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Fanny Lignon, membre du GEM, a publié tout récemment : Des jeux vidéo et des adolescents. A quoi jouent les jeunes filles et garçons des collèges et lycées ? », Le Temps des Médias, n°21, janvier 2014, p. 143-160.
C’est consultable en ligne : https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=TDM_021_0143
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Le colloque “Genre et violences dans les institutions scolaires et éducatives” aura lieu les 3 et 4 octobre prochain à Lyon, sur le site du Campus de Bron. Le programme est à consulter ici.
Signalons plus particulièrement que trois des membres du GEM interviennent très prochainement lors de ce colloque “Genre et violences dans les institutions scolaires et éducatives” :
Medhi Derfoufi : « Les masculinités adolescentes à l’épreuve des jeux vidéo de guerre. L’exemple de Call of Duty »
Annie Lechenet : « Observons-nous des violences liées au genre ? Oui, dans un jeu énigmatique »
Fanny Lignon : « Etude des programmes vidéo-ludiques fréquentés par les élèves »
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Fanny Lignon, enseignante-chercheuse, spécialiste des représentations du féminin et du masculin dans le numérique, a été interviewée par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. “Il faut faire en sorte que l’exigence de l’égalité devienne un label de qualité pour les éditeurs”, dit-elle, entre autres. La suite est à lire en ligne.
]]>Précisons au passage que je ne suis pas adhérente du mouvement FEMEN. Je suis en revanche féministe, passionnée par l’histoire des féminismes et particulièrement intéressée, du coup, par ce qui se joue dans cet affrontement virtuel par vidéo interposée. Décryptage… En violet le texte du communiqué des Antigones. En noir, mon propos. C’est du ligne à ligne, un peu fastidieux sans doute…
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Tout récemment, Angeline Durand-Vallot a publié Margaret Sanger et la croisade pour le contrôle des naissances dans la collection “Les fondamentaux du féminisme” d’ENS-Editions. Quelques éléments en ligne.
Un précédent post en lien avec ces thématiques est également à lire sur ce blog : https://gem.hypotheses.org/925
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Le colloque Genre et Jeux vidéo qui s’est tenu en juin dernier continue de porter des fruits. Retour sur cet événement avec l’entretien publié dans la revue Contretemps de deux de nos membres, Mehdi Derfoufi et Fanny Lignon. C’est à lire en ligne.
Un précédent post a été mis en ligne sur ce sujet sur le blog, ici.
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On les entend partout ou presque depuis le début de la semaine. Après leur action spectaculaire (prenez-en de la graine : inutile de se mettre à poil, mieux vaut se percher), les représentants de papas privés de leurs enfants par leurs ex-compagnes/ex-épouses ayant viré amazones depuis leur séparation ont été reçu le 17 février ont été reçus par la ministre de la justice, Christiane Taubira, et par Dominique Bertinotti, ministre déléguée à la famill, avec deux autres associations défendant les mêmes idées. Le premier ministre avait en effet jugé « très urgent de recevoir ces associations ». Voilà qui a de quoi poser la légitimité des revendications qu’elles portent.
On les entend partout et on est souvent agaçé-e-s, pour le moins, par la teneur misogyne de leurs propos. On a déjà beaucoup dit sur ceux de Serge Charnay, le papa perché de Nantes : « Ce qui m’énerve le plus, c’est (…) que les femmes qui nous gouvernent se foutent toujours de la gueule des papas ». C’est dégueulasse hein !, Serge, de se faire foutre de sa gueule par l’autre sexe parce qu’on n’en est pas. Je sais. En plus on s’habitue jamais, tu sais… Tu vois, d’une certaine façon, tu pourrais devenir féministe.
Hier, SOS Papa était sur France Inter à une heure de grande écoute pour Le téléphone sonne. Grand moment. Petit florilège. Un papa témoigne à l’antenne. Séparé de son ex-femme, qui a quitté le domicile conjugal et monsieur pour un de ses collègues, et refusé la garde partagée de leur fille de 4 ans. « J’ai été jugé par une femme », précise-t-il. Pas de réaction du journaliste. Pas de réaction du Secrétaire général du syndicat de la magistrature et juge des enfants au TGI de Nancy, Eric Bocciarelli. Pas de réaction de Maître Elodie Mulon, « avocat[1] spécialisé en droit de la famille ». On aurait pourtant pu faire remarquer plusieurs petites choses. Par exemple : le sexe du juge intervient-il de quelque manière que ce soit pour orienter son verdict ? La réponse est non, et croire le contraire c’est méconnaître la profession de magistrat-e. Le juge apprécie des faits et inflige des peines en conformité avec la loi et non avec ses humeurs. Si ça n’est pas le cas, je m’insurge et voudrais ici porter réclamation pour toutes les femmes qui, justiciables avant que de devenir juges, ont été massivement et pendant des siècles jugées par des hommes.

Les femmes ont été durablement exclues de la magistrature, comme de l’exercice du droit de manière générale, par des lois sexistes qui leur interdisaient jusqu’aux études supérieures. La première femme qui entreprend des études de droit en France est la roumaine Sarmiza Bilcescu. Le Conseil de la Faculté de Droit de Paris lui accorde l’autorisation de suivre les cours (pas à l’unanimité tout de même) en 1884. Première licenciée en Droit en 1887, elle soutient sa consacrée à La condition légale de la mère (l’histoire a un certain sens de l’ironie) en 1890. On connaît généralement mieux le cas de Jeanne Chauvin, qui soutient en 1892 une thèse consacrée aux professions accessibles aux femmes en droit romain et en droit français. Mais, quoi que docteur en droit, elle ne peut ni plaider, ni prêter serment puisqu’elle ne jouit pas des droits civiques qui lui sont nécessaires pour le faire. Les professeurs qui l’avaient autorisée à faire des études de droit n’avaient pas envisagé un instant qu’elle puisse vouloir en faire quelque chose ! Jeanne Chauvin demande son inscription au barreau de Paris le 24 novembre 1897. Sa candidature est jugée irrecevable dans un arrêt du 30 novembre 1897. L’impétrante est décidée à adopter d’autres modes de revendication… Mais elle n’escalade pas de grue ! Elle passe par la voie parlementaire. Le 30 juin 1899, on débat à la Chambre des députés de la proposition de loi déposée par René Viviani et plusieurs de ses collègues avocats, ayant pour objet de permettre aux femmes d’exercer la profession au nom du « principe de l’égalité d’accès à la profession d’avocat, à égalité de diplôme ». Après deux ans de discussion, la loi finit par passer et par entrer en vigueur. Il y aurait beaucoup à dire sur les arguments des opposants qui voyaient dans l’accession des femmes à la profession d’avocat « la fin d’une ère » (ce en quoi ils n’avaient pas tout à fait tort), voire de la famille bourgeoise (on peut rêver) et de la présomption de paternité (je sens que vous cherchez le rapport… moi aussi).
Les caricatures du temps montrent ces femmes avocats en corset et porte-jarretelles de dominatrice SM (il y aurait tant à dire sur les fantasmes à l’œuvre dans l’esprit des opposants au féminisme). Le 1er décembre 1900, la loi est votée. La première femme à prêter serment n’est toutefois pas Jeanne Chauvin mais Olga[2] Petit le 6 décembre 1900, soit 24 heures tout juste après la promulgation de la loi au Journal officiel. Jeanne Chauvin la suit quelques jours plus tard, le 19 décembre.
Pour ce qui est de la magistrature, les choses sont encore plus tardives. Il faut attendre 1946 pour que « l’un et l’autre sexe » puissent y accéder. Cette ouverture de la magistrature a bien sûr fait débat. « Sauf exception, les femmes d’une part sont inaptes à exercer nos fonctions d’autorité, d’autre part nuisent au prestige du corps judiciaire » indique ainsi le Substitut général de la Cour d’appel de Paris dans son rapport du 17 novembre 1955. Ce n’est pas le lieu pour moins de m’y arrêter. Je renvoie sur ce point celles et ceux que cela intéresse à la lecture de l’article d’Anne Boigeol, « Les femmes et les cours. La difficile mise en œuvre de l’égalité des sexes dans l’accès à la magistrature »[3].
Je m’interroge tout de même. Est-ce parce que le juge était un homme que Marie-Louise Giraud fut guillotinée au matin du 30 juillet 1943 pour avoir pratiqué 27 avortements (illégaux en vertu de la loi de 1920 qui en fait un crime passible de la Cour d’Assise et de celle de 1941 qui porte ces faits devant le Tribunal d’Etat) dans la région de Cherbourg ? Pensez-vous ! Est-ce parce que ses juges étaient des hommes que Marie-Antoinette a suivi son époux sur la guillotine le 16 octobre 1793, au terme d’un procès inique au cours duquel elle doit répondre notamment d’accusations d’attouchement sur la personne de son fils ? Quelle idée ! Est-ce parce que ses juges étaient des hommes de Jeanne d’Arc a été jugée pour sorcellerie et brûlée vive à 19 ans le 30 mai 1431 ? Qu’allez-vous donc chercher là !
Il ne s’agit pas de « compter les points », ni de demander aux hommes d’aujourd’hui d’assumer un devoir de repentance pour ces siècles de sexisme. En revanche, il s’agit bien de demander que cela cesse, et ce n’est pas en jouant les « papas » contre les «mamans », et les hommes contre les femmes, qu’on arrivera à quelque chose.
Au témoignage indigné du papa (mal) jugé par une (juge) femme, on aurait toutefois pu répondre aussi qu’il va falloir qu’il s’y fasse, au fait d’être jugé par des femmes. Parce que les filles sont nombreuses sur les bancs des facultés de droit, et sur ceux de l’école de la magistrature. En 2010, hommes et femmes se répartissaient de la manière suivante dans ce corps professionnel.
Les femmes sont majoritaires, mais rien n’interdit aux hommes de s’engager dans de telles études. Rien de leur interdit de passer les concours, ces concours dont on vante l’équité pour l’accession à la fonction publique quand ils consacrent la présence majoritaire d’hommes mais qu’on conteste quand ils font la part belle aux femmes. Il va falloir s’y faire, à la présence des femmes dans ces métiers autrefois prestigieux, bastions masculins longtemps imprenables (l’enseignement, la médecine) massivement féminisés depuis le tournant des années 1980. Et ne venez pas m’énerver en faisant rimer « féminisation » et « dévalorisation » d’une profession. Le problème, ce n’est pas la présence des femmes. Le problème c’est cette foutue « valence différentielle » qui persiste à considérer le féminin comme de moindre valeur que le masculin. Le problème ça n’est pas les femmes, mais les préjugés sexistes.
Dominique Bertinotti, déplorant les propos de Serge Charnay, a dit deux choses. « On ne peut pas empêcher des propos misogynes ou ordinairement machistes, ils sont encore légion assez courante ». Elle a tort. On peut. Et même on doit. « Seront punis des peines prévues à l’alinéa précédent [cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende] ceux qui (…) auront provoqué à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l’égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal ». C’est la loi, c’est en ligne, et c’est applicable quel que soit le sexe du/de la justiciable et celui du/de la juge. Elle a aussi dit que « ces propos rallument la guerre des sexes » : si c’est vrai, ça n’est pas le fait des féministes en particulier, ni des femmes en général. Serge Charnay et ses camarades de SOS-Papa réclament le droit de changer les couches de leurs enfants. Ils déplorent l’existence de préjugés sexistes qui conduisent à estimer qu’ils sont incompétents dans certains domaines supposément féminins (le foyer, l’éducation des enfants, etc.). Ils sont féministes ! C’est justement ce qu’on leur demande, de changer les couches, d’assumer leur part de la fonction parentale et de l’autorité qui va avec (qui, rappelons-le, est également partagée par le père et la mère depuis la loi du 4 juin 1970)[4], et de prendre leur part au fonctionnement du foyer, ce qui ne consiste pas seulement à rapporter pitance à bobonne mais aussi à passer l’aspirateur. 
C’est ça le féminisme, l’« analyse faite par des femmes (i.e. à partir de l’expérience minoritaire, pas au sens statistique mais au sens de dominée), des mécanismes de l’oppression des femmes en tant que groupe ou classe par les hommes en tant que groupe ou classe, dans diverses sociétés, et volonté d’agir pour son abolition »[5]. C’est la fin du système de domination des unes par les autres qui est réclamé par le mouvement. Pas la fin des hommes ! On peut rassurer les militants de SOS Papas. En revanche, il faut faire preuve d’un peu de bonne foi et arrêter vos délires messieurs. Sur les écarts de salaires, vous vous êtes illustrés piètrement (voir en ligne) : « les hommes s’impliquent plus fortement dans des fonctions où les heures sont sans limite et la disponibilité, les voyages professionnels sont fréquents ». Reconnaissons que ça n’est possible que parce que Madame assure à la maison et modère ses propres ambitions professionnelles. Sur le mariage universel[6], « un long processus conduit par le lobby lesbio-féministe pour obtenir les enfants qu’elles ne peuvent produire elles-mêmes entre elles ». Bichette, faut qu’on t’explique : nous les femmes on n’a pas besoin de t’épouser pour te faire un enfant dans le dos et obtenir l’enfant en se passant du père. J’ironise (précisons-le, l’humour étant souvent assez mal partagé), en attendant qu’on invite les mouvements féministes, dans toute leur diversité, aux ministères et sur France Inter.
[1] C’est ce qu’indique le site de France Inter a qui on pourra faire remarquer que la première circulaire sur la féminisation des noms de métiers et de professions remonte à 1986, époque glorieuse où Yvette Roudy était « ministre des droits de la femme » (l’appellation seule a un peu vieilli). Sous le gouvernement Jospin un Guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions. On le consulte en ligne.
[2] Il est intéressant de relever que les premières femmes à entreprendre des études supérieures en France sont presque systématiquement d’origine étrangère, notamment d’Europe centrale et orientale (russes, roumaines, polonaises). On constate le même phénomène pour les étudiantes en médecine. Cela s’explique par la qualité des études secondaires féminines dans ces pays à l’époque, par l’existence d’une élite francophile et francophone libérale pour ce qui concerne la condition féminine, et par la fermeture des cours d’enseignement supérieurs où ces jeunes femmes pouvaient précédemment s’inscrire dans leur pays d’origine. Elles se replient alors sur la Suisse ou la France où les Conseils de Faculté les autorisent à s’inscrire, considérant qu’elles ne voudraient de toute façon pas exercer la profession pour laquelle elles étudiaient, ou alors pas en France, ce qui préserveraient les étudiants et les professionnels français d’une concurrence jugée déloyale.
[3] Anne Boigeol, « Les femmes et les cours. La difficile mise en œuvre de l’égalité des sexes dans l’accès à la magistrature », in Genèses, n°22, mars 19996, p.107-129. En ligne.
[4] Avant, on ne parle pas d’ « autorité parentale », mais de « puissance paternelle ». Ambiance…
[5] Nicole-Claude Mathieu, L’Anatomie politique, Paris, Côté-femmes, 1991, p.135.
[6] C’était en ligne, mais apparemment on n’assume plus tout à fait cette prose…
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On a, bien sûr, beaucoup parlé de l’offensive masculiniste, articulée autour du coup d’éclat de Nantes[1]. Autour de ce premier événement, il me paraît nécessaire de faire œuvre de pédagogie et de préciser un certain nombre de points. D’abord, le masculinisme n’est pas le pendant masculin du féminisme, un mouvement d’hommes « antisexistes » qui voudraient lutter aux côtés des femmes pour l’égalité des droits de toutes et tous. Le terme est défini au début des années 1990 par la philosophe Michèle Le Dœuff qui déclare vouloir nommer ainsi « ce particularisme qui, non seulement n’envisage que l’histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d’une affirmation : il n’y a qu’eux qui comptent et leur point de vue »[2]. En tant que tel, le mouvement masculiniste tire ses origines des combats menés par des groupes d’hommes divorcés contre le versement des pensions alimentaires. Aujourd’hui ce discours se double de la déploration d’une prétendue « crise de la masculinité » et d’une féminisation des hommes. Y’a plus de vrais mecs, plus de couillus, plus de barbus, plus de place pour l’humour gras et les mains aux fesses (ou dans la gueule). Les féministes les ont tous castrés (si seulement…). Le masculinisme est une des expressions de la misogynie et de l’antiféminisme. C’est une idéologie qui s’exprime dans un mouvement social organisé par des hommes, parfois violents, clairement hostiles à l’émancipation des femmes et souhaitant conserver leurs privilèges et leur position dominante au sein de la société. Il produit des discours visant à défendre les intérêts des hommes, et à les présenter comme des victimes de féministes qui seraient allées « trop loin » et des femmes en général (mères castratrices, épouses abusives…). Cette idéologie progresse : elle n’est pas le fait de quelques individus isolés. Elle s’inscrit dans le cadre d’un mouvement général de la pensée qui nie les rapports de domination et conteste aux opprimé-e-s le droit légitime à combattre l’oppression et à revendiquer l’égalité. On peut donner quelques exemples de réflexions qui émanent de ce courant de pensées, en lien avec une montée de l’humeur dite « anti-politiquement correct » (incarnée en France par Eric Zemmour par exemple). Les dominants se plaignent de ne plus pouvoir rien dire d’insultant ou de stigmatisant à l’encontre des dominé-e-s, mais en plus ils se font passer pour des victimes (du racisme anti-blanc, du sexisme anti-mec », etc). Bref, c’est vraiment devenu trop dur d’être un homme blanc aujourd’hui !
Avec ces foutues bonnes femmes qui veulent tout : travailler et enfanter, réussir et s’épanouir, se marier (ou pas) et jouir en prime. En plus, imaginez-vous que certaines prétendent faire tout ça sans recourir à ces messieurs. Non mais ! où va-t-on ? Tout fout le camp. Si c’est pas un symptôme de plus de la décadence de nos sociétés… Classiquement, ce genre de réactions s’exprime chaque fois que les rapports entre les sexes sont mis en question, que la revendication de l’égalité émane des groupes dominés. Il existe, en ligne, un Petit guide d’autodéfense intellectuelle contre le masculinisme que je trouve vraiment bien fait.

Rappelons simplement, pour mémoire, que le mouvement masculiniste n’est pas seulement un mouvement d’humeur. Cette idéologie fait les multiples victimes silencieuses que l’on sait. En France, au début du XXIe siècle, une femme meurt sous les coups de son compagnon/de son conjoint, de son ex-compagnon/ex-conjoint tous les 3 jours (72 heures, vous avez bien lu). En 2011, 122 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex-compagnon. Le 6 décembre 1989, la tuerie de l’Ecole Polytechnique de Montréal perpétrée par Marc Lépine a fait 14 morts (4 hommes, 10 femmes).
Dans l’actualité de ces derniers jours, 2 autres séries d’événements ont retenu mon attention. D’abord, à Lyon, un violeur en série sème l’angoisse sur les campus depuis le mois d’octobre dernier. Les victimes sont des jeunes femmes, âgées d’une vingtaine d’années, agressées en fin de soirée, apparemment sous la menace d’une arme blanche. Ces derniers jours, l’affaire prend une ampleur importante. Vendredi 15 février, les présidents des universités Lyon 1 et Lyon 3 ont informé par mail quelques 50.000 étudiant-e-s, les incitant à la prudence lors de leurs déplacements. Hier, l’information a commencé à circuler via les réseaux sociaux et les SMS, et là, on en rajoute une louche pour l’angoisse. Le violeur infligerait à ses victimes le « sourire de l’ange ». Pire encore, de prétendus « gangs » recourraient à un « petit garçon » pleurant comme « appât »[3]. Entendons-nous bien. Il ne s’agit nullement ici de nier la gravité des faits qui se sont déroulés ces derniers mois à Lyon et pour lesquels une information judiciaire est ouverte. Mais l’historienne en moi, rompue à l’exercice de critique des sources, s’interroge. De 5 victimes « officielles » recensées dans la presse, on passe à 6 dans les réseaux sociaux, et on pimente le tout avec ces histoires d’appât et de mutilations des victimes au visage.
Plusieurs choses me dérangent là-dedans.
D’abord, l’utilisation indifférenciée et sans discernement d’expressions peu claires renvoyant à des réalités abjectes. On lit ainsi indifféremment « sourire de l’ange » ou « sourire kabyle ». D’abord ça n’est pas la même chose. Le « sourire de l’ange » consiste à entailler la commissure des lèvres de la victime, ce qui a pour effet de la défigurer si elle hurle. Le « sourire kabyle », c’est méthode d’assassinat employée entre autres par des éléments du FLN pendant la guerre d’Algérie (mais pas seulement : l’armée française aurait camouflé bien des crimes en procédant de même), consistant à égorger la victime et, parfois, à lui trancher également les parties génitales avant de les introduire dans la plaie ainsi élargie. Désolée pour le raffinement de détails sordides, mais j’ai horreur qu’on soit imprécis… Et merci de veiller à l’usage des guillemets. Toutefois, le problème n’est pas tant là que dans l’utilisation de ces expressions, qui sont celles des bourreaux, par le grand public. Moi, ça me fait le même effet que quand j’entends des journalistes parler de « tournantes ». Parler de « viols collectifs » a le mérite d’être plus clair et de ne pas consacrer l’usage banalisant des termes des violeurs[4]. « Faire tourner une fille », ça veut dire la massacrer, ni plus ni moins, la réduire à un objet qu’on peut en toute conscience se partager et avilir tout son soûl.

Ensuite, les invitations, bienveillantes bien sûr, à la prudence : « Prenez soin de vous et ne rentrez pas tard ». Et allez ! Ben oui quoi, à défaut d’enfermer les violeurs, incitons les femmes à s’enfermer elles-mêmes, et de leur propre chef en plus. Remarquez que la même idée a germé dans la tête de certains en Inde en décembre dernier : interdisons aux filles et aux femmes de sortir le soir pour les protéger. On aurait pu imaginer un appel à la levée en masse des filles et des femmes : « Sortez de chez vous, et hurlez votre soif de liberté, même le soir, même la nuit. Organisez-vous pour vous déplacer collectivement. Impliquez les hommes/les garçons de votre entourage pour qu’ils soient attentifs à ce qui peut se passer autour d’eux et aient les c… d’intervenir à vos côtés en cas d’agression. Multipliez les initiations à l’auto-défense, parce que vous n’êtes pas FAIBLES, vous n’êtes pas ISOLÉES, vous n’êtes pas TOUTES DES VICTIMES POTENTIELLES ». Sauf que ça n’est pas ça qui se passe.
Et pendant ce temps-là, sous d’autres cieux pas si éloignés des nôtres, la psychose frappe aussi les femmes et les filles de Marrakech. On peut lire le détail des faits en ligne. Je résume. Depuis quelques semaines, une page Facebook intitulée « Scoop Marrakech » terrorise les jeunes filles marrakchies. Y sont régulièrement publiées des photos prises dans des lycées, des piscines, des cafés, voire lors de fêtes privées. Ce sont des photos banales pour la plupart, mais les commentaires qui les accompagnent sont d’une extrême violence : insultants, ils font aussi mention des noms des jeunes filles et femmes photographiés, avec précisions sur leur lieu de résidence, leurs fréquentations… On vous surveille, on vous le fait savoir, on épie vos agissements et on vous conspue pour ça. Méfiez-vous, vous pourriez bien payer le prix fort pour cette émancipation insupportable !
S’il en s’agit nullement de minimiser la nécessité de la prudence, il me paraît toutefois essentiel de ne pas perdre de vue que la solution au problème ne réside pas dans une surveillance encore accrue des filles et des femmes ou dans un enfermement de ces dernières fût-il (prétendument) consenti. La géographie s’intéresse au problème depuis quelques temps[5], et tend plutôt à remettre en cause la prétendue vulnérabilité « naturelle » des femmes dans l’espace public, soulignant la part de fantasmes qui nourrit un sentiment d’insécurité bien réel en revanche et conduit, comme dans d’autres domaines, les femmes à s’auto-censurer, à s’interdire certains lieux, certains horaires, certains déplacements, certaines tenues vestimentaires, etc. 
N’adoptons pas de comportements contre-productifs. Informons-nous. Soyons normalement prudentes. Formons-nous à l’auto-défense. Mais surtout, prenons confiance en nous, en nos forces pour nous défendre contre un éventuel agresseur, en la solidarité du groupe des femmes qui n’ignoreront pas un appel à l’aide, en la solidarité tout court d’ailleurs, des hommes comme des femmes. Et ne nous terrons pas chez nous dès la nuit tombée, comme des lapin-e-s effrayé-e-s au fond de leur terrier. Toutes les femmes ne sont pas des victimes. Tous les hommes ne sont pas des violeurs. Et nous sommes quelques-unes (nombreuses) à être courageuses.
[1] Sur le sujet certain-e-s ont même fait des revues de presse détaillées. Je mets ici en ligne la substance de celle proposée par Martin Dufresne tout récemment.
Henri Damien, « Une opération médiatique du lobby masculiniste : “le show des grues” », 17 février 201. A lire sur son blog.
Gilles Devers, « Les papas maltraités par justice ? C’est du n’importe quoi ! », sur le site Actualités du droit. La place de la justice dans la société, 18 février 2013. En ligne.
Martin Dufresne, « Face aux conjoints agresseurs : La danse avec l’ours – Entrevue avec le psychologue québécois Rudolf Rausch », in Nouvelles Questions Féministes, 2002. En ligne.
Isabelle Germain, « Le lobbying des pères en haut des grues », Les nouvelles news, 18 février 2013. En ligne.
Sandrine Goldschmidt, « Masculinistes: le gouvernement va-t-il vraiment céder au chantage ? », 18 février 2013. A lire sur son blog.
Beaucoup de comptes-rendus de ce ressac patriarcal et de la résistance féministe et pro-féministe sont archivés sur le site Sisyphe.org, et consultables en ligne.
Pour en savoir plus sur le mouvement masculiniste :
Un film documentaire de Myriam Tonelotto et Marc Hansmann, In Nomine Patris. Ce que veulent les mouvements de pères, Productions La Bascule – NDR – Arte, 2004. Des détails en ligne.
Un film documentaire de Claudie Dejà, Drames de la séparation : Quand le père devient l’ennemi, Productions Arte, 2004.
Sur le « syndrome d’aliénation parentale », que le lobby des pères veut faire inscrire dans une loi pour discréditer toute demande de garde exclusive, lire entre autres Dominique Ferrières, « SAP: Constat préoccupant par le rapporteur de l’ONU (en 2002 et 2003) », 12 novembre 2012. En ligne.
Et, bien sûr, bien sûr, il faut lire Léo Thiers-Vidal, « Humanisme, pédocriminalité et résistance masculiniste », in Rupture anarchiste et trahison proféministe – écrits et échanges de Léo Thiers-Vidal, Lyon, Éditions Bambule, de Lyon. C’est consultable en ligne, ce qui ne dispense évidemment pas de l’acheter…
[2] Michèle Le Dœuff, L’étude et le rouet. Des femmes, de la philosophie, etc., Paris, Seuil, 1989.
[3] Le SMS que j’ai moi-même reçu hier soir est édifiant. Je le reproduis dans son intégralité en respectant la mise en forme originale : « A L’ATTENTION DE TOUTES LES FEMMES ET FILLES : si vous allez chez vous, rentrez de l’école, du bureau ou de n’importe où, et que vous tombez sur un petit garçon qui pleure et tient un morceau de papier avec une adresse dessus. NE LE CONDUISEZ PAS À CETTE ADRESSE ! Emmenez-le directement au poste de police. C’est en fait une nouvelle façon pour les “gangs” de violer. Prévenez vos familles, vos amis. Transférez ce message au maximum, ça peut sauver des vies. URGENT : 6 femmes se sont fait violer à Grange Blanche, Monplaisir. De plus, l’agresseur leur a fait le sourire de l’ange au cutter. Des policiers sont en civil à Grange Blanche. Prenez soin de vous et ne rentrez pas tard. Faites passer l’info ».
[4] Sur ce point, je renvoie à la lecture des réflexions du sociologue Laurent Mucchielli. On peut commencer par lire ça en ligne.
[5] On peut recommander la lecture de l’ouvrage de Guy Di Méo, Les murs invisibles. Femmes, genre et géographie sociale, Paris, Armand Colin, 2011, 344 p. Le CNRS a aussi produit une note de synthèse sur L’usage de la ville par les femmes. A lire en ligne.
Le Dimanche 27 Janvier dans Divers aspects de la pensée contemporaine sur France Culture, rencontre avec Sophie Christin Maître, professeure d’endocrinologie. C’est en ligne.
Sur le même sujet, Les Matins de France culture, avec Marc Voinchet, recevait le 30 Janvier dernier Philippe Even, Président de l’Institut Necker Professeur émérite à l’université Paris-V et Danièle Hassoun, gynécologue. En ligne aussi : “Scandales sanitaires : la pilue passe mal“.
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À l’heure où l’on s’interroge, légitimement semble-t-il, sur la dangerosité des pilules dites « de troisième génération » en raison du dépôt de plainte de Marion Larat, victime d’un accident vasculaire cérébral en 2006, je trouve qu’il pourrait être salutaire d’élargir un tout petit peu le champs de la réflexion[1]. Pourquoi la contraception demeure-t-elle, encore et toujours, une affaire de femmes et, au-delà de la question stricte des pilules de troisième génération, que penser de la mise sous hormonothérapie au long cours de millions de femmes ?
Commençons par une petite mise au point : qu’est-ce qu’une pilule de troisième génération ? et profitons-en pour faire, modestement, une petite histoire de la pilule contraceptive. Il y a des pilules de troisième génération parce qu’il y a des pilules de première, de deuxième, et même de quatrième génération, évidemment.
Le terme « génération » rend compte de l’évolution de ces pilules contraceptives et, bien sûr, des risques associés à leur prise, qui varient en fonction des versions. La grande majorité des contraceptifs oraux sont des contraceptifs combinés contenant à la fois un œstrogène et un progestatif, qui sont des dérivés synthétiques de l’œstradiol et de la progestérone, deux hormones sécrétées par les ovaires et impliquées dans le contrôle du cycle menstruel. C’est le progestatif qui est contraceptif, l’œstrogène étant seulement là pour rendre la prise « plus confortable ». Et d’une génération de pilule à l’autre, c’est la nature des progestatifs utilisés qui change.
Les pilules de première génération étaient commercialisées dans les années 1960. Elles contenaient de fortes doses d’œstrogène et avaient donc, vous l’imaginez bien, des effets secondaires multiples (gonflement des seins, nausées, migraines et troubles vasculaires). Il ne reste plus qu’une seule pilule de ce type disponible en France à l’heure actuelle, la Triella, dont le progestatif est la noréthistérone. Les pilules de deuxième génération, apparues dans les années 1970 et 1980, contiennent des progestatifs comme le lévonorgestrel ou le norgestrel, ce qui permet de baisser les doses d’œstrogène et combattre certains des effets secondaires des pilules de première génération. Mais elles comportent toujours un petit risque de thrombose veineuse (phlébite – c’est-à-dire obstruction d’une veine, le plus souvent dans les membres inférieurs – ou embolie pulmonaire – lorsqu’un caillot sanguin vient bloquer le sang irriguant un poumon), notamment en cas d’antécédents familiaux. Les principales spécialités commercialisées sont Minidril, Adepal, Trinordiol. Le lévonorgestrel est également le composant de la pilule dite du « lendemain » Norlevo. Les pilules de troisième génération ont été commercialisées à partir des années 1990. Elles contiennent trois nouveaux progestatifs, le désogestrel, le gestodène et le norgestimate, qui étaient censés avoir moins d’effet androgénique et donc atténuer l’acné, tout comme la tolérance cardio-vasculaire. « Censés », dis-je, car en 2002, la commission de transparence qui faisait à l’époque partie de l’Agence du médicament avait conclu à « l’absence d’amélioration de service médical rendu » par ces pilules. En revanche, des études ont montré qu’elles faisaient courir un risque d’accident thrombo-embolique deux fois plus élevé que les pilules de deuxième génération. Enfin, les pilules de quatrième génération sont les dernières à avoir fait leur apparition. Le progestatif le plus utilisé est la drospirénone (les spécialités les plus connues sont Jasmine et Yaz). Leurs effets secondaires sont globalement les mêmes que ceux des pilules de troisième génération c’est-à-dire, si on en croit la Haute Autorité de Santé, qu’elles comportent un risque plus important de thrombose (comprenez qu’un caillot de sang se forme dans une veine ou une artère, pouvant à terme entraîner une embolie pulmonaire, un accident vasculaire cérébral ou un infarctus du myocarde) que les précédentes et qu’elles ne doivent pas être recommandées comme première contraception. Voilà pour les quatre générations de pilules contraceptives.
Venons-en maintenant à une petite histoire de la pilule contraceptive dont il ne s’agit nullement, bien sûr, de nier la dimension révolutionnaire. Evidemment, l’usage de ce qu’il faut bien appeler un « médicament » présente toujours des risques, mais ces risques doivent être mis en balance avec les bénéfices induits par la prise en question. Or, pour les femmes, le contrôle de leur fécondité est, sans doute possible, une révolution majeure car cela participe indéniablement de leur émancipation. Avoir une sexualité épanouie sans angoisser après chaque rapport à cause du risque de grossesse, c’est certainement très appréciable. Cela étant dit, quand l’histoire de la pilule contraceptive commence-t-elle ? Dès les années 1920, les scientifiques découvrent que l’ovulation est bloquée, durant la grossesse, par l’action d’hormones sécrétées par les ovaires : les progestatifs[2]. Une vingtaine d’années plus tard, la synthèse artificielle d’hormones permet d’envisager la production d’une pilule contraceptive. C’est le chimiste mexicain Luis Miramontes qui met au point la noréthistérone, une hormone synthétique contraceptive, en 1951.

Margaret Sanger (infirmière, fondatrice de la première clinique de l’association Planned Parenthood aux Etats-Unis et milite donc pour le contrôle des naissances) et Katherine McCormick (biologiste, suffragette, philanthrope et millionnaire, ce qui aide considérablement, bien sûr) sont à l’origine de la recherche sur le sujet. Elles présentent alors l’idée à l’endocrinologue Gregory Pincus qui lance l’expérimentation à Porto Rico et en Haïti à partir de 1956 (et il y aurait bien sûr beaucoup à dire sur la domination Nord/Sud à l’œuvre dans ces expérimentations…).

La commercialisation du composé actif de la pilule contraceptive est alors autorisée en 1960 par la Food and Drug Administration, après avoir été d’abord admise pour remédier à certains dérèglements hormonaux (faut pas rigoler non plus, il ne s’agissait pas tout de suite de valider l’idée que les femmes puissent s’envoyer joyeusement en l’air sans mauvaise conscience ni risque de grossesse, non plus !). La pilule contraceptive débarque un an plus tard en Grande-Bretagne, tandis que la contraception est encore interdite en France par une loi de 1920 réprimant « la provocation à l’avortement et la propagande anti-conceptionnelle ». En 1961, le premier centre de planification familiale est créé dans la clandestinité à Grenoble. On y importe des pilules venues d’Angleterre et de Suisse. Leurs vertus contraceptives ne sont cependant pas mentionnées, ces petits comprimés sont réputés pour régulariser les règles. De nombreux maux leurs sont injustement attribués comme le développement de certains cancers ou certaines malformations natales postérieures. La pilule est même parfois accusée de rendre stériles les femmes qui l’utilisent. Les médecins français se mettent de la partie, et le Conseil de l’Ordre déclare ainsi en 1962 que « le médecin n’a aucun rôle à jouer dans l’application des moyens anticonceptionnels ». On croit rêver… Aujourd’hui, c’est clairement l’excès inverse dans lequel se débattent les femmes, auxquelles les médecins demandent rarement quelle contraception leur conviendrait le mieux (non mais, vous plaisantez, que voulez-vous qu’elles en sachent ?…) Finalement, c’est en 1967, grâce à la loi Neuwirth, du nom du député gaulliste qui la défendit à l’Assemblée nationale, que la pilule contraceptive devient légale en France (mais les décrets d’application de la loi sont tardifs, et ne paraissent qu’entre 1969 et 1972). On peut en apprendre bien davantage sur les retards en lisant l’article de Sophie Chauveau paru dans la revue Clio. Histoire, femmes et sociétés en 2006 : « Les espoirs déçus de la loi Neuwirth » (en ligne). Au passage, et sans faire de mauvais esprit, notons tout de même que les archives du ministère de la Santé montrent bien comment l’administration a tergiversé avant de promulguer les indispensables autorisations de mise sur le marché, invoquant la nécessaire protection de la santé publique…
Bref, les femmes françaises finissent tout de même par avoir accès à la pilule contraceptive, et à partir de 1974 elle est même remboursée par la Sécurité sociale. La démocratisation du contraceptif est alors lancée. La même année, une loi autorise également la délivrance de la pilule contraceptive aux mineures sans l’autorisation de leurs parents. En 1981, Yvette Roudy, alors ministre des droits de la femme, lance la première campagne télévisuelle sur la contraception, mais ce n’est qu’en 1991 (loi n°91-73) que la publicité pour les préservatifs et certains autres contraceptifs est autorisée, sous certaines conditions (depuis 1999, la publicité pour les contraceptifs est légale en France, il était temps !). La pilule contraceptive est donc entrée dans les mœurs et c’est aujourd’hui le moyen contraceptif le plus utilisé : une femme sur trois y a recours et plus de 55 % des femmes utilisant un moyen de contraception utilisent celui-là.
Quels sont les risques liés à l’utilisation de la pilule contraceptive ? Puisque tout est affaire de dosage des différentes hormones, pour les pro du sujet, j’ai trouvé en ligne un tableau récapitulatif des dosages qui me semble assez complet sur la composition des différentes générations de pilule. Le risque majeur, c’est un risque d’hypercoagulation entraînant la formation d’un caillot de sang à l’origine d’une thrombose, d’une embolie, d’un accident vasculaire cérébral, etc. Ne nous affolons pas tout de suite cependant, selon l’Inserm, ces facteurs d’hypercoagulabilité concernent 8 % des Françaises seulement. Ajoutons que le risque de thrombose est lié, certes, à la prise de la pilule, mais dépend aussi d’autres facteurs favorisants (tabac, voyage en avion, immobilisation prolongée, anomalie génétique de la coagulation, etc.). Mais il faut reconnaître que les risques ne sont pas nuls, même une fois délivrée l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament, car toute AMM s’appuie sur des études portant sur des effectifs restreints, de l’ordre de quelques milliers de patientes et donc les effets indésirables rares ou peu fréquents peuvent n’être observés qu’après utilisation à une échelle plus grande, donc après la mise sur le marché. D’où la nécessité d’une stricte pharmacovigilance qui doit permettre de faire remonter aux autorités sanitaires tout événement indésirable. D’où l’importance que le discours médiatique sur les médicaments ne soit pas complétement brouillé, selon les moments, soit par l’omniprésence de la parole de médecins médiatiques mais sous influence[3] qui minimisent les risques, soit par la panique généralisée qui les amplifie considérablement.
Rappelons donc, en passant, que c’est la grossesse, et non la pilule, qui entraîne le plus grand risque de thrombose veineuse (6 cas pour 100 000 femmes enceintes contre 4 cas pour 100.000 pour les femmes utilisant des contraceptifs de 3e ou 4e génération, et 2 cas pour 100.000 pour les contraceptifs de 2e génération) comme le souligne l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Venons-en ensuite aux moyens de contraception utilisés par les femmes françaises aujourd’hui. L’INED propose en ligne un dossier complet sur le sujet dont je vous résume ici la substance. Les données les plus récentes à notre disposition datent de 1994 (enquête ESFE) qui permet de faire le bilan des pratiques contraceptives. Plus de deux femmes sur trois entre 20 et 49 ans (69 %) utilisent une méthode contraceptive. Les autres, qui n’en utilisent pas, ne sont pas pour autant exposées au risque d’une grossesse non désirée : 7% sont stériles – elle ou leur partenaire – de façon naturelle ou parce qu’elles ont subi une opération stérilisante, 11 % n’ont pas de partenaire sexuel, enfin 8% sont enceintes ou cherchent à le devenir. Il ne reste donc que 3% de femmes n’entrant dans aucune des catégories ci-dessus, et disant ne plus vouloir d’enfants et n’utiliser aucune méthode contraceptive.
La pilule est de loin la première méthode contraceptive, avec 36 % d’utilisatrices parmi les femmes d’âge fécond (20-49 ans) soit une femme sur trois qui prend la pilule toute de même ! La proportion est maximale chez les jeunes de 20-24 ans (59 %) et décroît ensuite régulièrement avec l’âge. Le stérilet occupe la seconde place, avec 16 % d’utilisatrices ; la tendance selon l’âge est ici très différente, avec un maximum entre 35 et 44 ans (près de 27 %). Les autres méthodes n’occupent plus qu’une place restreinte, le préservatif (5 % comme méthode principale) devançant légèrement l’abstinence périodique (4 %) ; le retrait, méthode traditionnelle des couples français jusque dans les années soixante, n’est plus déclaré que par 2% d’entre eux. Pour 100 femmes de 20-49 ans pratiquant une contraception, 56 prennent la pilule, 25 le stérilet et 19 une autre méthode. Le modèle contraceptif français est donc bien axé sur le tout pilule, ce qui n’est pas sans poser question, voire problème. C’est en effet loin d’être le cas chez beaucoup de nos voisins européens par exemple.
Certains médecins s’en alarment, et ça ne date pas d’hier.

Sur ce point on lira avec profit la mise au point de Martin Winckler en date du 31 décembre dernier, qui est en ligne sur son site. Ce médecin est par ailleurs l’auteur d’un livre salutaire, Choisir sa contraception, à mettre entre les mains de toutes les femmes. Parce que oui, on a le choix, on n’est pas obligé d’en passer par la pilule (le site officiel de l’INPES permet aussi d’y voir clair). 
Certaines méthodes contraceptives ne sont que très mal connues en France (pour vous documenter, lisez ça : contraception_tableau_recapitulatif). Vous avez déjà vu un préservatif féminin vous ? On vous a déjà parlé d’anneau vaginal ou de cape cervicale ? Savez-vous que la stérilisation à visée contraceptive existe[4] et qu’elle est légale en France depuis 2001 même si c’est un processus assez long ? En France, la vasectomie, qui est une méthode de stérilisation qui consiste à sectionner ou bloquer chirurgicalement les canaux déférents qui transportent les spermatozoïdes, reste très peu courante, contrairement à ce qui se passe en Allemagne, en Autrice, en Belgique, ou dans les pays anglo-saxons. Les mâles français semblent craindre pour leur virilité davantage que pour la santé de leurs compagnes, qui vivent de longues périodes de leur vie sous pilule… Bref, on a matière à se poser des questions. D’abord, hormones ou pas hormones ? That is the question. Ensuite contraception pour madame ou contraception pour monsieur ? Là encore, on peut questionner ce qui semble aller de soi (et même on doit !).
J’en termine donc par cette interrogation : que sait-on des effets de la mise sous hormonothérapie au long cours d’une part importante de la population féminine ? Faut-il se réjouir de la création par les régions d’un Pass Contraception[5] permettant aux « jeunes filles qui, pour des raisons sociales, financières ou familiales, ont des difficultés d’accès à la contraception », d’y avoir droit ? Sans doute. Bien sûr que les grossesses non désirées doivent être évitées. Mais on peut s’étonner ces pass ne soient proposés qu’aux filles, non ?
Pour toute question complémentaire, le numéro vert mis en place par le Ministère de la Santé et le Ministère des droits des femmes : 0800 63 66 36 Complément d’information en ligne.
[1] Il serait temps me direz-vous, puisque la Haute Autorité de santé a fait part de ses inquiétudes concernant ces pilules dès 2007. Notons en plus qu’aujourd’hui, Europe oblige, la présence d’un médicament sur le marché dépend d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) accordée par l’Agence européenne du médicament, laquelle a commencé à prendre en compte les alertes scientifiques concernant les pilules de troisième génération dès… 1995 !
[2] Il en découle une nouvelle façon d’appréhender le corps humain, « construit hormonalement » pour parler comme Nelly Oudshoorn, auteure d’une mise au point efficace sur le sujet (et en français en plus) dans L’invention du naturel dirigé par Delphine Gardey. Sur ce point, on peut lire pour ce mettre en bouche ce résumé disponible sur le net.
[3] Sur ce point, on peut lire l’article paru dans Le Monde le 11 Janvier 2013, qui montre que les gynécologues les plus médiatisés en France ont mal (voir pas du tout) communiqué sur les risques liés aux pilules de troisième génération en raison de leur notoriété et de leurs liens avec les laboratoires. C’est en ligne.
[4] Il y a 3 méthodes : la vasectomie (pour les hommes), la ligature des trompes et les micro-implants – Essure (pour les femmes). Pour plus d’info, c’est en ligne.
[5] C’est notamment le cas en Poitou-Charentes, on peut se rendre sur le site de la région pour un complément d’information. Mais ça existe aussi en Ile-de-France, en Champagne-Ardenne, dans les Pays de la Loire, en PACA, en Rhône-Alpes…
« On leur avait dit, aux féministes, que ça nous retomberait un jour sur le coin de la figure cette histoire d’égalité des sexes. Ben voilà, c’est plié (…) avec la décision de l’Union Européenne de mettre fin à l’écart des primes d’assurance automobile favorable aux femmes au motif qu’il y aurait là un cas patent de discrimination sexuelle ».
Voilà le genre de raccourci qui me met dans tous mes états, parce qu’en plus il va dans le sens d’un discours très tendance sur le mode : la lute féministe fait plus de dégâts qu’elle n’apporte de progrès. Regardez la famille, déliquescente depuis qu’elles ont décidé que les tâches domestiques se partageaient, que les enfants s’élevaient à deux, et même, imaginez !, qu’elles pouvaient vouloir avoir parfois un peu de « temps pour elles ».
Regardez le monde du travail : congés maternité, jours enfants malades… Bon certes, il paraît que ça dope la croissance (cf. Le Monde du 18 décembre dernier), voire que les femmes dans l’entreprise ça change les manières de manager (quelques grammes de finesse dans un monde de brutes…), mais le jeu en vaut-il réellement la chandelle. D’ailleurs, nombre d’entre elles se plaignent : double journée, horaires fragmentés, temps partiels subies. Mais rentrez chez vous les filles, vous résoudrez efficacement l’ensemble de ces problèmes. On pourrait décliner encore point par point, et je le ferai… une autre fois.
Revenons à nos moutons du jour : la question des primes d’assurance. Aujourd’hui, 21 décembre 2012, en vertu d’une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne, il est interdit aux assureurs d’appliquer des « primes différentes aux hommes et aux femmes constitue une discrimination fondée sur le sexe ». Alors là, les femmes s’énervent (et moi aussi) et s’étonnent : « C’est fou, il y a des discriminations dont on vient à bout nettement plus vite que d’autres ! ». Mais plutôt que de réagir ) chaud je me documente et je réfléchis. Petit bilan de ces réflexions :
1. La prise en compte de la question du sexe dans le calcul du montant des primes d’assurances est une spécificité française. Vous me direz : « Ah ! l’exception française contre le rouleau compresseur européen, défendons notre identité et vive le chabichou du Poitou ! ». OK, mais alors il faut choisir : on ne peut pas être dans et hors de l’Europe. Le projet européenne n’est pas un self-service : tu prends ce que tu veux et ce qui ne te convient pas tu laisses (au passage, cette réflexion ne s’adresse d’ailleurs pas aux seuls Français, mais là je m’éloigne du sujet).
2. La prise en compte de la question du sexe dans le calcul du montant des primes d’assurances concerne d’abord les assurances auto.C’est souvent ce qu’on met en avant : les femmes constituant une population moins accidentogène que les hommes, elles paient des primes moins lourdes. C’est logique dans la mesure où le principe fondateur de l’assurance en France consiste effectivement à analyser l’historique des dépenses par catégories de population pour en déduire les risques associés. Plus le passif d’une catégorie a été coûteux pour l’assureur, plus le tarif proposé sera élevé. Et la différence entre femmes et hommes est nette : les femmes paient aujourd’hui en moyenne 8 % moins cher que les hommes. Non seulement elles causent moins d’accidents que ces messieurs sur les routes de l’Hexagone mais, lorsque c’est le cas, ils sont moins graves, et donc moins coûteux pour les assureurs. D’où, des tarifs préférentiels. La différence est encore plus grande pour les jeunes conductrices qui paient en moyenne 20% moins cher que leurs homologues masculins. Au passage, on tord le coup, statistiques à l’appui, à l’idée selon laquelle «Femme au volant. Mort au tournant »…
Je vois des protestations s’élever dans les rangs de ces messieurs : « Mais moi je conduis prudemment, je ne suis pas un fou de la route, je respecte les limitations de vitesse… Pourquoi devrais-je payer plus cher au prétexte que certains se comportent n’importe comment sur la route ». Taquine, je répondrais d’abord : « C’est vrai que c’est drôlement désagréable d’appartenir à un groupe qu’on stigmatise, qu’on discrimine, en appliquant à l’ensemble des membres du groupes des traits caractéristiques de quelques-uns seulement, hein ? Je comprends, je compatis même, je sais ce que c’est, je suis une femme. Et cette montée en généralité abusive qui est au fondement des stéréotypes, je l’expérimente tous les jours ou presque. » Plus sérieusement, sur la question de l’assurance automobile j’ajouterais seulement ce commentaire. L’égalité femmes / hommes est de toute évidence bankable, en tout cas au nom de cet argument les assurances vont augmenter les primes et ce serait bien qu’on ait une visibilité sur le montant du pactole. Mais plus profondément, c’est la question des normes de la masculinité et plus largement des stéréotypes associés aux identités genrées qui fait question. Si on éduquait les garçons à rechercher autre chose qu’une prise de risque qui est coûteuse pour eux (en prime d’assurance et en espérance de vie, cf. un billet précédent), si on valorisait une masculinité qui ne rime pas avec grosse bagnole, on pourrait argumenter auprès des assureurs afin qu’ils revoient les primes de manière égalitaire pour toutes et tous… mais à la baisse.
3. Mais a prise en compte de la question du sexe dans le calcul du montant des primes d’assurances ne concerne pas que les assurances auto. En matière d’assurance vie, d’assurance décès, d’assurance prévoyance et d’assurance crédit, les femmes paient moins que les hommes en raison de leur espérance de vie plus grande (encore qu’il faudrait raffiner parce que la fin de vie de nos aîné-e-s est aussi très variable selon leur sexe, et distinguer l’EV et l’EVSI, espérance de vie sans incapacité). Ainsi, les femmes cotisent plus longtemps et coûtent moins cher aux compagnies d’assurance qui leur proposent donc des tarifs plus attractifs. Idem pour la santé, alors qu’on sait que les femmes sont plus observantes de leurs traitements et adoptent moins de comportements à risque que leurs homologues masculin donc, à terme, coûtent moins cher en termes de santé, elles paient en moyenne 10 % plus cher que les hommes en raison notamment de frais liés à la maternité. Je ne pas trouvé d’élément qui permettrait de distinguer les femmes ayant un projet de maternité de celles qui n’en ont pas (soit qu’elles ne veulent pas d’enfant, soit qu’elles ne peuvent pas en avoir…). Reste l’assurance habitation, alors là, l’égalité est respecté : le sexe de l’assuré n’a ici aucun impact sur le risque observé.
Que conclure de ce billet un peu technique ? En quelques mots :
D’abord, pitié, ne laissons pas dire que la hausse des primes d’assurance auto pour les femmes est une conséquence néfaste du débat féministe. C’est tellement ridicule que je n’y arrêt pas plus longtemps.
Ensuite réfléchissons à l’éducation routière dispensées aux filles et aux garçons et plus largement aux rôles de sexes auxquels nous les préparons en mesurant pleinement toutes leurs implications pour leur vie future (leur comportement sur la route, mais aussi à l’école, dans leurs foyers, au travail…). Le féminisme fait moins de dégât que la promotion d’une masculinité hégémonique qui, non seulement se traduit par une hausse des primes d’assurance pour les hommes, mais en plus les conduit parfois à être violents avec leurs conjointes ce qui coûterait en moyenne 2,5 milliards d’euros par an (de la lecture en ligne sur le sujet). Apparemment il faut frapper au portefeuille plutôt qu’au coeur pour se faire entendre, alors frappons…
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Il y a des lectures opportunes. Je (re)lis en ce moment Mon évasion, l’autobiographie de Benoîte Groult que j’avais lu lycéenne. Mon professeur d’histoire au lycée (une charmante jeune femme qui n’avait pas peur des paradoxes puisqu’elles nous fit également lire Champs de braises, les mémoires d’Hélie de Saint Marc, officier parachutiste de la Légion étrangère et ancien résistant français, qui fut l’un des principaux acteurs du putsch des Généraux en 1961) me l’avait alors mis en main…
Je voudrais simplement partager avec vous, et avec Carla Bruni-Sarkozy, quelques morceaux choisis.
Il y aurait beaucoup à commenter, mais mes journées sont chargées et mes nuits deviennent vraiment trop courtes. Vous pouvez aussi réagir…
« La jeunesse d’aujourd’hui imagine mal l’extraordinaire parcours qui a été celui des femmes du XXe siècle.
Moi qui suis née en 1920, qui ai grandi sagement dans une institution catholique et qui suis arrivée à l’âge adulte sans même avoir le moyen légal d’exprimer mon opinion sur les orientations de mon pays (je n’ai obtenu le droit de vote qu’en 1945, à 25 ans !). Moi qui me suis avisée, la quarantaine venue, que j’avais vécu une bonne partie de ma vie sans contraception ni IVG (ce qui ne veut pas dire, hélas, sans avortements), sans avoir pu accéder aux écoles de mon choix, au pouvoir politique, aux hautes fonctions de l’État, pas même à l’autorité parentale sur mes propres enfants, j’ai l’impression d’avoir été condamnée à une interminable course d’obstacles.
À l’âge où il devient plus que temps d’écrire son autobiographie, ma vie passée m’apparaît comme une longue marche vers une autonomie qui m’échappait sans cesse et vers une indépendance qui ne serait plus limitée par d’autres mais conquise pas à pas dans une direction que j’aurais librement choisie.
(…) Je découvrais que la liberté ne se prend pas, qu’elle s’apprend. Au jour le jour et souvent dans la peine.
Et pour cet apprentissage, j’avais besoin non pas de la philosophie, de la science ou d’une foi religieuse, surtout pas. Et je n’avais pas besoin des hommes non plus. Ils pouvaient certes m’apporter des choses merveilleuses mais pas celles qui m’étaient nécessaires à ce stade de ma vie. Pour celles-là, j’avais besoin des autres femmes, celles que l’on m’avait si soigneusement cachées au cours de ma scolarité. Je découvrais enfin leur existence et je m’apercevais qu’elles avaient travaillé pour moi, chacune à sa façon et selon son époque, Christine, Olympe, George, Flora, Pauline, Jeanne, Hubertine, Marguerite, Séverine et tant d’autres, afin que nous parvenions à bousculer la répartition traditionnelle en premier et deuxième sexe pour devenir des êtres humains, tout simplement. J’avais besoin de connaître leurs itinéraires, les choix héroïques quelques-unes avaient faits, toujours seules contre leurs proches et contre la société, malgré le besoin d’amour et de reconnaissance qu’elles portaient au coeur comme tout le monde et plus que tout le monde.
Le féminisme est-il autre chose que cette transfusion d’âme de celles qui ont osé à celles qui ont préféré accepter les règles du jeu ?
Il est de bon ton aujourd’hui de proclamer que la misogynie n’existe plus.
– Mais il est où, le patriarcat ?
– Il crève les yeux, il est invincible ! comme l’exprime superbement Marie-Victoire Louis, la fondatrice de l’AVFT.
On pourrait dire exactement la même chose de la misogynie. je fais partie d’une génération charnière où pratiquement aucune femme n’ose se dire féministe, comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse. Se vanter d’être antiféministe en revanche demeure une excellente carte de visite dans tous les milieux et qui fait mieux pardonner la réussite. Les hommes apprécient me^me que nous soyons antiféministes, cela leur évite de jouer les machos : c’est nous qui nous chargeons du sale boulot.
Chaque fois que je vois apparaître sur nos écrans une femme capable ou qui a du pouvoir, je sais qu’elle va annoncer d’emblée que, bien sûr, elle n’est pas féministe, continuant à décrédibiliser un peu plus une cause dont nous devrions toutes être si fières en termes de civilisation. Et en oubliant que sa présence à l’écran n’est due qu’aux combats passés des femmes et en aucun cas à un geste spontané de ses partenaires masculins.
(…) En ce qui me concerne, toutes nos conquêtes sont trop récentes (certaines même sont arrivées trop tard pour que j’aie pu en profiter… de mon vivant, si j’ose dire) pour me permettre d’oublier que notre guerre d’indépendance n’est pas encore gagnée. D’autant plus pour des centaines de millions de mes semblables sur tous les continents, elle est à peine commencée. C’est pourquoi je mesure ce que chaque droit, chaque nouvelle avancée représente de précieux, d’essentiel et de précaire aussi » .
]]>Un excellent article des Nouvelles News fait un point assez complet sur le sujet, revenant notamment sur 2 points qui me paraissent essentiels :
1. L’étrange rhétorique à l’œuvre dans cette proposition de résolution. Il ne s’agit pas de convoquer une commission sur ce que ces deux députés appellent la « théorie du genre ». Ce qui serait par ailleurs déjà problématique dans la mesure où il paraît parfaitement légitime de se demander, avec Hélène Périvier par exemple : « Depuis quand crée-t-on des commissions pour encadrer la recherche en sciences sociales? ». Et j’ajouterais : « la recherche tout court quel que soit le domaine scientifique dont il s’agit ». On peut s’interroger sur le rôle social de la recherche et du/de la chercheur-se. C’est d’autant plus normal pour ce qui concerne des travaux réalisés grâce à des fonds publics. On peut réclamer qu’une réflexion éthique s’engage sur les impacts de telles ou telles recherches scientifiques. Je m’interrogerais volontiers, par exemple et au hasard, sur les conséquences pour le générations à venir des recherches dans le domaine du nucléaire. Et notez bien que je suis ouverte à la disputatio au sens médiéval du terme, la discussion argumentée qui présente divers points de vue. J’accepte volontiers qu’il faille envisager de faire des études d’impact des travaux de recherche et en évaluer les incidences économiques, financières, sociales, environnementales, etc. Mais le principe d’une étude d’impact c’est qu’elle se fait APRÈS, pas AVANT la recherche : ce n’est pas une commission de censure visant à interdire de mener des travaux dans certains domaines parce qu’ils ne conviennent pas au politique, parce qu’ils ébranlent les fondements de certains pouvoirs.
Rappelons ainsi qu’il fut un temps où il ne faisait pas bon défendre l’idée d’héliocentrisme (la Terre qui tourne autour du Soleil) parce que cela allait à l’encontre d’une certaine conception chrétienne de l’univers, ébranlant les fondements d’un livre saint, la Bible, et d’une institution, l’Église. Rassurons-nous toutefois (étude d’impact…) : l’héliocentrisme n’a pas mis fin au christianisme, « Ceci n’a pas tué cela » pour paraphraser notre cher Hugo. D’aucun-e-s pourront le déplorer, mais c’est un tout autre débat…
2. Les déput-é-e-s UMP cité-e-s plus haut réclament « un véritable état des lieux de la pénétration de cette théorie dans l’ensemble de notre pays : politique de la petite enfance, éducation, enseignement scolaire, enseignement supérieur, droits des femmes, droit de la famille, droit social, administration, Justice ». Je me porte volontaire pour les aider dans leur travail. D’abord, je leur recommande la lecture du rapport d’Alban Jacquemart, Agnès Netter et François Thibaut, intitulé Orientations stratégiques pour les recherches sur le genre, rapport remis en novembre dernier au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (bonne nouvelle pour elles et eux, c’est consultable en ligne et il y a même quelques belles cartes qui leur permettront de mesurer l’étendue des dégâts à l’échelle nationale…). Je me permettrais de compléter ce rapport fort complet par quelques commentaires personnels.
Pour ce qui concerne la « politique de la petite enfance », que nos député-e-s se rassurent, les choses n’avancent pas. On continue de traiter différemment filles et garçons dès la crèche ou l’assistante maternelle. Les parents se chargent également d’entretenir la différence des sexes et de veiller à ce que les identités sexuées en construction le soient en conformité, à grand coup de socialisation différenciée.
Qu’ils/elles lisent Anne Dafflon-Novelle sur ce point (un petit compte-rendu en ligne, je sais que nos politiques sont trop débordés pour se taper les bouquins en entier). Qu’ils se réfèrent à un outil également disponible en ligne, intitulé La poupée de Timothée et le camion de Lison. Guide d’observation des comportements des professionnel-le-s de la petite enfance. Extrait (page 12) :
L’adulte joue à la dînette avec Sarah, Dunia, Maeva et Sandro. Elle-il prépare à manger avec Sandro qui domine l’espace sonore en discutant avec l’adulte. Les filles essaient de se faire entendre en parlant du cadeau de la fête des mamans, mais l’adulte n’y prête guère attention et reprend la conversation avec Sandro sur sa famille. On apprend que son papa est pompier et qu’il va avoir un petit frère ou une petite sœur. Sarah dit qu’elle va avoir une chambre de Barbie. L’adulte : « Ce sera une chambre toute rose ». Simon arrive. Elle-il le prend dans les bras et parle avec lui. Dunia s’approche de l’adulte qui ne la voit pas. Elle-il s’adresse à Vincent qui vient d’arriver : « Salut Spiderman, tu as les culottes Spiderman ». Vincent s’approche de l’adulte et lui montre ses biceps. L’adulte dit d’un ton admiratif : «Waouh ! Tu es le plus fort ! ». Elle-il le prend dans les bras et le fait tourner dans tous les sens. L’enfant rit de bon cœur. L’adulte prend ensuite Maeva sur ses genoux et lui dit : « Tu es toute mignonne avec tes couettes ! », puis continue à parler à Sandro. Quand arrive l’heure des rangements : « Maeva, tu me ranges les couverts ! »
Je sens qu’on respire déjà mieux à l’UMP : l’indifférenciation sexuée, l’interchangeabilité entre filles et garçons du point de vue des rôles sociaux associés à l’un ou l’autre sexe, ça n’a pas l’air tout à fait gagné. Relax ! Bon, évidemment, pour celles et ceux qui trouverait dérangeant qu’au XXIe siècle on continue d’éduquer les petites filles à être de futures ménagères et les garçons à intégrer les normes de la masculinité hégémonique, la lecture de ce guide présente un intérêt aussi. C’est même son but premier, évidemment : que faire pour éviter ça ? Et je vois les mains se lever : « Pourquoi vouloir éviter ça ? ». Pourquoi aller contre la « nature » qui veut que les femmes soient discrètes et s’épanouissent dans la sphère domestique cependant que les hommes, combattifs, trustent la sphère publique ? Et bien parce que, voyez-vous, ces stéréotypes associés à l’exercice de rôles sociaux prétendument indépassables génèrent de la souffrance.
Souffrance des filles et des femmes qui accèdent aux études, primaires, secondaires, supérieures, et qui y réussissent avant d’être rappelées à leurs incapacités essentielles, liées évidemment à leur fonction biologique : la maternité (et en prime, injustice parmi les injustices, toutes les femmes en paient le prix, qu’elles aient ou non des enfants). Souffrance des femmes qui, pour ces raisons et pour bien d’autres que je ne développerai pas ici (notamment la moindre rémunération du travail féminin au prétexte qu’il nécessite des qualités innées et pas des compétences acquises, les premières valant moins que les secondes sur le marché du travail), forment aujourd’hui le gros des rangs des pauvres en France. Les femmes sont 2,6 millions à être pauvres au seuil à 50 % du niveau de vie médian, soit tout de même 360 000 de plus que les hommes. Elles représentent 54 % des pauvres. Une partie d’entre elles sont des femmes à la tête d’une famille monoparentale (comprenez « femme seule avec enfant-s », puisque c’est la configuration dans 85 % des cas, cf. le site de l’INSEE). Un million de personnes vivant dans ce type de famille sont pauvres avec un taux de pauvreté de 21,7 %. (cf. l’article en ligne sur le site de l’Observatoire des inégalités).
Souffrance des garçons et des hommes qui ne se sentent pas en adéquation avec ces normes de la masculinité hégémonique : les grands sensibles, les pas-assez-virils, bref les non-conformes. Mais aussi souffrance de ceux qui s’y conforment en adoptant des pratiques à risques coûteuses pour eux en terme d’espérance de vie par exemple. Là encore, si on en croit l’INSEE, pour un garçon né en 2011, l’espérance de vie est de 78,2 ans contre 84,8 pour une fille née la même année. Souffrance toujours de ces garçons conformes qui, du coup, s’affrontent à la norme scolaire et ne réussissent pas à l’école. Ben oui ! pour réussir à l’école il faut être sage, discret, discipliné, silencieux, immobile, respectueux des consignes… Vous me direz, et j’en conviens volontiers, qu’il faut sans doute changer pas mal de choses dans les attentes qui sont celles de l’école.
Mais en attendant, les résultats sont là : leur espérance de formation initiale est moins longue que celle des filles, leurs taux de réussite au brevet et aux baccalauréats aussi, ils sont davantage sujets au redoublement, etc., etc. J’en passe et des meilleures, et je ne parle pas de la prédominance apparente des garçons parmi les petit-e-s patient-e-s traité-e-s pour anxiété et phobie scolaire (sur le sujet, des travaux sont en cours, si certain-e-s sont intéressé-e-s voici de la lecture pour commencer).
Pour ce qui est de l’« éducation », là encore, détendez-vous cher-e-s député-e-s de l’UMP : « Les filles sont plus préparées à réussir scolairement et à s’orienter vers les filières sociales (88% des salarié-e-s du secteur des services)… MAIS les garçons sont plus préparés à réussir professionnellement et à s’orienter vers les filières compétitives, scientifiques et technologiques porteuses d’emploi et mieux rémunérées (78% des salarié-e-s du secteur de la production) » (INSEE, regards sur la parité, 2008). L’orientation scolaire remplit toujours très bien son office puisque 51 % des emplois occupés par les femmes sont concentrés dans 12 des 87 familles professionnelles répertoriées par l’INSEE : je cite (et du coup, c’est pas moi qui oublie de féminiser…) « les agents d’entretien, les enseignants, les employés administratifs de la fonction publique (catégorie C), les vendeurs, les aides à domicile, les secrétaires, les aides-soignants, les infirmiers et sages-femmes, les assistants maternels, les professionnels de l’action sociale, culturelle et sportive, les employés de la comptabilité, et les employés administratifs d’entreprise ». Bref, comme l’écrit Françoise Vouillot en 2010, « La division sexuée de l’orientation est une anticipation de la division sexuée du travail (extérieur et domestique) qui historiquement la précède. En retour, les orientations différenciées des filles et des garçons maintiennent la division du travail ». Et tout demeure pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Un monde qui oriente les femmes vers des métiers moins bien payés et moins reconnus socialement, les maintenant dans la dépendance économique par rapport à leur conjoint (elles vont pas en plus se plaindre celles-là, contrairement à celles des familles monoparentales évoquées plus haut !). Un monde qui exige des hommes d’être toujours performants dans le monde professionnel, au risque de passer à côté de leur vie de famille, ce dont ils sont de plus en plus nombreux à se plaindre. C’est dingue ça ! Encore une conséquence néfaste de l’infiltration des théories du genre dans notre société : les hommes d’aujourd’hui ont envie de torcher leurs gosses, de jouer avec elles/eux, de leur consacrer du temps… Mais où va-t-on ?
Poursuivons avec l’« enseignement scolaire ». Je ne prendrai qu’un seul exemple, celui de la persistance de rapports aux savoirs différenciés. Qu’on se rassure : les filles sous-performent toujours en mathématiques, surtout quand on prend le soin de leur rappeler qu’elles sont des filles avant le début de l’exercice (cf. les travaux de Christine Morin-Messabel sur la « menace du stéréotype ») et les garçons demeurent minoritaires dans les filières littéraires.
Venons-en à l’« enseignement supérieur ». Alors là, gros problème : les filles sont désormais plus nombreuses que les garçons à embrasser des carrières prestigieuses comme la médecine, ou le droit. Cette féminisation (mais il y aurait un billet tout entier à écrire sur ce que ce mot veut dire précisément) entraînant prétendument une dévalorisation des professions en question (mais là aussi, un autre billet sur ce blog va finir par s’imposer…). Il est où le problème, exactement ? Qu’est-ce qui dévalorise ces professions ? la seule présence des filles. Ouaaah ! Girls Power !!! on n’avait pas mesuré ça hein, les copines. Quel pouvoir pour nous, pouvoir de nuisance certes, mais enfin, pouvoir quand même. Vous allez pas encore râler ! Le truc c’est que ce n’est peut-être pas de là que vient le problème. Ne serait-ce pas plutôt une question de « valence différentielle des sexes », autrement dit d’association systématique du féminin à des valeurs négatives (et du masculin au positif). Jugez plutôt : dans les civilisations où l’actif est valorisé (l’Occident par exemple), les femmes sont du côté du passif, mais là où c’est l’inverse (en Asie, l’agitation productive s’accommode mal de la figure du sage touchant à l’ataraxie), les femmes sont du côté de l’actif. Bref, on joue, on joue, mais à tous les coups on perd. « 100 % des perdantes avaient pourtant tenté leur chance » pour paraphraser un slogan publicitaire qui tintera sans doute à vos oreilles.
Je suis opiniâtre, et j’en viens donc aux « droits des femmes » et à la question « droit social ». Elles vont nous les casser encore longtemps avec leurs revendications. Après tout, elles ont le droit de vote non ! La répartition des sexes dans l’hémicycle leur donne la place qui leur revient, non ? Comment ça elles représentent la moitié du corps électoral et pourraient donc légitimement demander à représenter 50 % de la représentation nationale. Quelle idée ? Un député homme représente tout à fait efficacement les intérêts des citoyennes. Les inégalités hommes / femmes, c’est bidon. Arrêtons de faire du mauvais esprit. C’est vrai quoi, la journée d’une femme et celle d’un homme, c’est kiffe kiffe. La preuve en image : 
Et puis le salaire d’un homme et d’une femme, c’est kiffe kiffe aussi :
Et je ne parle pas des retraites :
En plus elles sont plus nombreuses que les hommes à bénéficier des allocations sociales. C’est parce qu’elles sont en première ligne en terme de pauvreté ? Ah bon ! Y’a un rapport entre les deux. C’est dingue. Vous voulez dire qu’elles préféreraient ne pas l’emporter sur ce terrain. Ben non, tant qu’à faire, si on peut faire autrement que d’être pauvre et de dépendre de l’aide sociale, on préfère. Alors-là je sens que je vous en bouche un coin.
Quant au « droit de la famille », tout a sans doute commencé à foutre le camp le jour où l’on a réformé les régimes matrimoniaux en France, en vertu de la loi du 13 juillet 1965 (un joli reportage dans les archives de l’INA à consulter là). Pensez-vous, plus d’autorité paternelle mais une autorité parentale. Et des femmes désormais en droit de toucher leur propre salaire. Et voilà qu’aujourd’hui les défenseur-se-s de la prétendue théorie du genre se rangent aux côtés des familles homoparentales pour réclamer l’égalité des droits pour toutes et tous. Parce qu’au risque de briser le coeur d’un certain nombre d’entre vous, le mariage, c’est d’abord une histoire de filiation et de patrimoine avant d’être une histoire d’amour. Et dans un couple homosexuel, on a envie, comme dans tous les autres cadres d’unions, de protéger la personne qui partage sa vie, et les enfants qu’on élève ensemble. Si c’est pas un truc de dégénéré, ça… Des études ont montré que les enfants élevés dans ce cadre familial ne présentent pas plus de difficultés psychologiques que les autres enfants. L’argument massue des opposants au mariage pour tous et à l’adoption par les couples homosexuels c’est la souffrance des enfants. Je pose donc cette simple question : quelle est l’origine de la souffrance de ces enfants ? Est-ce la sexualité de leurs parents ?
Tous les enfants ont un problème avec ça, et il se résout : ça s’appelle le complexe d’Oedipe. Ne serait-pas plutôt les violences dont ils sont l’objet, lesquelles découlent de l’intolérance persistante de la société quant aux choix de vie qui sont ceux de leurs parents, qui les mettent en difficulté et créent de la souffrance ? L’autre argument massue c’est que les enfants ont besoin d’un papa et d’une maman, d’un modèle masculin et d’un modèle féminin pour s’épanouir. Alors je pose la question : qu’adviendra-t-il de tous ces enfants qui sont élevés par des couples hétéros dont les parents ne sont pas conformes aux rôles sociaux de sexe qui doivent apparemment être les leurs ? Et si papa est plus câlin que maman ? et si maman est plus autoritaire que papa ? Je sais, je suis un peu perverse sur les bords… Enfin, restent les très nombreux enfants qui vivent sans modèle masculin à la maison mais pas parce que maman est en couple avec une femme, non, parce que maman n’est pas (plus) en couple. Les mères célibataires seraient entre 1,5 et 2 millions en France si l’on en croit l’IPSOS (en ligne) et 2,8 millions d’enfants vivent aujourd’hui en France dans une famille monoparentale selon l’INSEE (c’est là). Vous mesurez l’étendue du problème là, je pense !
Allez, on en voit le bout, il nous reste à considérer la question de l’« administration ». Les exemples de sexisme administratif sont multiples. Il n’est qu’à voir comment se répartissent le conjoint et la conjointe sur un avis d’imposition : le déclarant est toujours, par défaut, Monsieur. Madame n’arrive qu’en seconde (à droite en haut sur votre feuille, allez voir). C’est la place du revenu d’appoint, complémentaire, secondaire. Il serait peut-être temps que l’administration fiscale se mette au parfum : aujourd’hui le modèle de l’époux pourvoyeur de fonds et de l’épouse en charge du foyer est mort et enterré. C’est pas forcément que ça les amuse, les femmes, d’aller au turbin, mais voyez-vous, dans notre contexte économique, la majorité des gens ont besoin de deux salaires pour s’en sortir. Et encore, ça ne suffit pas toujours. Ajoutons qu’il y a même des cas où, subversion des subversions, Madame gagne mieux sa vie que Monsieur (voir qu’elle la gagne tout court alors qu’il est au chômage). Et même des cas où en plus c’est Madame qui se la tape, la déclaration fiscale. Et dans ces cas là, quand elle prend la peine de remplir la case « Vos revenus » avec… ses revenus, elle l’a un peu mauvaise quand l’administration lui renvoie le doc avec les choses remises en ordre, et les revenus de Monsieur d’abord… Je parle d’expérience.
Enfin, « Justice ». Allez, là encore, les députés UMP n’ont pas trop à s’inquiéter. Avec une estimation basse de 75 000 viols perpétrés chaque année en France (ça fait un toute les 8 minutes pour mémoire), ce ne sont que 5 000 plaintes environ qui sont déposées pour ce motif. Et 2 % des agresseurs sont condamnés.
Et je rappellerai simplement, parce qu’historienne je suis et demeure, qu’il faut attendre 1980 pour que le viol soit définit comme : « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise », et 1990 pour que le viol entre époux soit reconnu. Ajoutons que le viol est théoriquement puni de 15 ans de réclusion criminelle. Sans faire de mauvais esprit, et à simple titre de comparaison, l’article 311-8 du code pénal puni le vol (je n’ai pas fait de faute de frappe, je n’ai pas oublié le «i ») de 20 ans de réclusion criminelle lorsqu’il est commis avec usage ou menace d’une arme. No comment… Et je vous épargne mes commentaires sur la requalification des viols, qui sont des crimes (relevant du tribunal pénal), en agressions sexuelles qualifiées comme délits (relevant du tribunal correctionnel).
Alors vraiment, vraiment, Mesdames et Messieurs les député-e-s, vous êtes sûr-e-s de vouloir vous interroger sur la « pénétration de cette théorie dans l’ensemble de notre pays ». Les études sur le genre entendent réfléchir sur les stéréotypes et sur la construction des inégalités entre hommes et femmes. Et je pense vous avoir rassuré-e-s, les inégalités sont toujours bien là. La pénétration de ces réflexions n’est pas à ce point aboutie qu’il faille s’inquiéter à court terme de voir la fin des inégalités entre les sexes. Dormez donc sur vos deux oreilles et laissez-nous bosser en paix.
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« Dans ma génération, on n’a pas besoin d’être féministe. Il y a des pionnières qui ont ouvert la brèche. Je ne suis pas du tout militante féministe »[1]
Ces mots de l’ex-première dame de France ont fait leur petit effet voici quelques semaines. On a pu moquer, alors, les mystères d’un parcours biographique qui conduisent de Mick Jaeger à Nicolas Sarkozy, et d’un monde un peu « sex, drug and rock’n roll » (toutes proportions gardées tout de même) à cette déclaration : « je suis une bourgeoise… j’ai fini par devenir ma mère ». On s’est interrogé : mais comment est-ce possible ? J’avais mon idée sur la question : cela s’appelle (mal) vieillir, et les artifices de la chirurgie esthétique n’y peuvent vraiment, vraiment rien.
Osez le féminisme s’était alors saisi de l’affaire, et des militantes avaient posté en ligne des éléments de réponse à Carla Bruni-Sarkozi : « Ma génération a besoin d’être féministe parce que… ».
Et puis, il y a eu Toulouse 2012. Le colloque « Femmes, féminisme, recherche. 30 ans après ». Hommage à celles qui, en 1982, avaient organisé le premier colloque scientifique féministe d’envergure, et quelle envergure ! Près d’un millier de participantes, de toute évidence une attente immense, en tout cas un enthousiasme, une effervescence intellectuelle et politique dont bruissait le grand amphithéâtre de la Fac du Mirail. Je n’y étais pas. Je suis née en 1978. Mais le film réalisé alors nous a été diffusé hier et depuis, moi, je m’y crois un peu…
Voilà un colloque qui pourrait avoir un côté « réunion des ancien-ne-s combattant-es ». Il n’en est rien, et selon moi pour 3 raisons. D’abord c’est un colloque « jeunes chercheur-e-s ». Comprenez que plus de la moitié des communications sont le fait de doctorant-e-s ou de jeunes docteur-es. Ensuite, la génération des celles qui ont fait 1982 est animée d’un souci de transmission auquel il faut rendre hommage. C’est sous ces auspices et en ces termes que le colloque a été ouvert, hier par Agnès Fine, Geneviève Fraisse et Françoise Picq, précisant même que dans le processus de transmission la dynamique était bilatérale : il y a ce que l’on a à transmettre, et il y a ce dont les héritier-e-s veulent et ce qu’elles/ils en font. Enfin, si ma génération a besoin d’être féministe, si elle l’est en 2012, c’est pour les mêmes raisons que la précédente et pour beaucoup d’autres, si ma génération est féministe c’est selon des modalités comparables et selon bien d’autres. Elle ne craint pas de se référer à celle des années 1970, celle de sa mère, mais au contraire de Carla Bruni-Sarkozi elle ne finira pas par devenir sa mère.
En revanche ma génération de féministes a, je crois, le sens de l’histoire. Certains aspects de la lutte n’ont pas tellement changé sur la forme : un certain usage de l’humour par exemple, me paraît traverser l’action féministe d’hier comme d’aujourd’hui. On ne craint pas non plus de faire des références directes aux luttes des années 1970. Qu’on songe à la publication dans Le Nouvel Observateur il y a quelques semaines du manifeste signé par 313 femmes qui « déclarent avoir été violées », en référence transparente à celui des « 343 » sur l’avortement. 
D’autres caractéristiques traversent également les générations de lutte, et la division du mouvement en est une. Si j’ai pu un temps rêver à cette époque où l’on pouvait dire « NOUS les femmes », j’ai mesuré hier, au fil de conversations avec l’une ou l’autre que les années 1970 n’avaient pas été celles de l’union de toutes sous la bannière du féminisme, loin s’en faut… et c’est heureux puisque, 30 ans plus tard, et malgré les désaccords, elles tiennent toujours le cap en dépit de changements de direction intermédiaires, au gré des parcours biographiques, politiques et professionnels. Ma génération doit aussi s’accommoder de ses divisions. Elle devra négocier, sans doute, ses propres changements de caps. Je sais désormais ce que cela peut avoir de fécond. Alors, merci.
[1] Voici reproduite dans son intégralité la citation sur laquelle je m’appuie ici : « Dans ma génération, on n’a pas besoin d’être féministe. Il y a des pionnières qui ont ouvert la brèche. Je ne suis pas du tout militante féministe. En revanche, je suis bourgeoise. J’aime la vie de famille, j’aime faire tous les jours la même chose. J’aime maintenant avoir un mari. Je suis une vraie bourge ! J’ai fini par devenir ma mère, à certains égards, malgré mes huit ans d’analyse ! » (Carla Bruni-Sarkozy dans Vogue le 3 décembre 2012)
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D’abord un entretien d’une vingtaine de minutes avec Fanny Lignon à propos des représentations genrées dans les jeux vidéo. De quoi tordre le coup à un certain nombre préjugés. C’est à écouter en ligne, sur le portail de la culture scientifique dans la Loire.
Je vous signale également une rencontre débat intitulée Manuels scolaires, livres d’enfants : les stéréotypes ont-ils la vie dure ? à laquelle Christine Detrez et Fanny Lignon ont participé le 11 octobre 2012 à la Rotonde, à Saint Etienne, toujours à écouter en ligne.
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