Après avoir évoqué le sujet de la baie 100 et des vitraux les plus anciens du chœur de la cathédrale Saint-Corentin, je voudrais parler ici des vitraux de la fin du XVe siècle, qui ont été commandés pour les fenêtres hautes du transept et de la nef1.
Comme dans le chœur, la plupart des fenêtres présente de nombreuses lacunes et des restaurations, réparations et comblements des XIXe et XXe siècles. Si on met en regard les descriptions anciennes et l’état actuel, on peut noter des modifications dans l’ordre des lancettes : certains personnages ont ainsi été déplacés.
Plusieurs vestiges anciens sont toutefois en place, parfois bien datés par des inscriptions dans les vitraux ou grâce aux armoiries conservées.
Dans les bras Nord et Sud du transept sont conservées 10 baies (n°113 à 122) ; le même nombre se retrouve dans la nef (baies n°123 à 132). La datation de cette campagne de vitrage s’appuie sur les documents relatifs à l’architecture. Les fenêtres hautes de cette partie de l’édifice commencent à être vitrées à partir de 1493. Les spécialistes s’accordent donc sur une réalisation bouclée entre 1495 et 1497, soit un chantier très rapide, qui dut nécessiter l’intervention de nombreux artistes et de plusieurs ateliers2. Aucun nom précis n’a pu être rapproché de ces œuvres car les archives sont très lacunaires. En outre, si on connaît plusieurs noms de peintres-verriers intervenus dans la cathédrale pour des réparations au cours du XVe siècle (cf. infra), aucun ne peut être associé avec certitude aux commandes passées dans les années 1490.
Le transept.
Le transept offre un ensemble vitré important, avec des vestiges du XVe siècles, mais surtout des restaurations et réparations, ainsi que les roses (baies 117 et 118), le tout réalisé aux XIXe et XXe siècles. Pour les parties anciennes, on compte 10 baies, composées de 4 à 6 lancettes chacune. Chaque lancette accueille un ou deux personnages sur un fond damassé et surmonté(s) d’un dais architecturé. C’est une composition habituelle des vitraux de la période.
Intéressons-nous à deux baies en particulier : les n°116 et 121.
Baie 116
Cette baie est plutôt bien conservée et comporte encore de nombreux éléments anciens, c’est-à-dire de la fin du XVe siècle. Une inscription ancienne donne le nom et la qualité des donateurs de cette verrière, Geoffroy et Rioc de Tréanna, chanoines de la cathédrale depuis 1486. En outre, cette inscription porte la date de 1496 et constitue donc un repère chronologique important.
Les descriptions anciennes différent un peu de ce qui est visible actuellement : aujourd’hui, les deux donateurs encadrent les personnes saintes, alors qu’ils étaient face à face si on en croit les témoignages du début du XIXe siècle.

Actuellement, les cinq lancettes comptent donc deux donateurs, Geoffroy et Rioc, de part et d’autre ; au centre se trouve le Christ, auréolé d’un nimbe crucifère et tenant un bâton surmonté de la croix du ressuscité. Il fait un geste de bénédiction tout en baissant les yeux. Son expression est sereine, son regard un peu dans le vague. Il porte un long manteau rouge qui laisse voir une partie de son torse et ses pieds nus. À droite, se trouve saint Martin et à gauche, sainte Geneviève, qui est représentée avec une iconographie traditionnelle : un livre ouvert dans une main et un long cierge dans l’autre. Dans son dos, un petit diable souffle sur la flamme du cierge tandis qu’un ange empêche le diable d’éteindre la lumière. Elle a la tête légèrement penchée et est tournée vers le Christ. Saint Martin, reconnaissable immédiatement car il est en train de découper son manteau, est à cheval. L’animal avance vers le Christ mais le saint se tourne de l’autre côté, vers le pauvre auquel il va remettre le tissu.
Ce vitrail est particulièrement intéressant car les informations sont nombreuses sur ses commanditaires et qu’il est relativement bien conservé. En outre, il comporte des pièces montées en chef-d’œuvre : cela signifie qu’une pièce d’une couleur est incluse dans une autre d’une couleur différente et que le plomb qui l’entoure est isolé3. Dans la lancette de saint Martin, plusieurs détails du harnachement du cheval sont inclus de cette façon, comme les cercles jaunes qui décorent le harnachement du cheval du saint. C’est une technique particulièrement difficile à maîtriser et qui révèle la grande habileté des verriers qui ont travaillé à ce chantier quimpérois.
Baie 121, dite de saint Charlemagne
Cette baie est dite de saint Charlemagne car c’est le saint qui occupe la lancette principale. Commençons donc par ce dernier : il est vêtu d’une cotte d’armure qui porte un écu mi-parti : aigle impérial et trois fleurs de lis. Une main posée sur le pommeau de son épée, il tient de l’autre un sceptre et porte une haute couronne impériale fermée. Charlemagne fut canonisé en 1165 et de nombreux diocèses du Nord de l’Europe le prirent pour saint patron. Dans le royaume de France, Louis XI accentua la dévotion à saint Charlemagne dans les années 1460-1470. Au XIXe siècle, le culte fut limité par le pape.
Un seul autre vitrail à l’effigie de saint Charlemagne est connu en Bretagne, à Malestroit dans le Morbihan (baie n°1). Il s’agit d’une création entièrement moderne (réalisé sans doute en 1906)4.
Si on regarde plus loin, les figurations vitrées anciennes de saint Charlemagne sont plutôt rares et le plus souvent apparaissent car il s’agit du saint patron du donateur : par exemple dans l’église Saint-Alpin de Châlons-sur-Marne (baie n°10) ou la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre (baies 126 et 135).

À Quimper, la tête de Charlemagne est, peut-être, une copie de l’original et le buste est plutôt bien conservé. Sa représentation diffère sensiblement de celle des autres saints Charlemagne de la fin du XVe et du XVIe : ils ont généralement une orbe dans la main et tiennent leur épée dressée de l’autre. Leur armure est recouverte d’un long manteau brodé. En revanche, tous les saints portent les cheveux longs et la barbe, ainsi que la couronne impériale caractéristique.
Autour de lui, les lancettes alternent des saints seuls et des donateurs présentés par leur patron. De gauche à droite, on reconnaît saint Pierre, un saint évêque et un chanoine, un saint imberbe avec une épée et un autre chanoine (presque entièrement moderne) et enfin saint Paul. Le tympan est entièrement du XIXe siècle.
La nef.
Dans la nef, on retrouve une présentation assez similaire. Là encore, je fais un choix un peu subjectif en ne présentant que deux baies : les n°124 et 131.
Baie 124, dite aussi la verrière aux cinq saints.
On y retrouve le système de présentation habituel, avec un saint par lancette, devant un tissu de damas tendu ; en haut, un dais, dont le dessin est répété à l’identique. Le tympan a été entièrement refait et je ne m’y attarde donc pas.
De gauche à droite, on peut admirer saint Yves, saint Jacques le Majeur, saint Pierre, saint Jean-Baptiste (dont la tête est moderne) et enfin un Saint Louis ajouté au XIXe siècle.
Les saints sont à peu près identifiables, sauf Yves, qui a parfois été identifié comme Thomas ou Dominique. Il fait un très beau geste, dit d’argumentation. Ce n’est pas un cornet de glace (!) dans sa main droite mais plus certainement un sac à procès, c’est-à-dire un petit sac en tissu servant, sous l’Ancien Régime, à contenir les documents relatifs à une affaire judiciaire.

Cette verrière est particulièrement travaillée, notamment dans les drapés à dominante blanche des saints. Si le verre est abîmé, on devine le travail délicat des plis et des ombres, qui donne un aspect particulier à chaque personnage, dans l’espace étroit des lancettes. Les trois visages anciens sont bien distincts, avec une personnalité différente.
Des détails techniques sont spécifiques à cette verrière et à la suivante, notamment la présence de gravures, un phénomène courant dans le vitrail de la période5. De même, le verre blanc ou incolore a une teinte spécifique.
Baie 131
Cette verrière au dessin fin et soigné et aux visages et aux drapés particulièrement travaillés présente les mêmes caractéristiques de composition. De gauche à droite, les spécialistes ont reconnu Laurent du Groesker, chanoine de la cathédrale (1489-1496) présenté par saint Laurent ; à côté, saint Corentin, dont les attributs datent du XIXe siècle (crosse, mitre, poisson) ; sainte Marie-Madeleine (dont la tête date également du XIXe siècle), reconnaissable à son pot à onguents et enfin saint Michel (tête moderne), tourné vers les autres lancettes, combattant le dragon à ses pieds.

On reconnaît parfaitement le saint patron du commanditaire à son attribut, le grill de son martyre.
Les autres vitraux de la cathédrale de Quimper, disposés dans les fenêtres basses, appartiennent tous aux XIXe et XXe siècles. Les œuvres anciennes ont été détruites ou très abîmées à la Révolution puis au cours du XIXe siècle6. La cathédrale a entrepris au cours de ce siècle un vaste chantier de restauration et de remplacement des verrières disparues.
Les peintres-verriers de la cathédrale.
Ce sujet mériterait plusieurs billets (!) : je présente ici, très rapidement, l’état des connaissances au sujet des artistes qui sont intervenus au sein de l’édifice au XVe siècle. Les archives de la cathédrale Saint-Corentin conservent ainsi les noms de Jamin Sohier (années 1410), de Guillaume (en 1440), de Jean Goellicou (1458) et un homonyme, un autre Jean Sohier, actif en 1474.
Le fameux document sur lequel se sont appuyés de nombreux spécialistes pour identifier Jamin Sohier en tant qu’auteur des vitraux du chœur (baies 100 à 103) est conservé aux Archives Départementales du Finistère sous la cote 2 G 141, f°27. On y lit l’intervention d’un Jamin pour les réparations de vitres de la chapelle neuve7.

Jean Sohier II, ainsi que le désigne R.-F. Le Men, reçoit une pension annuelle pour la réparation des vitraux, pension qu’il perçoit, au moins de 1474 à 1486. Il est encore mentionné en 1499, au moment où les travaux des fenêtres hautes du transept et de la nef sont en cours voire achevés8. Un troisième – ou le même ? – Jamin ou Jean Sohier apparaît encore dans les comptes, en 1514, toujours pensionné pour la réparation des vitraux.
Les autres artistes cités, tout comme les Sohier, le sont exclusivement pour des réparations et jamais explicitement pour la pose de nouvelles verrières.
- Ce billet est un résumé des connaissances actuelles sur les vitraux de la cathédrale de Quimper, issues de plusieurs sources dont la principale est le volume du Corpus Vitrearum consacré à la Bretagne, sous la direction de Françoise Gatouillat et Michel Hérold : Les vitraux de Bretagne, Rennes : PUR, 2007. L’ouvrage sous la direction de Tanguy Daniel et paru en 2005 est une somme capitale : Tanguy Daniel (dir.), Anne Brignaudy, Yves-Pascal Castel, Jean Kerhervé et Jean-Pierre Le Bihan, Les vitraux de la cathédrale Saint-Corentin de Quimper, Rennes et Quimper : PUR et SAF, 2005.
On consultera avec profit les articles publiés en ligne par Jean-Yves Cordier sur son blog : https://www.lavieb-aile.com/2016/02/les-vitraux-du-choeur-de-la-cathedrale-de-quimper-i.html ↩︎ - Françoise Gatouillat, « Quimper, cathédrale Saint-Corentin. Les vitraux anciens » dans Congrès archéologique de France, Finistère, Paris : SFA, 2009, pp. 293-301, p. 299. ↩︎
- Pour une étude du sertissage en chef-d’œuvre, voir l’article d’Emma Isingrini-Groult, “De la structure au décor : le plomb en vitrail” Variations patrimoniales. Le carnet de l’INP, 2021, en ligne [consulté le 02 juin 2025] : https://doi.org/10.58079/12soc ↩︎
- F. Gatouillat et M. Hérold, op. cit., Les vitraux de Bretagne, p. 303. ↩︎
- Roger Barrié, “Les verres gravés et l’art du vitrail au XVIe siècle en Bretagne occidentale” dans Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, tome 83, n°1, 1976, pp. 35-44. ↩︎
- F. Gatouillat et M. Hérold, Les vitraux de Bretagne, op. cit., pp. 172-176. ↩︎
- Voir R.-F. Le Men, Monographie de la cathédrale de Quimper, Quimper : Jacob et Mlle Lemercier, 1877, pp. 301-305 (la transcription du document y est reproduite, note n°1, p. 302) ; F. Gatouillat et M. Hérold, Les vitraux de Bretagne, p. 172 ; T. Daniel (dir.), Les vitraux de la cathédrale de Saint-Corentin de Quimper, op. cit., pp. 27-28. ↩︎
- R.-F. Le Men s’appuie sur cette chronologie pour lui attribuer “une large part dans la peinture des vitraux de ces deux parties de l’église”, op. cit., p. 304. ↩︎














