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Arago, piqué par un mot de Louis XVIII qui lui demande pourquoi cette « lune rousse » d’avril gèle les arbustes et les récoltes – ce à quoi il n’avait jamais réfléchi ! –, met un point d’honneur à répondre à la question. La nuit, les objets à la surface de la terre deviennent plus froids que l’air – ils rayonnent et se refroidissent, atteignant des températures de 6 à 8° inférieures à l’air ambiant. En avril ou en mai, lors de la formation des bourgeons, ceux-ci, pouvant donc être à une température négative, en viennent à geler lorsque la rosée se dépose sur eux, par condensation.
Or, ce phénomène, comme celui de la rosée auquel il est lié, n’est possible que par temps clair – sinon les nuages font obstacle au rayonnement des corps terrestres : il n’y a alors ni refroidissement différentiel de certains corps par rapport à l’air, ni condensation par rosée.
Le paradoxe de Louis XVIII – celui de la Lune qui ferait roussir (geler) les bourgeons – est en fait une erreur de raisonnement. Par temps clair, on voit la Lune, et il peut arriver que les bourgeons gèlent ; par temps couvert, on ne voit pas la Lune, et les bourgeons ne gèlent pas. Il y a une corrélation entre les phénomènes A (« on voit la Lune ») et B (« les bourgeons gèlent »), car ils ont une cause commune C (« le ciel dégagé »): mais A n’est pas la cause de B (et l’inverse : encore moins !, serait-on tenté de dire…). Il y a corrélation (entre A et B) mais pas causalité (de A vers B), contrairement à ce que pensaient les jardiniers du roi.
Il est encore de nos jours de fréquentes confusions entre corrélation et causalité, dans les domaines les plus divers, comme celui des relations sciences-société ; le paradoxe des jardiniers de Louis XVIII en est une représentation fort actuelle.
L’analyse réalisée par Colette Le Lay est ici.
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[Alexandre Moatti – décembre 2014] C’est une curieuse histoire épistémologique que nous raconte A. Persson, historien de la météorologie, à propos de l’explication de la circulation des vents dominants (d’ouest dans les zones tempérées de l’hémisphère Nord, d’est sous le tropique du Cancer – vents alizés) ; circulation aujourd’hui représentée par les fameuses « cellules de Hadley ». Voici, en vrac, les différents protagonistes de cette intrigante affaire.
L’Anglais Halley (1656-1742) – celui de la comète éponyme – a bien conscience avec Newton (et à l’inverse de Galilée et Kepler) que l’atmosphère est solidaire de la Terre par gravité. Il explique en 1686 les vents tropicaux d’est par un afflux d’air vers le point subsolaire (point de la Terre le plus proche du Soleil), qui se meut vers l’ouest.
Son compatriote Hadley (1685-1768) – le découvreur de l’aberration des étoiles – tente une théorie « de bon sens » en 1735 : l’air se déplaçant depuis le tropique du Cancer vers l’Équateur se trouve dans des latitudes à vitesse de rotation plus élevée et, tout en conservant sa vitesse absolue, apparaît comme « en retard », provoquant ainsi des vents venant du nord-est ou d’est. Mais s’il semble avoir raison sur les directions des vents, Hadley exprime un salutaire doute scientifique sur leurs vitesses : suivant sa théorie physique, une simple brise à Santander deviendrait une tornade à Plymouth – nos zones tempérées ne sont pourtant pas connues pour être systématiquement affectées par des ouragans.
L’explication de Halley (pas de Hadley) prévaut assez logiquement pendant 150 ans. Intervient alors un mandarin allemand, Dove (1803-1879). Inventeur d’une « loi des vents » – qui en fait n’avait de validité que sur le nord de la Prusse ! –, il en infère en 1835 la même théorie physique que celle de Hadley, et prend appui sur le prestige de ce dernier pour imposer un « principe de Dove-Hadley ». Principe facile, trop facile, à « comprendre » et à enseigner, il en vient à détrôner l’explication de Halley. Notons au passage que l’appellation « Dove-Hadley » survit difficilement aux tensions européennes au début du XXe s., l’Angleterre reprenant son principe de Hadley et l’Allemagne son principe de Dove.
Or, fût-il de Dove, d’Hadley ou d’Hadley-Dove, ce principe était fondé sur des prémisses physiques totalement erronées : de nombreux météorologistes, studieux, moins mandarinisés, l’avaient signalé dès les années 1850, s’opposant à Dove, parfois au détriment de leur réputation : le Danois Schouw, le Français Delaunay, le Hollandais Buys-Ballott, l’Américain Ferrel. Mais l’inertie scientifique est grande et après tout, encore une fois, les « cellules de Hadley », c’est facile à comprendre, à se rappeler, à enseigner – d’où l’inertie sans doute…
Et ces météorologues, ils l’avaient, l’explication physique correcte : c’est la force de Coriolis qui explique cette rotation vers leur droite des masses d’air se dirigeant vers l’équateur (et non la théorie de la « pulsion solaire » de Halley – pas de Hadley, qui n’avait pas vraiment de théorie).
Mais la science aime bien faire et refaire, toujours et encore, les expériences. Elles avaient été imaginées en 1892, mais il faut attendre 1950, et traverser opportunément l’Atlantique, pour voir réaliser des expériences à la Halley (pas Hadley), avec Dave Fultz et son équipe à l’université de Chicago : dans une… poêle à frire, avec un bec Bunsen en son centre représentant le point subsolaire, point-clef de l’explication de Halley – finalement plus solide que celle de Hadley, trop « facile ».
Et pourtant, en 1730, un Français, et même un Lyonnais, d’origine protestante mais enrôlé chez les jésuites, fils d’un peintre de renom, Nicolas Sarrabat, s’était intéressé à la théorie de Halley (pas de Hadley – qui d’ailleurs écrivit son article en 1735) et avait fait les expériences de la poêle ! Et tiré des conclusions en tous points conformes à la circulation atmosphérique, sous les tropiques (alizés), comme au-dessus.
Morale de l’histoire. On aurait mieux fait, au début du XIXe s., de retrouver Sarrabat 1730 (à l’appui d’Halley) que Hadley 1735. Mais on a retrouvé un auteur connu (pour d’autres découvertes), et non Sarrabat, encore aujourd’hui totalement inconnu (si ce n’est grâce à BibNum !) – même son père le peintre Daniel Sarrabat est (un peu) plus connu, c’est dire : une exposition lui a été consacrée en 2011 au splendide monastère de Brou, dans l’Ain.
Morale n°2. La célébrité, c’est tenace. Comme une inertie à la Zénon. On parle toujours des « cellules de Hadley ». Le centre de recherche en climatologie de l’Office météorologique britannique porte son nom.
Morale n°3, que nous tirons avec A. Persson. Halley (et avec lui Sarrabat) avait une explication physique censée, mais finalement erronée. Hadley avait une théorie erronée quasi dès le départ – mais au moins expliquait-il honnêtement que quelque chose n’allait pas avec ses vitesses de vent. Halley et Hadley, pour une fois réunis, avaient été honnêtes et assez rigoureux. Le mandarin ultérieur qui a joint son nom à celui de Hadley l’a peut-être moins été. Célébrité et rang social, quand vous nous tenez !
L’analyse, ici, est de Anders Persson – FRMetS (Fellow of the British Royal Meteorological Society), Chercheur émérite à l’université d’Uppsala, membre honoraire de la Société suédoise de météorologie.
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Son analyse n’était pas exempte d’humour (britannique ?), quand il expliquait que cette figure d’ingénieur-savant ait pu être “négligée”, dans l’historiographie, par une forme d’aversion des historiens, et de nos sociétés en général, envers les mathématiques, je cite (Grattan-Guinness 1993, concl.): “As far as the history of science is concerned, the main reason is mathsphobia, which affects its historians as it does society in general.”
Ce n’était qu’une partie de son champ de compétences : mais sa connaissance, à la fois globale, profonde et détaillée – en trois dimensions – des savants et des institutions scientifiques de cette période 1795-1850 nous manquera.
Cet article de Lucien Gallois paraît il y a 100 ans dans les Annales de Géographie, le 15 juillet 1914, dans le contexte particulier des tensions internationales précédant la Première Guerre mondiale. Il porte un éclairage à la fois précis et original sur les grandes découvertes géographiques de la Renaissance, aussi bien au point de vue des idées qui prévalaient, que des moyens effectifs à disposition des navigateurs. L’article, qui au premier abord paraît fort touffu voire déroutant, est une savante démonstration visant à remettre au premier plan ceux qui, par leurs travaux astronomiques, ont permis les grandes découvertes géographiques : Abraham Zacuto et Joseph Vizinho. Il réfute la possible intervention de Martin Behaim (ou Martin de Bohème) dans ce domaine. On y trouve aussi des esquisses de calculs de latitude, une remarque sur l’influence de l’astrologie et un petit historique des précurseurs.
L’analyse, de Jacques Navez, est ici.
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Charcot a longtemps balancé entre une carrière d’artiste et une carrière de médecin. Il s’oriente vers la carrière médicale mais, tout au long de son parcours, c’est crayon en matin que Charcot sillonnera le champ des pathologies, dessinant les corps contorsionnés, les yeux révulsés, les muscles intensément crispés…
Son ouvrage Les Démoniaques dans l’art (1887 – Charcot a alors 62 ans) recense de nombreux cas de démence représentés dans les œuvres d’art depuis le Ve siècle. Il permet de prendre la mesure du travail d’investigation de Charcot, qui ne s’en est pas tenu à l’observation de ses propres patients.
En parallèle à l’examen physique, servi par le dessin, Charcot établit une nouvelle passerelle entre l’art et la médecine : étudier les représentations de « démoniaques » à travers l’histoire lui permet d’affirmer que l’hystérie n’est pas une maladie propre au XIXe siècle et engendrée par l’étourdissant tumulte de la révolution industrielle, comme d’aucuns le pensent alors.
L’analyse est de Hélène Combis-Schlumberger
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Sur le long chemin qui a conduit l’algèbre à sa pleine efficacité, un livre publié à Nuremberg en 1521 mérite d’être tiré de l’oubli. Outre le fait qu’il propose la première utilisation des symboles + et – dans un contexte algébrique, il permet de comprendre pourquoi le procédé de la fausse position est resté longtemps un grand rival de l’algèbre. Les quelques extraits donnés de ce texte illustrent ces deux réalités, présentes dans les premiers ouvrages imprimés d’arithmétique : d’une part la montée en puissance des symboles + et –, et d’autre part la lente progression de l’algèbre en Occident, où elle avait de la peine à concurrencer le procédé de la fausse position. Procédé qui, encore aujourd’hui, peut permettre de résoudre certains problèmes plus facilement qu’en posant des équations algébriques.
L’auteur est Heinrich Schreyber, qui se désignait sous le nom d’Henricus Grammateus (Henri le scribe). Né à Erfurt au plus tard en 1496, il a étudié à Cracovie et surtout à Vienne, où il a rédigé en 1518 ce livre de 124 folios, qui est son ouvrage principal. Fuyant la peste, il a quitté Vienne en 1521 pour Nuremberg, où il a fait imprimer son livre ainsi qu’un version réduite de 40 folios, puis pour Erfurt, avant de rentrer à Vienne où il est mort en 1525, à environ trente ans. Christoff Rudolff, l’auteur du premier ouvrage allemand consacré entièrement à l’algèbre, en 1526, y écrit que c’est par Schreyber qu’il a entendu parler de cette matière pour la première fois, et qu’il « lui en est reconnaissant » (sag im darumb danck).
L’analyse, réalisée par Jérôme Gavin, est ici.
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Ce texte de 1905 d’Einstein marque la naissance de la théorie de la relativité restreinte. Pour la première fois dans l’histoire de la pensée scientifique, le cadre cinématique familier avec son temps universel unique, qui était une évidence séculaire pour tous les physiciens, doit céder la place à une nouvelle solution à la fois plus simple dans ses fondements et plus troublante dans ses conséquences.
Dans cet article, l’auteur Pierre Spagnou revient sur l’approche déterminante d’Einstein en ce qui concerne l’interprétation physique et l’abandon de l’éther (notamment par rapport à H. Poincaré). Il rappelle l’importance du postulat d’Einstein, à savoir que la lumière se propage à une vitesse constante quel que soit le référentiel inertiel (« stationnaire ») considéré – ce qui est plus fort qu’une simple indépendance vis-à-vis de la vitesse de la source (celle-ci peut s’expliquer par le caractère ondulatoire de la lumière). P. Spagnou insiste aussi sur l’importance de bien distinguer les deux phénomènes inférés de façon inédite par Einstein dans cet article de 1905 : la dilatation des durées impropres d’une part, et la multiplicité des temps propres d’autre part (ce qui est plus rarement relevé).
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Dans ses cours à l’École polytechnique, Cauchy donne une définition de l’intégrale comme limite des sommes (dites de Cauchy), qui correspondent aux rectangles situés sous la courbe et qui approchent celle-ci en limite. À l’aide de cette limite de sommes, habilement calculées de plusieurs manières (sommes arithmétiques, géométriques), il retrouve les fonctions primitives d’un certain nombre de fonctions.
Mais l’originalité de son approche tient dans tout ce qu’il fait dire à l’intégrale définie : c’est un objet additif, l’inversion de ses bornes inverse son signe, c’est-à-dire un certain nombre de propriétés algébriques de l’intégrale définie. Il définit aussi la famille de primitives d’une fonction continue, à une constante additive près.
Il étend aussi sa nouvelle approche aux intégrales à borne (supérieure ou inférieure, ou les deux) infinie, et aux intégrales définies singulières, avec des points de discontinuité (en nombre fini) de la fonction initiale.
Riemann ou Lebesgue poursuivront ce type de travaux, et donneront des définitions beaucoup plus générales de la notion d’intégrale. Même si le collectif Bourbaki éreintera plus tard Cauchy (« sa démonstration, qui deviendrait correcte si elle s’appuyait sur le théorème de continuité uniforme des fonctions continues dans un intervalle fermé, est dénuée de toute valeur faute de cette notion » – Bourbaki 1969) : cette appréciation, sévère et juste en toute rigueur mathématique à la lumière de nos connaissances actuelles, ne serait-elle pas néanmoins injuste ? Car Cauchy, dans ses cours des années 1820 – d’ailleurs peu accessibles à ses étudiants ! – changea la façon de concevoir l’intégrale et la théorie de l’intégration.
L’analyse est réalisée par Jean-Philippe Villeneuve.
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Le pape Léon III rédige vers 795 un opuscule, « l’Enchiridion », dans lequel on trouve une grille numérique insolite et sans aucun commentaire, qui s’avère être un carré magique normal d’ordre n = 9 et de constante magique M9 = 369.
On distingue dans ce carré magique de type associé, de nombreuses progressions arithmétiques, ainsi qu’un certain nombre de sous-carrés magiques, tandis que sa construction, par la Méthode du cheminement régulier, reste simple.
Prétendu mystérieux, ce carré magique se révèle, après décryptage, posséder de nombreuses propriétés inédites intéressantes et remarquables.
L’analyse est réalisée par René Descombes.
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Anders Persson, spécialiste mondial de la force de Coriolis, revient sur un article de Laplace (1803) où celui-ci, trente ans avant Coriolis, donne, de manière simple mais sans réelle interprétation physique, l’expression de cette force. Il le fait à propos d’une étude sur la déviation des corps lâchés d’une certaine hauteur : cette question occupait le corps scientifique depuis au moins Galilée et le mât de son bateau – d’autant qu’une déviation, aussi minime soit-elle, était une preuve supplémentaire de la rotation de la Terre sur elle-même. Persson retrace l’histoire de cette « quête de la déviation », avant que Laplace et Gauß ne s’attaquent au problème, quasi simultanément et en rivalité. En sus de nous expliquer les formulations de Laplace en notations modernes (qui correspondent à la démonstration contemporaine la plus courante de la force de Coriolis, plus simple que Coriolis ne la présenta en 1835), Persson nous propose une démonstration par les forces, « à la Newton », ainsi qu’une démonstration cinématique, « à la Kepler » (par la loi des aires) – montrant ainsi que ces deux savants auraient eux aussi pu trouver le fameux terme en -2 Ω × vrel…
Finalement ce sujet de la déviation des corps lâchés d’une certaine hauteur – ou envoyés en hauteur depuis le sol, comme les projectiles – eut une importance parfois méconnue en histoire des sciences. Ce n’était cependant pas qu’un problème académique (ou cosmologique, à propos de la rotation de la Terre !), mais un problème bien concret, par exemple dans l’artillerie avec la portée et la puissance croissante des boulets puis des obus (évidemment soumis à cette déviation), puis au XXe siècle pour le lancement des fusées spatiales.
Pour voir, c’est ici !
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Dès 1851, Hippolyte Fizeau réalise que l’on pourrait mesurer par interférométrie le diamètre apparent des étoiles en découpant avec deux diaphragmes placés devant l’objectif d’une lunette ou d’un télescope deux parties de la lumière reçue de l’étoile et en faisant interférer ces deux faisceaux. Mais il ne publie cette idée qu’en 1868 sous la forme d’une simple remarque. En 1873-1874 Édouard Stephan la met en application avec le télescope de 80 cm de diamètre de l’Observatoire de Marseille, pour constater qu’aucune des étoiles qu’il observe n’est résolue. Puis elle est utilisée avec succès par Albert A. Michelson en 1891 et par Maurice Hamy en 1898 pour mesurer le diamètre apparent des satellites de Jupiter, et en 1895 par Karl Schwarzschild pour déterminer la séparation entre les composantes d’étoiles doubles. Ce n’est qu’en 1920 que Michelson et Francis G. Pease parviennent à mesurer ainsi le diamètre de Bételgeuse. Puis la méthode est en sommeil jusqu’à ce qu’elle soit remise d’actualité sous une forme différente en 1956 par Robert Hanbury Brown et Richard Q. Twiss, puis sous sa forme initiale en 1974 par Antoine Labeyrie. Elle est aujourd’hui en plein essor, avec au moins 12 interféromètres optiques spécialisés dans le monde.
L’analyse est réalisée par James Lequeux, astronome émérite à l’Observatoire de Paris (BibNum).
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Le nom de Coriolis est universellement connu ; la carrière et les autres contributions de ce savant sont nettement moins connues (comme la définition physique du mot travail, en 1826). Ici, il use d’une démarche peu habituelle : démontrer un résultat de géométrie (la concourance de droites) en utilisant la statique (forces et moments). C’était là le confluent de ses deux intérêts majeurs : d’une part les mathématiques, qu’il professait à Polytechnique, et d’autre part la statique et la dynamique, à laquelle son nom restera lié (par la force de Coriolis).
Il apporte ici un jalon original sur un sujet connu depuis l’Antiquité (c’est le problème de Ménélaüs d’Alexandrie, au IIe siècle), développé par l’Italien Jean Ceva au XVIIe siècle, et repris par Lazare Carnot trente ans avant Coriolis. Il s’inscrit aussi dans la démonstration de théorèmes duaux, grâce à la géométrie projective notamment – celle-ci avait été imaginée en 1639 par Girard Desargues et développée par le collègue de Coriolis, Jean-Victor Poncelet.
L’analyse est de Alexandre Moatti (BibNum)
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La vie d’un certain nombre d’ingénieurs du début du XIXe siècle en France est peu connue – notamment ceux que l’historien Grattan-Guinness a appelés “ingénieurs-savants” (comme par exemple Coriolis ou Navier). Margaret Bradley entreprend ici de mieux faire connaître Pierre-Simon Girard, un des premiers ingénieurs de Ponts et Chaussées, parmi ceux d’avant la création de l’École polytechnique – comme elle l’avait fait avec Prony, lui aussi ingénieur des Ponts, directeur de l’école de 1798 à 1839.
Elle s’appuie sur un document rédigé par Girard lui-même, un état de services datant de 1832 où il détaille non sans emphase ses différentes réalisations. Il est un des ingénieurs responsables lors de l’expédition de Bonaparte en Égypte, où il travaille sur l’élévation du niveau du lit du Nil, et sur la possibilité de créer un canal vers la mer Rouge : les travaux de l’expédition d’Égypte (puis ceux des saint-simoniens sur place) seront précurseurs du creusement du canal de Suez par les Français. Restant en Égypte tard, de 1798 à 1802, il s’y fait remarquer par Bonaparte, qui pendant tout son règne lui apportera son soutien.
Le Consul le nomme à son retour, en 1802, responsable du projet de canal de l’Ourcq : il s’agissait d’alimenter Paris en eau potable par un canal régulier où l’on pouvait puiser une eau saine – d’où l’idée de dériver la majeure partie d’une petite rivière du nord-est, l’Ourcq, qui se jetait dans la Marne. Le projet est mené à bien et le canal ouvre sous l’Empire : il est toujours utilisé, notamment en Seine-Saint Denis pour le transport fluvial de matériaux de construction et de gravas.
Parallèlement, Girard, ingénieur-savant, avait enrichi la science hydraulique de certains de ses ouvrages, ainsi que la mécanique – il publie en 1798 un traité de résistance des poutres. En 1811, il dessine une fontaine, installée comme château-d’eau sur l’actuelle place de la République ; cette fontaine se trouve actuellement à La Villette, près du canal de l’Ourcq.
Girard, ingénieur innovant, avait toujours eu maille à partir avec son corps d’origine, les Ponts et chaussées, où son avancement est freiné, compte tenu de son caractère indépendant. Par ailleurs, à la chute de l’Empire, Girard tombe dans une relative disgrâce, comme un certain nombre de savants (Monge, par exemple). Il avait néanmoins été élu à l’Académie des sciences en 1815, et continuera à travailler jusqu’à sa mort en 1836 sur les projets d’aménagement hydraulique et d’assainissement de la ville de Paris.
L’analyse est de Margaret Bradley (BibNum). Elle a enseigné dans plusieurs universités et grandes écoles en Angleterre, France, Russie et Chine. Biographe de Prony et Dupin, elle a publié de nombreux articles sur l’histoire de la science en France aux XVIIIe et XIXe siècles. Diplômée en français, espagnol et russe, elle a fait son M.Phil. sur les origines de l’École polytechnique, et son doctorat sur la vie et l’œuvre de Gaspard de Prony.
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Paul Painlevé (1863-1933), connu comme homme politique est aussi mathématicien. Au départ circonspect vis-à-vis de la théorie de la relativité, il publie trois notes à l’Académie des sciences en octobre et novembre 1921, et mai 1922. Il propose d’abord une métrique contenant la mécanique newtonienne en une équation, à l’instar de l’équation d’espace-temps de la relativité générale.
Avançant ensuite dans le sillage relativiste, qu’il comprenait progressivement mieux, il propose ensuite une autre métrique que celle de Schwarzschild (publiée en janvier 1916 et couramment utilisée depuis par les « einsteiniens »), en solution de l’équation d’Einstein. Avec cette métrique, on ne retrouve pas la fameuse « singularité de Schwarzschild » qui donnait du souci aux einsteiniens, avant d’être plus tard interprétée correctement ; mais, par ailleurs, la métrique de Painlevé est orientée dans le temps (elle n’admet qu’un dt positif), alors que la relativité générale se donnait comme principe la non-orientation du temps (réversibilité).
Enfin, Painlevé développe une classe entière de solutions de l’équation d’Einstein, pouvant conduire aussi bien à sa propre métrique qu’à celle de Schwarzschild. Il aura ainsi proposé la forme la plus générale de solution à l’équation d’Einstein.
S’il est vrai que Painlevé n’avait pas accepté certains fondements de la théorie de la relativité, cela ne le dessert pas, car en tant que mathématicien il en avait compris le mode d’emploi et, libre de toute contrainte, il bouscule les limites conceptuelles existantes à l’époque, au point qu’il sera incompris de ses contemporains et que lui-même, quelque peu dépassé, ne saura en assumer l’héritage.
Cette métrique de Painlevé, qui peut être considérée comme une passerelle entre la mécanique classique et la relativité générale, sera redécouverte 80 ans plus tard comme outil fort utile, dans des articles relativistes contemporains, au début des années 2000.
L’analyse est réalisée par Jacques Fric.
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L’Anglais Charles Babbage (1791-1871) a imaginé entre 1830 et 1850 deux machines de calcul, la machine aux différences et la machine analytique, cette dernière susceptible de fonctionner avec des cartes perforées, comme le faisaient déjà les métiers à tisser de type Jacquard. C’étaient des idées théoriques – presque des expériences de pensée qui ne verront pas réellement le jour en tant que machines concrètes –, mais elles révolutionnaient l’idée du calcul mécanique (qui avait peu avancé depuis Pascal puis Leibniz), et elles contenaient ce qui sera au fondement du calcul avec les moyens électromécaniques puis électroniques du XXe siècle : des « moulins », où se réalisent les calculs élémentaires avec fiches perforées (on parle aujourd’hui de processeur), un « magasin » permettant de stocker les valeurs intermédiaires des calculs (on parle aujourd’hui de mémoire vive). Sans oublier des constantes (comme π) calculées avec des approximations rationnelles (comme encore de nos jours) et stockées.
Babbage vient à un congrès de scientifiques italiens en 1840 à Turin : c’est là qu’il expose en détail ces projets. L’ingénieur italien Menabrea en fait un compte-rendu en français, publié dans la Bibliothèque Internationale de Genève en 1842. C’est cette version qu’Ada Lovelace traduit en 1843 en anglais, et que Babbage et elle complètent par un certain nombre de documents d’instructions (qu’on appellerait aujourd’hui algorithme). On peut ainsi (re)découvrir avec Menabrea un personnage que l’histoire de l’informatique a laissé dans l’ombre malgré une contribution significative.
L’analyse est réalisée par François Rechenmann, Directeur de recherches à INRIA.
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