replacer et analyser ces variabilités au regard de fonctionnements patrilocaux. A l’inverse, les mobilités des femmes sont plus variées et complexes. De plus, leurs activités sont également plus variées et peuvent témoigner d’une diversité et d’une muabilité de leurs rôles dans les groupes qu’elles rejoignent.
Les gènes, idées, techniques et objets s’échangent par les personnes. Les femmes sont potentiellement les agents des relations et des échanges entre les groupes au travers de leurs mobilités et de leurs activités. En effet, le changement d’environnement social implique une proactivité dans l’établissement de nouvelles relations et la contribution aux activités communes en serait l’expression tout en générant de la variabilité.
Leurs réseaux sociaux peuvent s’étendre au-delà de leurs nouveaux groupes au travers des échanges qu’elles peuvent maintenir avec leurs groupes d’origines et ceux que rejoignent leurs proches, comportements attestés dans les fonctionnements patrilocaux actuels (Fox et al 2022). Les femmes sont ainsi potentiellement les acteurs les plus importants des réseaux de relations entre des groupes éloignés géographiquement. A la patrilocalité s’ajoute une « matrisocialité » et l’action conjointe des deux construit des relations et équilibres entre des groupes qui se maintiennent géographiquement et temporellement. Cette « matrisocialité » que nous commençons à esquisser mérite d’être soumise aux différents registres de preuves archéologiques pour affiner sa définition, comprendre ses expressions matérielles et biologiques et discuter de son articulation avec les différents types de fonctionnements des sociétés néolithiques.Nous poursuivons nos travaux par une étude poussée de l’enfance, cherchant à retracer les variations dans les conditions de vie durant le développement pour les mettre en lien avec les pratiques parentales (par exemple l’âge au sevrage). Nous questionnons également l’existence de différences entre les filles et les garçons, les variations témoignant de la muabilité des statuts biologiques et sociaux (enfance, adolescence) et les impacts des événements survenus durant l’enfance sur le développement et l’âge au décès des individus.
Quelles pistes pour les futures études?
Entre la déesse mère du matriarcat primitif et la domination patriarcale avec bien sûr une vérité oscillant entre ces deux lectures, les études sur la préhistoire témoignent d’une variété géographique et temporelle dans les comportements des groupes humains. Cette variabilité est due à l’existence de statuts sociaux liés aussi bien au sexe, à l’âge, à la mobilité, au pouvoir économique, politique social et symbolique des individus. Caractériser cette diversité doit se faire en abandonnant la lecture linéaire menant à l’actuel, européanocentrée et androcentrée afin d’embrasser la richesse des organisations sociales dans le passé.
Vous pouvez retrouver l’actualité de WomenSOFar sur notre carnet hypotheses : https://womensofar.hypotheses.org/
Le projet WomenSOFar est financé par l’ANR (CE03 Interactions Humains-Environnement ANR-21-CE03-0008), a débuté en 2022 et se terminera en 2025. Il est coordonné par trois laboratoires, dont deux situés à Aix-Marseille Université, UMR 7269 LAMPEA (Gwenaëlle Goude), UMR 7330 CEREGE (Guillaume Leduc) et un à l’Université de Bordeaux, UMR 5199 PACEA (Stéphane Rottier). Il bénéficie de l’investissement d’une quarantaine de partenaires scientifiques venant d’institutions françaises et étrangères (Algérie, Espagne, Irlande, Maroc, Royaume Uni), d’une dizaine de collaborateur.ice.s ponctuel.le.s, ainsi que des contributions d’étudiant.e.s en master, d’une ingénieure et d’un postdoctorant.
- UMR 7269 LAMPEA : Gwenaëlle Goude, Samuel Bédécarrats, Hayette Berkani, Maëlle Couvrat, Jérémy Garniaux, Stéphane Renault
- UMR 7330 CEREGE : Guillaume Leduc, David Au Yang, Pierre Deschamps, Abel Guihou, Hélène Mariot, Corinne Sonzogni, Laurence Vidal
- UMR 5199 PACEA : Stéphane Rottier, Marie-France Deguilloux, Mélanie Pruvost, Jean-Paul Lacombe
- Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) : Romana Blaser, Vianney Forest, Muriel Gandelin, Yves Gleize, Sophie Martin, Frédéric Prodeo, Sylvie Saintot, Ivy Thomson
- Eveha International : Aurore Lambert
- Service archéologique du Val-d’Oise (SDAVO) : Jean-Gabriel Pariat
- Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP – Maroc) : Addeljalil Bouzouggar, Abir El Ouafi
- Université de Las Palmas de Gran Canaria (Espagne) : Jonathan Alberto Santana Cabrera
- UMR 5288 CAGT : Andaine Seguin-Orlando
- UMR 5554 ISEM : Laurent Bouby
- UMR 7264 CEPAM : Lionel Gourichon, Didier Binder
- Université d’Alger II (Algérie) : Iddir Amara, Yasmina Chaid-Saoudi
University of Glasgow (Royaume-Uni) : Kerry Sayle- University College Dublin (Irlande) : Robert Power
Bournemouth University (Royaume-Uni) : Mélie Le Roy- University of Valencia (Espagne) : Domingo Salazar-GarciaUniversité de Lille : Frédérique Blaizot
- Contributeurs ponctuels : Guy Andre (Lampea), Anaïs Baima-Rughet (Aix-Marseille Univ.), Fabrice Bray (Msap), Mathias Caire (Univ Toulouse), Charline Foray (Erasmus Mundus), Jai G. Hari (Aix-Marseille Univ.), Apolline Lambert (Univ Montpellier), Ichrak Larbi (Univ. Alger 2), Diane Lecler (Univ. Bordeaux), Vincent Ollivier (Lampea).
- Soutiens financiers et logistiques
- L’agence Nationale de la Recherche (ANR) finance le projet pour une durée de 4 ans entre 2022 et 2026. Également, nous avons reçu un soutien logistique important (mise à disposition des agents, prêts de matériels, coordinations techniques et accès aux collections) des différentes institutions partenaires et notamment des Services Régionaux de l’Archéologie (SRA, Ministère de la Culture), de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et de l’Institut d’Archéologie Méditerranéenne (ARKAIA, Aix-Marseille Université).
- Bibliographie
- Fox SA, Scelza B, Silk J, Kramer KL. New perspectives on the evolution of women’s cooperation. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences. 28 nov 2022;378(1868):20210424.
Lacy S, Ocobock C. Woman the hunter: The archaeological evidence. American Anthropologist. mars 2024;126(1):19 31.
Lee R, DeVore I. Man the hunter: Chicago (Ill.), Etats-Unis d’Amérique: Aldine; 1968.
Morgan LH. Ancient society or Researches in the lines of human progress from savagery, through barbarism to civilization. New-York, Etats-Unis d’Amérique: Henry Holt and Company, 1877.








s-clés : Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, est publié le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations. L’édition 2024




