| CARVIEW |
Ce billet se veut la recension de deux ouvrages à destination des doctorants et des publics souhaitant mieux connaître le quotidien du thésard :
- La position du doctorant : Trajectoires, engagements, réflexivité, sous la direction de Laurent Di Filippo, Hélène François & Anthony Michel, Questions de communication, série actes 16, 2012, 210 pages ;
- Devenir chercheur : Écrire une thèse en sciences sociales, sous la direction de Moritz Hunsmann & Sébastien Kapp, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2013, 359 pages.
Cette prise de recul sur l’expérience de thèse n’a pas le même effet cathartique que les dessins bien connus de Jorge Cham (PhD Comics) ou de Tis (PhDelirium). L’idée n’est pas ici de rire des situations dans lesquelles le doctorat nous plonge lorsque l’on recherche, écrit, enseigne, travaille à côté de ses recherches, échange ou s’isole, mais plutôt de comprendre nos conditions d’« hybrides » inclassables (Michel, 2012, p. 157) qui, comme le plasticien, tendent à écrire « non pas sur le vif de leur création mais sur la dépouille, la mue, qu’ils sont en train de quitter » (Le Gouic, 2007, p. 61).
Les ouvrages de Hunsmann et Kapp et de Di Filippo, François et Michel sont très différents mais délivrent un même message d’espoir :
- une bonne thèse (donc une thèse avant tout finie) peut être menée dans toutes les conditions possibles, ou presque (Fernand Braudel a bien mené la sienne en captivité !) ;
- une bonne recherche n’est pas disqualifiée d’avance du fait de potentiels « handicaps » – tels que l’intégration disciplinaire, la reconnaissance du sujet, les formes d’encadrement, l’accès au terrain, etc – pour peu que l’on prenne la peine de s’intéresser (avec mesure) aux règles du milieu de la recherche.
La position du doctorant
Les essais et parcours d’Hélène François, de Fanny Martin, d’Audrey Bonjour, de Magali Bugne, d’Anthony Michel, de Sahand Aleboyeh, d’Albinou Ndecky, d’Aurélie Michel et de Laurent Di Filippo n’ont pas de point final puisque les contributeurs en fin de thèse ou jeunes docteurs s’interrogent sur leurs parcours en situation.
Non dépourvue d’humour, l’écriture des auteurs reflète des aspects parfois surprenants des expériences que chacun peut vivre ou avoir vécu. Elle présente surtout l’avantage de ne pas être celle d’écrits arrivés « à maturité », dont les béquilles auraient disparu une fois le récit suffisamment solide pour que la critique puisse y assoir un jugement scientifique. À cet égard, les contributions de Magali Bugne (p.87) et d’Hélène François (p.29) ne manquent pas de courage : elles y écrivent noir sur blanc leurs doutes, leurs erreurs et le cheminement par lequel elles sont parvenues à construire leur posture théorique en réponse à ces expériences.
Les auteures donnent donc à voir, à travers l’énonciation de leurs choix personnels, de leurs errances, de leurs changements de perspective, une étape intermédiaire de la réflexivité du chercheur, qui peut permettre au lecteur de se poser à son tour les bonnes questions avant de s’attaquer à la rédaction de son manuscrit : « Et moi ? Quelle est ma thèse ? Qu’est-ce que je souhaite défendre devant mon jury ? Et comment est-ce que je compte m’y prendre ? ».
Bien que « simple », l’idée portée par ce projet n’aurait pu être concrétisée sans une certaine cohérence bibliographique structurante et des échanges visibles entre les contributions. Peut-être l’absence de contributeur issu des sciences exactes a-t-elle également permis aux auteurs de se concentrer sur les enjeux de la réflexivité plutôt que sur la réalisation d’un catalogue des pratiques disciplinaires de recherche. C’est tant mieux.
À côté de ces récits de vie sur la position des doctorants, il est intéressant de lire les témoignages et recommandations des chercheurs confirmés de l’ouvrage d’Hunsmann et Kapp (Thébaud-Mony, p.315), particulièrement dans les cas où le doctorant s’éveille (Aleboyeh, p.117) ou s’engage (Ndecky, p.135) politiquement – sachant que, d’une manière ou d’une autre, le chercheur sera toujours amené à parler à partir d’un point de vue situé en relation avec une « hiérarchie de la crédibilité » (Becker, 1967, p.241).
Devenir chercheur
L’ouvrage de Hunsmann et Kapp présente l’intérêt majeur de regrouper des contributions de grands noms de la recherche sur les étapes jalonnant l’ensemble du parcours de thèse, de l’écriture du projet de thèse (Olivier de Sardan, p. 107) à la soutenance (Zigliara & Hess, p.271) en passant par la publication (Mathieu-Fritz & Quemin, p.229).
Partant du postulat que tout doctorant devrait avoir accès à ces informations fondamentales pour mener à bien son projet de recherche, ce « manuel intempestif » propose des directions (Dayer, p.87), des points d’arrêt (Charmillot, p.155) mais aussi des recommandations prosaïques repérables par un encadré, comme sur l’e-réputation (Dacos & Mounier, p.251), l’articulation des approches quantitatives et qualitatives (Lemercier, Ollivier & Zalc, p.125) ou encore sur la dose d’interdisciplinarité acceptable dans une thèse (Comeliau, p.81).
Le doctorant apprend donc toujours de cette lecture. Il peut surtout se rendre compte, à mesure que les contributions qu’il parcourt se rapprochent de son intuition et de sa démarche, qu’il est finalement sur sa bonne voie – ce qui, face à la feuille blanche, peut faciliter le passage à l’analyse comme à l’écriture.
Comme le souligne Howard S. Becker, « jour après jour, en prenant de nombreuses décisions concernant ce que vous alliez faire de votre recherche, vous avez élaboré les réponses à de nombreuses questions qui vous semblent à présent si compliquées » face à votre écran « complètement blanc ». « En réalité, vous en êtes à la fin et votre tâche principale consiste à vous rendre compte de tous les choix que vous avez faits et à réfléchir à la façon dont ils vous ont amené à dire ce que vous avez à dire. » (Becker, 2013, p. 11).
C’est pourquoi rédiger régulièrement (Zaki, p.171), que ce soit quelques mots sur ses idées en cours de thèse, un compte-rendu de réunion ou encore un journal de terrain, constitue une bonne habitude à prendre, notamment au regard des contributions de Martin (2012) et Bayard (2013) qui, respectivement ouvrent et clôturent les ouvrages collectifs présentés ici.
En effet, la réflexivité du chercheur comme de ses enquêtés étant « un élément de contexte à exploiter et à développer » (Martin, 2012, p.62), la rédaction régulière peut également aider le doctorant à tirer des données récoltées des analyses et des résultats d’enquête. Il peut ainsi se remémorer ses premiers raisonnements, afin de réussir à saisir la complexité humaine in situ, dans un dessein scientifique.
« Les chercheurs en sciences sociales sont au mieux des artistes, plus communément des artisans d’art. Ils doivent l’admettre avec humilité et orgueil. Et bien comprendre qu’ils font d’abord acte de création plutôt que de connaissance – ou plutôt que leur acte cognitif est indissolublement un acte créatif. Ils consignent moins les faits sociaux dans leur réalité supposée objective ; ils en dévoilent moins l’essence (ou plutôt l’ « événement », pour reprendre la distinction de Gilles Deleuze, relative à la définition du concept) qu’ils ne produisent un raisonnement à leur sujet, qu’ils ne les interprètent, qu’ils ne les problématisent » (Bayart, 2013, p.335).
Cependant, si « vous ne dites rien, vous n’exprimez rien, vous vous contentez d’observer : les observés ont donc fort peu de chances de vous « entendre » de travers ni de vous reprendre ; et si vous les écoutez sans leur répondre ni leur poser de questions, il n’y aura pas non plus d’indice tangible de vos mauvaises interprétations » (Beaud & Weber, 1997, p.139).
Ainsi, le projet de thèse appréhendé comme une « anthropologie de l’ordinaire » (Chauvier, 2010) se focalise donc sur deux points : le recentrage de la recherche sur les interactions dans lesquelles le chercheur est impliqué (Di Filippo, 2011) et la redéfinition de la place de l’enquêté comme interlocuteur plutôt que comme simple informateur (Agulhon, 2014).
Références
AGULHON, S., 2014, « Penser avec ses enquêtés : réflexions sur les pratiques de recherche engagées », comptes rendus, l’enquête et le terrain, Les Aspects Concrets de la Thèse.
BEAUD, S., & WEBER, F., 1997, Guide de l’enquête de terrain, éditions La Découverte.
BECKER, H.S., 2013, « Préface. Écrire une thèse, enjeu collectif et malaise personnel » pp. 9-16, in : Hunsmann, M. & Kapp, S., dir., Devenir chercheur : Écrire une thèse en sciences sociales, éditions de l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales.
BECKER, H.S., 1967, “Whose Side Are We On ?”, pp.239-247, Social Problems, Vol. 14, No. 3, pp.239-247.
CHAUVIER, E., 2011, Anthropologie de l’ordinaire. Une conversion du regard, éditions Anacharsis.
DI FILIPPO, L., FRANÇOIS, H. & MICHEL, A., dir., 2012, La position du doctorant : Trajectoires, engagements, réflexivité, Questions de communication, série actes 16.
DI FILIPPO, L., 2011, « Éric Chauvier, Anthropologie de l’ordinaire. Une conversion du regard », Questions de communication, 20, 2011, pp.399-401.
HUNSMANN, M. & KAPP, S., dir., 2013, Devenir chercheur : Écrire une thèse en sciences sociales, éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales.
LE GOUIC, J.-C., 2007, « Distinguer recherche par la pratique plastique et recherche sur la création d’objets plastiques », pp.61-74, in : Danétis, D., dir., Pratiques artistiques, pratiques de recherche, L’Harmattan.
MICHEL, A., 2012, « La bivalence du chercheur en arts plastiques : une réflexion entre théorie et pratique », pp.153-170, in : Di Filippo, L., François, H. & Michel, A., dir., La position du doctorant : Trajectoires, engagements, réflexivité, Questions de communication, série actes 16.
]]>« Ce soir / si j’écrivais un poème / pour la postérité ? / fichtre / la belle idée / je me sens sûr de moi / j’y vas / et / à / la / postérité / j’y dis merde et remerde / et reremerde / drôlement feintée / la postérité / qui attendait son poème / ah mais »
Raymond Queneau, 1948, L’instant fatal.

Labex (pour laboratoire d’excellence), Idex (pour initiative d’excellence), Equipex (pour équipement d’excellence), évaluation par le comité HCERES[1], Shanghai ranking, ouverture du marché européen de l’éducation, compétitivité, notoriété ! Les nouvelles figures claironnantes du progrès de l’organisation académique ont été abordées en ce lundi 13 avril 2015 sous l’angle des dérives néolibérales de la recherche, ne vous déplaise. Olivier Gosselain, archéologue africaniste, professeur à l’Université libre de Bruxelles et « désexcellent », a partagé avec nous ses réflexions sur la question.
Le credo de la désexcellence naît de manière informelle en 2011 entre collègues de l’Université libre de Bruxelles, autant par humour que par engagement, en réponse aux dérives des institutions universitaires et à l’accumulation d’injonctions académiques dont ils considèrent qu’elles les mènent aux antipodes de là où pourraient les conduire des valeurs de partage, de désintéressement, de collectif, de service au public, de qualité : perte de la satisfaction dans son travail, perte d’estime de soi, démotivation, dépression… Ils se mettent alors à réfléchir ensemble à ce qui se joue ici et maintenant, et élaborent de concert analyse de la situation et stratégies de résistance.
Qualité versus excellence
Un monde académique qui fonctionne « vite, beaucoup, mal » est un monde qui ne tourne plus autour d’axes tels que la qualité du travail produit ou la satisfaction retirée de la réalisation de ce travail. L’analyse des métiers de l’artisanat permet d’éclairer ce qu’Olivier Gosselain entend par « qualité » et « satisfaction ». Le travail artisanal est envisagé comme un temps, un espace où se construit une harmonie entre le « faire » et « l’être » (Sennett, 2010). L’on apprend son métier par le développement d’aptitudes pratiques, fruits de gestes répétés, d’habitudes, sous l’autorité d’un maître, tout en s’insérant progressivement dans une communauté de pairs. La satisfaction provient de l’incorporation du savoir par la répétition, de l’acquisition de la capacité à surmonter des problèmes complexes, à étendre ses savoirs hors des champs dans lesquels ils ont été constitués, à produire quelque chose de concret, qui fait sens pour soi et pour les autres. L’excellence, a contrario, signifie dépassement de soi et des autres, accroissement continu des compétences, réussite, le tout sur un temps court. Appliquée au domaine de l’enseignement et de la recherche, elle se décline en formatage des champs et des objets de recherche, marchandisation des enseignements, mise en concurrence généralisée. La précarisation, la dévalorisation des savoirs minoritaires ou construits sur l’expérience, la multiplication des résultats invalides et des fraudes, la disparition progressive de l’esprit critique sont autant de conséquences concrètes de l’idéologie de l’excellence universitaire.

Petite histoire de l’excellence
C’est dans les années 1980, aux États-Unis et au Japon, qu’apparaît, dans les industries privées, le management par l’excellence, dans un contexte de crise économique et de concurrence accrue. Pour entrer en lice sur le marché, on fait appel à la compétition, à la hiérarchisation des différences. Les figures du manager et de l’entrepreneur économique se substituent à celles du savant et du chef d’entreprise. Rapidement, l’idéologie néolibérale déborde le cadre de l’industrie privée pour imprégner d’autres domaines : celui des entreprises publiques, celui de la politique, puis le monde académique. On retrouve l’esprit et l’orientation des réformes de l’excellence dans la déclaration de Bologne (1999) et la stratégie de Lisbonne (2000), présentant les universités européennes comme des institutions surannées à rénover. Il est question d’attirer les meilleurs chercheurs, les meilleurs enseignants, les meilleurs étudiants, d’accroitre sa visibilité et sa notoriété, d’encourager les recherches productives, de mettre en place l’autonomie financière.
Le coût de l’excellence : une erreur radicale et persistante
Pour remplir les objectifs ainsi fixés, les universités développent considérablement leur communication, orientent leurs enseignements vers des parcours professionnalisants, optent pour des recherches de plus en plus guidées par des visées (économiques) prédéfinies. Au nom d’un accroissement constant de la qualité, des systèmes d’évaluation permanente extérieurs à l’université s’élaborent dans des agences de notation nationales ou internationales (AERES, AEQUES). Grilles d’évaluation standardisées et indicateurs bibliométriques sont mobilisés pour rendre compte, en des termes quantifiables, du déroulement des enseignements et de la recherche, sans pourtant prendre en considération leur contenu scientifique.
Peu à peu, le travail des enseignant-chercheurs n’est plus guidé par la quête du savoir mais par l’obligation de remplir des objectifs définis en dehors des contextes de production du savoir. Olivier Gosselain soutient que les politiques d’excellence ont des effets exactement inverses à ceux recherchés, elles sont un exemple de décisions absurdes qui mènent à des erreurs radicales et persistantes (Morel, 2002). La pression est permanente et pèse aussi bien sur les méritants du système que sur les perdants par l’incitation non formulée à toujours dépasser les objectifs, et par une mise en compétition qui sape les solidarités. La recherche du bon score dans les indicateurs d’excellence occupe une part croissante de temps de travail de chacun, au détriment de la qualité des enseignements et de la recherche (balisage des champs de recherche et des profils, désinvestissement de ce qui ne rapporte pas).
Résistance !
Chacun contribue à la situation actuelle et peut choisir de faire acte de résistance, au sein des institutions pour commencer. La première étape pour les désexcellents de l’ULB a été d’opérer un retour vers la littérature pour tenter de contextualiser les événements, de comprendre la « face d’ombre de notre société de conquête » (Aubert et De Gaulejac, 1991). Il apparaît que, partout dans le monde, des chercheurs prônent sans encore la définir précisément une slow science. L’enjeu est de taille, il s’agit d’un véritable combat politique qui trouve des échos au-
delà des disciplines, au-delà des catégories professionnelles (étudiants, enseignants-chercheurs, personnels techniques et administratifs), au-delà des frontières nationales. Des textes sont publiés (Prado, 2009 ; Readings, 2013 ; Scott, 2013 ; Stengers, 2013), ou circulent de façon plus informelle (Charte de la désexcellence[2]). L’idée centrale de ce mouvement de résistance est que l’université ne forme pas uniquement ou en priorité à un emploi ; elle forme pour la vie. Les valeurs intrinsèques à une recherche honnête et de qualité ne procurent pas seulement des connaissances, mais également une éthique, du savoir-être et la capacité à critiquer les dogmes.
.
..
Références bibliographiques
Aubert Nicole et De Gaulejac Vincent, 1991, Le coût de l’excellence, Paris, Seuil.
Morel Christian, 2002, Les décisions absurdes : sociologie des erreurs radicales et persistantes, Paris, Gallimard.
Prado Plinio, 2009, Le principe d’université, Nouvelles Éditions Lignes, disponible en ligne URL: https://www.editions-lignes.com/IMG/pdf/PRADO_LePrincipedUniversite_-2.pdf, [consulté le 21/04/2015].
Readings Bill, 2013, Dans les ruines de l’université, Montréal, Lux.
Scott James C., 2013, Petit éloge de l’anarchisme, Montréal, Lux.
Sennett Richard, 2010, Ce que sait la main. La culture de l’artisanat, Paris, Albin Michel.
Stengers Isabelle, 2013, Une autre science est possible ! Manifeste pour un ralentissement des sciences – suivi de William James Le poulpe du doctorat, Paris, La Découverte.
[1] Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. https://www.hceres.fr
]]>
Professeur de sociologie à l’UCLA[1], formé à l’École de Chicago, élève d’Howard Becker, Jack Katz[2] s’investit depuis de nombreuses années dans l’étude des individus et de leurs sociétés. Aujourd’hui, c’est à Hollywood qu’il a décidé d’enquêter[3], en s’intéressant aux parcours de vie des habitants.
Préparant la séance en transmettant aux inscrits un texte intitulé : Se cuisiner un statut : des noms aux verbes dans l’étude de la stratification sociale[4], Sébastien Kapp nous présente à nouveau un représentant de l’école de Chicago qui éclaire le travail scientifique en sciences humaines et les enjeux et perspectives de la thèse d’une lueur nouvelle, en tous cas en contraste avec ce qui nous est parfois enseigné en sociologie.Jack Katz nous propose de nous éloigner un moment de l’enseignement des méthodes et finalités de productions classiques d’une thèse et d’avoir une approche différente de notre travail et de nos ambitions. Il s’agit d’une rupture ou d’une crise dans le sens positif du terme, qui peut emmener le doctorant dans des lignes de fuites[5] parfois dangereuses mais nécessaire pour une rupture franche d’avec certaines traditions académiques et scientifiques. Puiser des réponses au sein même des méthodes les mieux élaborées n’est pas l’unique voie d’accès à la réflexion scientifique et à la réalisation d’un objet légitime et original, ce qu’ambitionne chaque doctorant.
Ces questions que l’on se pose tous, comment se remettre en question ?
Quels sont les moyens de production, quelle légitimité ai-je par rapport au corps académique et universitaire ? Comment juger de mes capitaux ? Quel positionnement dois-je avoir par rapport à l’objet ? La remise en question fait partie de notre quotidien, elle peut être bénéfique, parfois dangereuse.
« J’ai noté quelques grands marqueurs dans la trajectoire du doctorant en production ; beaucoup de ces choix sont intransigeants, des choix impactants et décisifs, beaucoup sont inhérents à nos volontés de vie et ont donc des conséquences sur celle-ci au-delà de la carrière, du métier. Je ne pense pas et je ne veux pas vous dire qu’il y a des bons et mauvais choix, mais il est important je crois, de vous montrer quels sont ces moments qui marquent les changements, en les identifiant, dans leurs cadres et contextes sociaux, temporels ».
.
Le goût de lire, comment le développer et l’exploiter ?
Lire, précisément, ce n’est pas un choix, c’est une sensibilité. Le choix se fait par la confiance que l’on s’octroie dans l’acte de lecture. Ce processus va de pair avec l’écriture. C’est son moteur. Par exemple on peut imiter le style d’un auteur apprécié, puis s’en détacher progressivement pour forger sa propre plume. La lecture demande rigueur et patience. Le travail d’analyse de texte, d’analyse des contenus se fait de plus en plus aujourd’hui via des logiciels qui automatisent des anciens processus. Il faut néanmoins essayer, peut-être, de ne pas trop se détacher du papier, « sa puissance ne pourra vous atteindre si vous travaillez sur des ouvrages uniquement par le filtre d’un programme informatique ». Un passage, une citation, par l’acte de lecture viennent subitement éclairer, relancer votre dynamique intellectuelle. Il s’agit là d’émotion, de ressenti, de « moments de lecture ». « Les softwares peuvent aider mais gardez un peu de saveur pour vous, par les mécaniques de l’esprit ».
Les phases lumineuses pendant la recherche empirique, comment se les approprier ?
Quand on est accaparé par le « terrain », la vie sociale passe presque exclusivement par le filtre de la recherche. Il faut faire confiance à ces moments intenses qui vont influer sur la qualité de notre enquête, ce moment où l’on va aller vers une phase de représentation et de (re)découverte de notre sujet, notre objet.
On a beau agréger des milliards de données, les classer, etc … On se demande toujours par où commencer. Même si le travail de terrain est très bien mené, il y a un grand risque de perte de ces données, « commencez avec 2 ou 3 données empiriques qui pour vous sont puissantes, vous touchent, sans vous préoccuper de convaincre les autres, ces potentiels lecteurs et examinateurs. Dites-vous « pourquoi je fais de cette donnée un cas » ? C’est une question pour commencer ses analyses».
.
Variation ou description : Quel angle d’attaque ?
La « variation » est un phénomène que tous les étudiants ne savent pas appréhender. Certains la ressentent et savent se l’expliquer, d’autres moins. La variation, c’est considérer les différents paradigmes qui sont autant de voies différentes pour répondre à une problématique.
La plupart des sociologues vont mettre en lumière les éléments qui expliquent les expériences. Les histoires les plus fortes de sociologie nous expliquent des choses diverses : Max Weber nous raconte la naissance du capitalisme par le prisme de la religion, Emile Durkheim la méthode sociologique dans le contexte social d’alors, etc. La variation c’est aussi cet agrégat de « petits éléments » qui permet l’évolution du sujet, de la problématique. Cette transformation progressive de l’angle de vue est normale et nécessaire. Les étudiants qui restent ancrés dans leurs a priori de départ, qui ne prennent pas le risque d’explorer les autres parcours possibles, produiront un travail moins intéressant, moins enrichissant pour eux, aussi.
Véracité du sujet, suis-je original ?
Il faut se faire à cette idée tragique : le sujet choisi a souvent déjà été étudié dans un champ de recherche, une thèse déjà produite… Très peu d’enquêteurs font le choix de se servir de cette information pour modifier leur problématique, le terrain, ce qui n’est pas forcément judicieux.
.
Etre en conflit avec les « puissants » ou pas ?
C’est le schéma le plus courageux et qui guide souvent le désir de certains d’écrire pour la société. C’est s’orienter vers une volonté de discours puissant, qui se veut contre-culturel. Mais quelle légitimité a-t-on et comment se positionner quand on veut se placer du côté des faibles ?
Être sur une enquête liée à un débat en cours, ou un thème contemporain en dehors de n’importe quel débat, est louable. Dans la culture ethnographique universitaire, si l’on mène une enquête qualitative peu importe l’importance du sujet au premier abord.
« J’ai une étudiante qui a travaillé sur les objets perdus. On lui a souvent dit que son sujet n’avait pas d’importance, qu’il y avait des phénomènes universels bien plus urgents à observer, à étudier. Faites fi de ce genre de recommandations, au contraire un petit objet de recherche, lié à une sensibilité telle qu’elle doit s’exprimer dans ce travail, a toute son importance à l’échelle du monde. Si vous arrivez à ça vous arriverez à une vision lucide de nos systèmes contemporains ».
Est-il légitime d’enquêter dans des cercles sociaux que l’on connaît ? Comment valoriser la méthodologie dans ce cas ?
Certains sont fondamentalement et moralement contre ce genre de démarche, néanmoins le regard que l’on porte peut être accru du fait de cette connaissance. « Je ne sais pas de quel côté pencher, mais c’est pour vous une réponse personnelle à trouver ».
.
Comment se comporter en interview ?

Que faire d’un silence par exemple ? Ce silence qui met mal à l’aise, un de ces moments existentiels, qui parfois est évité en utilisant une liste de questions qui permet moins de « temps morts » mais aussi moins de profondeur. Il faut apprendre et savoir comment on souhaite gérer les moments de malaise, l’émotion de notre interlocuteur, la nôtre. Par exemple savoir comment utiliser nos connaissances sociologiques peut nous aider à traverser cette expérience, alors même que ce n’est pas une « utilité » décrite et montrer comme telle sur les bancs de l’université. « Howard Becker me disait de rester muet face au silence».
Il faut trouver comment sortir du schéma d’un interviewé en attente de soutien, face à un universitaire qui a la légitimité et les connaissances pour mener l’entretien.
.
Comment capter les informations pendant les enquêtes et interviews ?
Est-ce que l’on doit enregistrer l’interview ? « il y a des raisons de ne pas en faire ; cela peut changer notre manière de recevoir et de transcrire ensuite l’information ».
Ecrire et transcrire sans enregistrement est une douleur puissante, un travail très difficile mais ça peut peut-être éviter ce que l’enregistrement engrange : accumulation massive de données numériques, nécessité de tout réécouter, s’empêcher de développer une capacité d’analyse objective en temps réel. Par contre, quel que soit le support, il faut travailler la matière rapidement après l’avoir récoltée. « J’ai travaillé de différentes façons, enregistreur ou pas, dans les premières années de ma carrière, je n’enregistrais pas, et c’était très bien, je développais ainsi mes moyens d’analyser. »
Comment s’assurer d’un contexte approprié pour l’enquête et ma problématique ?
Observer des gens au café, la manière de parler, des gens au travail, tout est matière à l’analyse, il n’y a aucune barrière comme terrain de jeux face à l’objet. Il faut à la fois voir le détail et observer le tout, ne jamais oublier le contexte spatio-temporel de notre sujet et/ou objet, très peu d’auteurs se permettent de faire le lien entre des moments d’observations caractérisés par des contextes et des objectifs différents. C’est savoir se situer dans les différentes dimensions de l’objet que de réunir des données éloignées et de construire une analogie intelligible.
.
Problème de compréhension ou ambiguïté du sujet ?
Parfois, à la lecture il arrive de ne pas saisir un concept, l’approche d’un sujet,… « Est-ce moi qui ne comprend pas ou l’auteur qui utilise des codes de langage trop complexe? ». Dilemme existentiel encore une fois. On peut transformer ce problème en mécanique d’apprentissage. Une mauvaise compréhension lors d’un interview embarrasse, voire irrite. Très souvent on remet en question et on culpabilise d’enquêter sur les territoires intimes de ces interlocuteurs, une relation déséquilibrée, difficile à estimer comme légitime.
.
Design expérimental et statistiques
Les études sociologiques mentent presque toujours, c’est presque impossible de faire la parfaite « random analysis ». On est pressé de recevoir les analyses des observations collectées : il faut ainsi rechercher notre propre objectivité dans cette phase de production de la représentation. Le dilemme est brutal : comment défendre une hypothèse en gardant l’empreinte de la probabilité, sans en faire une vérité ? Il est indispensable d’avoir conscience de nos préjugés et des préjugés historiques qui s’inscrivent dans la résultante des analyses passées en plus de celle que nous réalisons.
.
Références et justifications, beaucoup ou pas ?
Les références pour justifier de ce que l’on écrit posent des questions de légitimité du propos et de la mesure de celle-ci. En faut-il beaucoup, peu ? « Quand vous êtes prêt à publier, posez-vous la question : quel est ma voix, mon style »? Alors vous saurez si vous devez être très descriptif sur ces lectures qui vous servent d’assises, ou vous en défaire.
.
L’absurde et le jeu, qui suis-je au milieu de tout ça ?
Il est essentiel de conserver sons sens de l’humour, de se dégager des événements quand on rédige une thèse. C’est en préservant ça que l’on reste attaché à la volonté de vérité sociale, qui nécessite une assurance d’être présent et détaché à la fois. Le sens de l’absurde, du tragique, ces types de sensibilités naturelles sont un atout pour prendre du recul sur les situations à exploiter, conserver et s’assurer un regard toujours lucide. Cette sensibilité à l’œuvre permet de déceler des mécanismes d’interactions qui ne sont pas forcément propres au contexte mais « au jeu qui se joue devant nos yeux ».
Jack Katz qui en appelle à une rupture avec un système parfois classique de méthodes et de postures pour le doctorant, nous rappelle à plusieurs reprises qu’il propose ici un guide, une ossature, un panel de fondamentaux qui sont selon lui largement suffisants pour que le doctorant soit en mesure de construire son propre mécanisme méthodologique et ses propres champs de liberté autour de la recherche. C’est surtout sur ce sujet qu’il insiste. En parlant de phases, de variations, de constellations autour de la thèse elle-même, plus ou moins reliées à celle-ci, il veut nous transmettre un message important, celui de vivre pleinement la thèse, avec joie et curiosité. Certains ont l’impression que le doctorat est un nouveau cursus, d’autres au contraire une consécration. N’est-ce pas simplement un voyage qui nous fait voir d’un seul coup le monde tournant autour d’un point central (sujet et/ou objet) duquel nous devons aller et venir sans jamais oublier ni le détail, ni l’ensemble. Un véritable travail intellectuel d’abstraction-création qui doit rester ancré dans le réel pour ne pas devenir une abstraction de la réalité ni une recréation de sens, ni une monoculture de cet ensemble. La thèse peut être l’achèvement ou le début, elle est surtout l’initiation à la pensée scientifique, celle qui demande une désubjectivation sans jamais se détacher complètement de la singularité qui nous constitue et qui fera l’originalité de tous les travaux entrepris. Difficile dialogue, mais pas impossible. Et la meilleure méthode pour l’atteindre ? La vôtre.
.
.
.
Notes
[1] University of California in Los Angeles
[2] https://www.sscnet.ucla.edu/soc/faculty/katz/cv.pdf
[3] À paraître : Neighborhood Hollywood: Residential Community, Locally Shaped Biographies, and Cultural Representation, 1870-2010.
[4] Jack Katz, Cooks, cooking up recipes : the Cash Value of Nouns, Verbs and Grammar in The American Sociologist éd. Springer – 2012.
[5] Gilles Deleuze parle des dangers potentiels de sa propre méthode : https://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=214
.
.
.
]]>
La séance du 16 mai 2014 des Aspects Concrets de la Thèse était consacrée à l’émission Radio Thésards, diffusée sur la web-radio France Culture Plus. Nous avons reçu David Christoffel, musicologue, poète, auteur d’opéras parlés, producteur de l’émission. Tout en adoptant une posture réflexive par rapport à sa pratique d’intervieweur, il s’est efforcé de proposer des pistes de réflexions sur la diversité des parcours doctoraux, à partir des expériences de la cinquantaine de doctorants auxquels il a tendu son micro.
La séance a été filmée par Mathieu Rouault (Docteo). Vous pouvez la visionner ici :
Du projet éditorial au projet de recherche ?
Si on a pu reprocher au terme « thésard » sa connotation dépréciative, il s’agissait bien, dans le titre de l’émission, d’évoquer une certaine errance intellectuelle propre à la première recherche, le caractère initiatique de la thèse, les incertitudes, les détours, les égarements. Il s’agit, pour David Christoffel, producteur de Radio Thésards, d’envisager la recherche en s’écartant en quelque sorte de la culture de l’efficacité. En effet, par rapport à l’époque des débuts de Radio Thésards en 2013, on observe déjà une accélération du temps de la thèse, censée désormais se faire en 3-4 ans – David Christoffel avait lui-même passé 9 ans sur la sienne.
Le parti pris initial de Radio Thésards, aux accents presque militants, était qu’il n’y a pas de recherche inutile, et que tout thésard peut être radiophoniquement intéressant. Le format web offrait certains avantages : il permettait d’être à la fois spécialisé et généraliste, de ne pas s’enfermer dans une grille de radio « classique ». Mais subsistaient tout de même des contraintes de périodicité, qui ont donné lieu à une émission hebdomadaire et leur regroupement en saisons. La première saison visait à rassembler des objets d’études qui impliquaient un « déplacement disciplinaire », et donc une certaine réflexivité. La deuxième saison était centrée sur la notion de « créativité méthodologique » et a privilégié l’invitation de doctorants à la fois suffisamment au fait de leur discipline et capables de s’écarter du « mainstream ».
Par ailleurs, il est possible d’envisager Radio Thésards non seulement comme un projet médiatique, mais aussi comme un projet de recherche au format un peu particulier. Ce séminaire a été l’occasion pour David Christoffel de porter un regard de chercheur sur sa propre pratique journalistique. Mais dans quel champ disciplinaire s’inscrire ? Il faut noter que pour Jean-François Tétu, chercheur en sciences de l’information et de la communication, la radio est un « média délaissé » par les chercheurs, pris entre la 18e section du CNU, « esthétique et arts du spectacle » et la 71e, « sciences de l’information et de la communication » [1].
Le choix des « thésards » à inviter
Les critères de sélection des invités ont pu évoluer au fil des saisons. Il y avait par exemple un critère de « maturité intermédiaire » : David Christoffel pensait au départ que le meilleur moment pour interviewer un doctorant était quelques semaines avant la soutenance, quand celui-ci est à la fois le plus avancé dans sa recherche et le plus fébrile dans son rapport à l’institution et à son positionnement académique. Cependant, il a été amené à transiger, et l’expérience a montré qu’il n’y avait pas de vécu homogène de la thèse en termes de temporalités.
Quid du critère de « radiogénie » ? Qu’est-ce qui rend une thèse intéressante pour les auditeurs ? Quand un doctorant demande avant l’émission pourquoi il a été choisi, David Christoffel, qui se reconnaît dans la démarche d’un intervieweur comme Alain Veinstein [2], essaie de rester évasif, pour ne pas enfermer le thésard dans une pertinence éditoriale préconçue.
Quel est alors ce potentiel de créativité de l’entretien radiophonique – ou médiatique, en général ? Et quelle peut être la spécificité de l’entretien avec un chercheur, en tant que « genre » particulier d’entretien ? Le producteur de Radio Thésards propose comme point de départ pour réfléchir à ces questions l’analyse de ses expériences d’interviews de lecteurs par Pierre Dumayet [3], ainsi que la typologie construite par Walter Benjamin dans Les écrits radiophoniques [4].
Le défi d’une parole scientifique ancrée dans un vécu
David Christoffel essaie de faire de « l’entretien radiophonique de recherche » un espace où peut se dire « l’imbrication entre le vécu de la thèse et la conduite scientifique de son objet », et notamment la violence qui pèse sur l’activité de recherche. Cette violence peut être due à la place du doctorant dans l’institution universitaire et se manifester particulièrement dans la relation à l’encadrant, mais elle se ressent aussi pendant l’entretien radiophonique, dans le trac des invités. Nous avons ainsi pu écouter plusieurs extraits de rushes de l’émission portant sur la relation avec le directeur de thèse. Ces extraits permettaient de poser la question des risques de tension, voire de conflit théorique, lorsque l’encadrant est partie intégrante de la bibliographie du thésard, surtout lorsque le sujet est philosophiquement houleux. Il arrive également que la discussion entre le doctorant et son encadrant puisse se dérouler sur un mode particulièrement non conflictuel, quand le legs méthodologique s’est bien produit et que le débat ne porte que sur les résultats.
Par ailleurs, il est apparu dans les récits des doctorants interviewés que la radicalité de leur démarche scientifique était souvent limitée non pas par leur directeur de thèse, mais plutôt par une forme d’autocensure pragmatique liée à la question des débouchés professionnels – David Christoffel avoue avoir été surpris par l’extrême honnêteté des réponses à ce sujet.
Il a à ce propos évoqué les travaux d’Anne-Outram Mott, qui a analysé l’évolution du type de questions posées à des artistes-écrivains sur une chaîne de radio en les classant en cinq univers référentiels : « l’objet culturel » à l’occasion duquel l’invitation est faite ; « le soi statutaire », c’est-à-dire l’identité sociale de l’invité ; le « soi personnel » ou « intime » ; la tension entre ces deux « soi » ; la société. Entre les années 1960 et 2000, on observe un glissement : « l’objet culturel » et le « soi statutaire » demeurent des univers référentiels privilégiés dans les questions, mais ils ont cédé un peu de terrain à la société et plus encore à l’univers du « soi personnel » de l’invité [5]. On touche là au fantasme d’une parole à la fois personnelle et réflexive, à la fois existentielle et générale… cet « artefact radiophonique » fait partie de ce vers quoi Radio Thésards essaie de tendre.
La digitalisation de la science
L’expérience de Radio Thésards soulève également la question des modalités de diffusion des connaissances scientifiques. En effet, Internet a ceci de particulier qu’il permet à l’invité de collaborer à la diffusion, notamment via les réseaux sociaux. David Christoffel se réfère aux travaux de Manuel Zacklad, qui démontre que la digitalisation n’est pas réductible à l’informatisation, à l’automatisation, et qui parle d’une « crise de la documentalité », d’une « nouvelle manière de faire document » [6]. Notons que les seuls refus d’interviews venaient des sciences « dures », lorsqu’il semblait préjudiciable de diffuser ses résultats via un média de vulgarisation.
Autre enjeu de diffusion, la manière de titrer les entretiens est en train d’évoluer. Jusqu’à présent, des titres comme « L’Ufologie» [7] ou « Le loup » [8] fonctionnaient comme des mots-clés et permettaient de s’inscrire dans une démarche de renouvellement d’entrées encyclopédiques. Il fallait par ailleurs prendre en compte le fait que Radio Thésards ne s’adressait pas qu’à des auditeurs abonnés aux podcasts et donc rééditorialiser en annonçant l’émission sur Twitter, en rajoutant des hashtags sur Soundcloud… Désormais, dans la nouvelle formule, le titre devient une question qui interpelle sur le contenu et sur la spécificité de l’approche du thésard – par exemple : « Que révèlent les sites de rencontres ? » [9].
Les stratégies d’interview
Pour finir, David Christoffel esquisse une auto-analyse de la manière dont il prépare ses entretiens – méthode qui n’a pas été rigoureusement définie a priori. Rétrospectivement, il s’avère qu’il demande souvent au thésard d’expliquer les développements qui l’ont amené à requalifier son objet. L’objectif fondamental est de lui faire raconter sa thèse d’une manière à la fois synthétique et dynamique. Il fait parfois des demandes d’information ciblées, à caractère instructif ou ludique, correspondant à des connaissances à populariser. David Christoffel s’intéresse également aux « interférences » et aux « bizarreries » dans les bibliographies – comme lorsqu’il remarque de nombreuses références sociologiques dans une thèse de géographie.
Le présentateur avoue aussi qu’il s’est « découvert un tic », une stratégie d’interview inconsciente : sa tendance à pointer du doigt « la circularité de la démarche » des thésards, lorsqu’il a l’impression que leur conclusion était en quelque sorte déjà contenue dans leur problématique. Cela a parfois pu créer un malaise, mais a aussi suscité des développements d’intéressants. Il appelle également souvent à la nuance, face à une conclusion jugée trop grossière, trop générale. Une autre question parfois déstabilisante pour les doctorants porte sur l’idée qu’ils se font de l’originalité de leur recherche : selon le producteur de Radio Thésards, on peut se croire très original dans son champ alors qu’on ne l’est pas, et réciproquement, être très original sans le soupçonner.
David Christoffel aimerait à l’avenir davantage générer une parole sur le travail du doctorant qui ne soit plus liée qu’à son objet scientifique, mais aussi, par exemple, à l’évolution de sa motivation. Il pourrait aussi s’agir d’explorer non plus seulement les rapports à l’institution, à l’encadrant, mais aussi les rapports aux autres doctorants. Le projet pourrait enfin s’ouvrir sur une sous-série consacrée aux doctorants « tardifs » – qui peuvent par exemple, au-delà de cinquante ans, se retrouver dans une situation s’apparentant à une reprise d’études, et par là développer un rapport spécifique à la thèse.
Cette séance a donc été l’occasion de découvrir un projet radiophonique exigeant, qui va au-delà de la popularisation scientifique, et qui peut servir de point de départ pour interroger sociologiquement les vécus du doctorat.
[1] Jean-François Tétu, « La radio, un média délaissé », Hermès, n° 38, 2004.
[2] Alain Veinstein, L’Intervieweur, Paris, Calmann-Lévy, 2002.
[3] Pierre Dumayet, Autobiographie d’un lecteur, Paris, Pauvert, 2000.
[4] Walter Benjamin, Écrits radiophoniques, Paris, Allia, 2014.
[5] Anne-Outram Mott, « Existence singulière, mode d’emploi. Quand l’artiste-écrivain est invité à se dire au micro », Recherches en Communication, n°36, 2011.
[6] Zacklad, Manuel, « Genre de dispositifs de médiation numérique et régimes de documentalité », in L. Gagnon-Arguin, S. Mas, D. Maurel (dir.), Les genres de documents dans les organisations, Analyse théorique et pratique, PUQ, Québec, p. 145-183, 2015.
[7] Christoffel David (prod.), « L’Ufologie », in Radio Thésards, France Culture Plus, 12/11/2013. URL : https://plus.franceculture.fr/factory/radio-thesards/l-ufologie .
[8] Christoffel David (prod.), « Le loup », in Radio Thésards, France Culture Plus, 25/03/2013. URL : https://plus.franceculture.fr/factory/radio-thesards/le-loup.
[9] Christoffel David (prod.), « Que révèlent les sites de rencontres ? », in Radio Thésards, France Culture Plus, 22/09/2013. URL : https://plus.franceculture.fr/factory/radio-thesards/que-revelent-les-sites-de-rencontres
]]>
S’il est aujourd’hui possible de faire de l’enquêté un interlocuteur participant directement à la construction du sens de la recherche comme l’illustre notamment le travail de William Foote Whyte avec Street Corner Society, ce choix épistémologique semble également poser un certain nombre de questions pratiques.
En effet, si apprendre à penser avec ses enquêtés peut difficilement s’enseigner, comment le chercheur peut-il faire face à cette expérience ? De même, alors que le chercheur est souvent invité à garder une forme de distance dans sa quête de rigueur scientifique, il peut aussi se retrouver à parler au nom de ses enquêtés, passant de fait d’une posture intellectuelle neutre à celle de l’engagement. Cependant, plus qu’une affaire de morale, le fait de penser avec impliquerait que le chercheur prenne parti pour ses enquêtés c’est-à-dire qu’il les inclue dans son monde et qu’il s’inclue dans le leur pour produire une recherche dans une perspective partagée.
Ainsi, même dans le cas où le chercheur ne partage pas intimement les valeurs de ses enquêtés, il recourt à ce que Jean-Pierre Olivier de Sardan[1] définit comme le principe d’ambiguïté. « En participant aux rituels des autres, le chercheur n’entend pas faire croire [aux enquêtés] plus ou moins cyniquement qu’il partage leurs croyances (stratégie du déguisement), il se fait croire à lui-même qu’il partage « en un certain sens » les croyances des autres (stratégie de l’ambiguïté) » (2000, p.428).
Afin de prolonger cette réflexion, une table-ronde intitulée « Penser avec ses enquêtés » a été organisée dans le cadre du séminaire ACT[2] avec les objectifs suivants :
- Déterminer les questionnements, les possibilités, les difficultés et les risques associés à l’association d’enquêtés dans le processus de réflexion du chercheur ;
- Identifier des pistes de réflexion pour répondre à la fois aux questions de recherche et aux attentes des personnes sur/avec lesquelles on travaille ;
- Offrir une solution au dilemme classique entre engagement et distanciation par la pratique.
Trois chercheurs invités : Annie Thébaud-Mony (sociologue, INSERM), Nicolas Jaoul (anthropologue, CNRS) et Pascal Marichalar (sociologue, CNRS), travaillant en lien étroit avec leurs enquêtés et parfois même « défendant leur cause » dans l’espace public ont fait part de leurs expériences.
Le rapport aux enquêtés comme forme d’engagement
Les travaux d’Annie Thébaud-Mony portent sur les maladies industrielles causées par l’exposition des travailleurs à des substances toxiques ou des rayonnements ionisants. Au début de sa carrière, elle a été conduite à travailler sur la sous-traitance de la maintenance dans l’industrie nucléaire. Un électricien lui avait commandé à l’époque une analyse sur les accidents du travail de ses employés. Afin de saisir la réalité sur laquelle portait son étude, elle demanda à se rendre dans les centres de distribution et de maintenance pour rencontrer les personnes accidentées. Alors que les accidents constatés étaient généralement mineurs parmi les employés de l’entreprise, la discussion avec ces derniers montrait que ces accidents succédaient fréquemment à un accident plus grave s’étant déroulé peu de temps avant sur le même site, mais qui concernait le personnel des entreprises prestataires. L’obtention de l’aval de l’entreprise pour effectuer une recherche sur le travail et la santé des sous-traitants s’est avérée longue, notamment parce qu’il a fallu expliciter le besoin auquel répondait la recherche. La prise en compte des savoirs des travailleurs lui a permis de mettre en évidence les dynamiques de sous-traitance des risques dans l’industrie nucléaire et l’« invisibilisation » des inégalités qu’elles engendrent.
En termes de positionnement scientifique, Annie Thébaud-Mony a été influencée par les luttes des années 1960 et 1970. Elle souhaite contribuer à soutenir des forces de résistances au sein de ses populations d’enquêtés. Ce rapport implique de transformer leurs savoirs pratiques en connaissances permettant de soutenir leurs luttes sans tomber dans le registre du compassionnel affectant parfois les analyses faites sur le sujet. Annie Thébaud-Mony a donc réalisé ses enquêtes avec rigueur du point de vue des canons de la recherche en ancrant sa démarche dans le courant marxiste et en assumant le fait qu’elle se situait dans une perspective bien particulière : celle des employés de la sous-traitance.
Concernant les modalités d’approche d’un terrain souvent difficile d’accès, des intermédiaires tels que des syndicalistes, des avocats, ou des médecins qui se sentaient concernés par l’enjeu de sa recherche ont été une clé d’entrée (centrales nucléaires, usines, procès, etc.). Le soutien de ces intermédiaires a permis d’inscrire ces recherches dans la durée, tout en protégeant au maximum les salariés ayant accepté de participer à l’enquête d’éventuelles conséquences négatives sur leur emploi.
Penser avec ses enquêtés : une nécessaire mise en perspective de la parole de l’autre ?
Depuis vingt, ans, les travaux de Nicolas Jaoul portent sur le mouvement anti-caste issu des populations intouchables. Ses premières réticences à en faire une thèse venaient du fait qu’il ne souhaitait pas devenir le porte-parole d’une cause. Mais ne l’est-il pas devenu de facto en étant l’un des rares indianistes à s’intéresser à la question des intouchables et au point de vue anti-caste ? Aussi, comment parler d’une minorité dite « opprimée » tout en apportant un autre regard que celui des acteurs militants de cette minorité, et que comprendre de l’inscription de cette idéologie dans la société indienne ?
Nicolas Jaoul s’est appuyé sur la praxis marxiste en basant sa recherche sur les écrits, les récits autobiographiques et les tracts pour comprendre ce que signifiait être intouchable, c’est-à-dire « Dalit ». Concernant les aspects de critique sociale, tout comme Annie Thébaud-Mony, il avait à cœur de ne pas s’égarer dans un discours misérabiliste qui aurait ignoré de facto des aspects importants de sa recherche comme l’existence d’acteurs Dalits ayant été formés dans les plus grandes universités américaines. L’inscription de sa thèse dans un champ de recherche scientifique s’est avérée difficile. En effet, le marxisme et la Théorie Critique (Ecole de Francfort) écartaient la caste et ne reconnaissaient pas le vécu des acteurs Dalits. Ce à quoi Ambedkar, lui-même universitaire Dalit, rétorquait dans Annihilation of casts que la caste représentait à la fois une division du travail et des travailleurs par son système d’inégalités graduées. De même, lorsque Nicolas Jaoul a débuté ses recherches dans les années 1980, il a pu constater que les théories anticolonialistes et les subaltern studies n’étaient pas encore en mesure d’inclure les mouvements anti-castes dans leur paradigme ; mais les lignes auraient apparemment bougé depuis.
La réflexion avec les Dalits a pu nourrir ses concepts et le raccrocher à des courants théoriques du fait que les intouchables pensent la société qui les oppriment, du paysan à l’intellectuel. Ils ont donc ce qu’en tant que rédactrice de ce billet je nommerais des « visions du monde »[3] à partir desquelles. Nicolas Jaoul a pu tirer une analyse ethnologique. Méthodologiquement, Nicolas Jaoul a non seulement retranscrit les paroles d’intouchables mais les a également mis en perspective afin de dévoiler les aspects de résistance à l’émancipation portés par certains Dalits eux-mêmes. Exemple : la préservation de la religion chez les femmes.
Être clair avec soi-même pour penser avec ses enquêtés
Les travaux de Pascal Marichalar portent sur la production sociale de responsabilité pénale et civile suite à des accidents du travail et des maladies professionnelles en Italie et en France, et sur les manières dont sont formulés les arbitrages entre les objectifs de production et les objectifs de prévention. Ce type de recherche sensible sur la construction d’équilibres entre conditions de travail – en étroite relation avec la santé des salariés et la responsabilité de l’employeur – peut également conduire à des mécanismes « d’invisibilisation ».
Pascal Marichalar nous présente 3 postures possibles :
- La première (dans laquelle il s’inscrit), consiste à rendre visible le scandale de l’exposition aux dangers avérés par la simple description, en comptant sur l’indignation morale chez le lecteur ;
- Les chercheurs qui s’inscrivent dans la deuxième posture ne cherchent pas à « rendre visible », mais étudient les aspects émergés de la question, comme les règles et les normes, ou le travail autour de la réglementation. Ce positionnement conduit à une recherche moins appliquée, et sans doute plus confortable pour l’enquêteur ;
- La troisième posture qui souhaite adopter un point de vue agnostique sur la vérité en mettant sur un pied d’égalité les arguments de chaque partie. Dans cette approche, il s’agit d’étudier la carrière d’un enjeu dans l’espace public, mais sans trancher sur le fond du problème ou de la controverse en déconstruisant l’objet.
Or, pour Pascal Marichalar, cette dernière posture pose un certain nombre de problèmes pratiques, dont celui du choix des mots. En effet, quand on s’intéresse à des questions hautement conflictuelles, les mots ne sont pas neutres. Ainsi, parler de « produits phytosanitaires » ou de « pesticides », c’est déjà prendre parti. Au fond, cette posture symétrique se fonde sur une double illusion : celle de croire que l’objectivité serait assurée par une stricte égalité entre les arguments avancés par les uns et les autres et celle que le chercheur n’est pas engagé tant qu’il ne prend pas position. D’une manière générale, la question de la « bonne distance » subsiste. Car, s’il reste un espace pour les sciences sociales dans ce contexte, n’est-ce pas aussi parce que les objectifs des différents acteurs ne sont pas parfaitement clairs ?
Si ces objectifs étaient clairement définis et complètement transparents, suggère Pascal Marichalar, la seule chose qui resterait à faire serait de l’ordre du militantisme « pur » – qui a, lui aussi, toute sa justification. Toutefois, la recherche en sciences sociales peut chercher à s’en distinguer par un effort de distanciation avec l’idéologie prévalant sur le sujet traité et par la mise en évidence de relations de pouvoir sous-jacentes c’est-à-dire non dévoilées par cette même idéologie ; dans le but de poser des questions politiques plus générales.
Penser avec ses enquêtés : le point de vue d’une doctorante
Ce séminaire a été fort éclairant sur la manière de gérer ses convictions, particulièrement dans le cadre d’une recherche où les sujets intéressant le chercheur sont plutôt ceux socialement « regardés de haut » mais qui sont finalement moins soumis et plus autonomes que ce que l’on ne le dit (Olivier de Sardan, 2000, p.438). Cette configuration plutôt classique lorsque l’on parle de recherche engagée induisait ici une dimension politique impliquant au moins deux types d’acteurs présentés en opposition. Cependant, les enseignements à tirer en termes de collaboration pour inscrire la recherche dans un courant, de retranscription de réalités bel et bien plurielles chez les enquêtés, de rigueur scientifique pour faire d’un quotidien un vivier de connaissances mobilisables, ou encore de posture ont une portée générale participant à garantir la qualité de la recherche au sens large.
En ce sens, la réflexion pourrait être poursuivie à la lumière d’un article d’Howard S. Becker intitulé Whose Side Are We On ?[4] Annie Thébaud-Mony, Nicolas Jaoul et Pascal Marichalar ont en commun de s’intéresser à ceux en bas de « la hiérarchie de la crédibilité », ceux au sommet étant les officiels responsables de l’activité au sens large (ibid., p.242). De façon générale, nous présumons que l’homme au sommet est celui qui connaît le mieux l’objet que nous souhaitons traiter, ce qui nous fait prendre plus ou moins consciemment un parti. C’est pourquoi, lorsque l’on développe suffisamment d’ « atomes crochus » avec les subordonnés pour voir les choses de leur perspective, nous savons pertinemment que nous sommes à contre-courant de ce qui se dit et se fait (ibid., p.243).
Pour rendre visible ceux dont on parle et qui sont inscrits dans un rapport de force, il est nécessaire de lever le doute sur les biais scientifiques que comporterait notre recherche ; du moins aux yeux de la communauté scientifique au sein de laquelle tout doctorant souhaite s’inscrire. Pour cela, la méthodologie d’enquête est à resserrer sur son objet afin de rendre compte de visions du monde des sujets étudiés, sans prétendre exposer également les arguments de la partie à laquelle ils sont « opposés » pour livrer une analyse objective (ibid., p.247). En effet, poursuivre ce raisonnement impliquerait d’analyser la société entière simultanément ! En outre, comme mesurer les effets de l’empathie sur la qualité de la recherche est utopique (Olivier de Sardan, 2000, p.438) voire contre-créatif puisque c’est aussi dans son expérience que le chercheur puise ses mots pour dépeindre une réalité, le doctorant en quête de rigueur scientifique peut admettre que circonscrire sa recherche à un type d’acteur ayant ses représentations peut s’avérer suffisant pour faire une bonne thèse. Finalement, même dans les cas dits « apolitiques »[5] (Becker, 1967, p.241) il est nécessaire que le chercheur comprenne sa relation aux enquêtés, c’est-à-dire en prenant la mesure de ce que signifie pour lui être de leur côté pour traiter de leur vie avec respect, au-delà de considérations stylistiques (Olivier de Sardan, 2000, p.425).
]]>Les 2èmes lundis du mois de 15h à 17h à l’EHESS, salle M. et D. Lombard, 96 bd Raspail 75006 Paris (sauf changements)
Du 10 novembre 2014 au 8 juin 2015
Pour consulter les programmes des années précédentes, cliquez ICI
Depuis 2008, le projet des Aspects Concrets de la Thèse s’est essentiellement organisé autour des thématiques liées à l’insertion professionnelle après la thèse, afin de permettre aux doctorants de préparer au mieux, et tout au long de leur parcours de thèse, leur future carrière.
Ces thématiques ont concerné l’écriture, la publication, l’obtention de financements, l’enquête de terrain ou l’encadrement.
Afin de prolonger ces questions, le projet se réoriente cette année vers l’étude de la formation des jeunes chercheurs à proprement parler, le mot « professionnalisation » étant entendu comme le processus pendant lequel un doctorant devient un professionnel de la recherche.
En quoi consiste la formation des doctorants en sciences sociales ? Qu’apprend-on pendant la thèse, comprise à la fois comme période de recherche et comme processus d’écriture du manuscrit final ? Comment les principaux intéressés conçoivent-ils leur futur métier, et les moyens d’y accéder ? Dans quel contexte institutionnel, intellectuel et politique les doctorants mènent-ils leur recherche ? Les études de terrain autant que les témoignages font souvent défaut, ce qui étonne d’autant plus que les doctorants semblent très intéressés par ces questions, comme en témoignent les nombreuses journées d’études abordant ce thème.
L’objectif du séminaire cette année est donc d’ouvrir un espace d’analyse et de décryptage à même d’inciter les doctorants à prendre une distance critique sur leur propre parcours, en bénéficiant à la fois du point de vue de leurs aînés, mais aussi de celui de spécialistes du sujet. L’argument principal revient donc à considérer que comprendre les enjeux du parcours de formation doctorale dans lequel on se trouve fait partie intégrante de la formation elle-même.
Lundi 10 novembre 2014 (15h-17h, amphithéâtre de l’EHESS) : “Critical Turning Points in the Young Sociologist’s Career”
Invité : Jack Katz (USA), professeur de sociologie à l’UCLA, invité au CEMS en tant que Fulbright Expert
Lundi 15 décembre 2014 (15h-17h, salle 6) : “La course du saumon. Être post-doctorant aujourd’hui”
Invité : Bernard Fusulier (Belgique), maître de recherches du Fonds National de la Recherche Scientifique et professeur de sociologie à l’Université catholique de Louvain
Mardi 20 janvier 2015 (15h-17h, salle 7) : Séance sur l’autoformation et l’usage des manuels à destination des doctorants
Invité : Michel Kalika (France), professeur à l’Université Paris-Dauphine, auteur avec Pierre Romelaer de Comment réussir sa thèse. La conduite du projet de doctorat (éd. Dunod)
Lundi 09 février 2015 (15h-17h, salle Lombard) : Séance autour de l’ouvrage La position du doctorant. Trajectoires, engagements, réflexivité (éd. des pr. U. de Nancy)
Invité : Laurent Di Filippo (France), doctorant en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine
Lundi 09 mars 2015 (15h-17h, salle Lombard) : “Comment devient-on historien des sciences” (autour d’A. Koyré)
Invitée : Elise Aurières (France), doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Lundi 13 avril 2015 (15h-17h, salle 1) : “Résister aux dérives néolibérales de la recherche”
Invité : Olivier Gosselain (Belgique), professeur à l’Université libre de Bruxelles
Mardi 19 mai 2015 (15h-17h, salle 7) : “Qu’est-ce qu’une thèse ? Quelques pistes de réflexion sur cet objet mal connu”
Invité : Jean Boutier (France), directeur d’études à l’EHESS
__________________________
Equipe organisatrice du séminaire : Sébastien Kapp, chercheur associé à l’EHESS et collaborateur scientifique à l’Université libre de Bruxelles; Jean-Louis Fabiani, directeur d’études à l’EHESS; Martyne Perrot, chargée de recherche CNRS, IIAC; Martin de la Soudière, chargé de recherche CNRS, IIAC; Delphine Lance, doctorante au LAIOS; Kristell Blache-Comte, doctorante au LAHIC
Contact : acthese[at]gmail.com
]]>
La question du « mal-être » et des risques psychosociaux dans le milieu universitaire a longtemps été passée sous silence. Peut-être les chercheurs se considéraient-ils comme trop privilégiés pour oser se plaindre ? Pourtant, dans un univers en pleine mutation, certaines voix commencent à se faire entendre, pour évoquer l’épuisement professionnel (article publié dans Le Monde, 17 février 2014), la satisfaction de vie et la santé mentale des universitaires (Mark & Smith), ou encore l’expérience des chargé(e)s de recherche recrutés en Belgique sur des postes à durée déterminée par le Fonds national de la recherche scientifique (Fusulier et del Rio Carral)[1].
Les doctorants, qui constituent une population particulièrement vulnérable du fait de l’extrême précarité souvent liée à leur statut, ne sont pas oubliés : une enquête est actuellement en cours auprès des doctorant(e)s de l’université catholique de Louvain et de l’université libre de Bruxelles et certains des lecteurs de ce carnets de recherche avaient répondu au début de l’été 2012 à une enquête sur les chercheurs en début de carrière, qui s’intéressait notamment aux déterminants de leur santé physique et mentale, dont les premiers résultats avaient été présentés ici[2]. Il était montré notamment que le niveau de stress des doctorants était particulièrement élevé, mais que ceux dont la qualité du sommeil était satisfaisante et qui avaient une activité physique régulière étaient sensiblement moins stressés que les autres. Je souhaiterais partager dans ce billet ce que l’analyse des stratégies de coping (également nommées stratégies d’ajustement) a pu apporter et évoquer les prolongements de cette enquête.
Cadre théorique et méthode d’enquête
Ce travail conserve une inscription théorique dans le cadre de la psychologie de la santé, qui cherche à prendre en compte dans la mesure du possible l’ensemble des facteurs individuels, sociaux, et environnementaux pouvant jouer un rôle dans l’apparition de maladie ou susceptibles d’intervenir dans la prévention des risques. Il s’appuie en particulier sur le modèle transactionnel stress-coping développé par Lazarus et Folkman (1984)[3]. Dans ce modèle, le stress est considéré comme une « transaction particulière entre la personne et l’environnement dans laquelle la situation est évaluée par l’individu comme dépassant ou excédant ses ressources et mettant en danger son bien-être » (p. 19). À la différence d’autres théories comme, par exemple, celle du père du concept de stress Hans Selye, il n’est pas conçu simplement comme « la réponse non spécifique[4] de l’organisme à toute demande qui lui est faite » (1936), ni comme un élément du contexte, mais comme un processus dynamique d’interaction entre l’individu et son environnement. Deux personnes peuvent réagir très différemment à un même événement et il convient donc d’insister sur la dimension subjective de ce processus, en distinguant les stresseurs environnementaux objectifs de l’impact subjectif d’une situation (Bruchon-Schweitzer, 2002). 
Quant aux stratégies de coping (terme dérivé de l’anglais « to cope (with) », « faire face, s’adapter (à) »), elles renvoient aux moyens que déploie un individu pour s’adapter à un événement stressant et sont définies comme « l’ensemble des efforts cognitifs, constamment changeants, déployés par l’individu pour gérer des exigences spécifiques, internes et/ou externes, évaluées comme consommant ou excédant ses ressources » (Lazarus et Folkman, 1984, p. 141).
Les réponses à un événement stressant ne sont pas exclusivement cognitives et comportementales, elles engagent également des processus émotionnels. Elles ont deux fonctions : contribuer à modifier une situation perçue comme stressante d’une part, favoriser la régulation des émotions négatives associées à la situation d’autre part. Lazarus et Folkman distinguent initialement deux catégories principales de stratégies d’ajustement : le coping centré sur le problème et le coping émotionnel. Le premier est utilisé lorsque l’individu perçoit qu’il peut contrôler, dans une certaine mesure, la situation stressante et agir pour améliorer les choses, le second lorsqu’il se sent impuissant. Une troisième stratégie a été mise à jour à partir de leurs travaux, la recherche de soutien social, qui participe des deux autres : elle est centrée sur le problème lorsqu’il s’agit, par exemple, de demander conseil à une personne compétente pour résoudre la difficulté ; elle est émotionnelle lorsqu’elle consiste simplement à partager la réaction suscitée par un événement stressant avec une personne potentiellement compréhensive (parent ou ami) qui n’a pas de compétence particulière pour solutionner le problème.
Recourir successivement ou simultanément à différentes stratégies est fréquent : imaginez-vous qu’à mi-parcours de votre recherche doctorale, vous découvriez subitement qu’un autre doctorat vient d’être soutenu exactement sur le même sujet (exemple inspiré d’un cas réel…). Il est vraisemblable que, si vous avez l’impression que vos efforts des deux dernières années sont, de ce fait, réduits à néant, votre première réaction sera d’ordre émotionnel – découragement, dépit, colère, etc. Dans un second temps, plusieurs stratégies d’ajustement s’offrent à vous : vous laisser submerger par le dépit et abandonner votre thèse (maintien du coping émotionnel), appeler un(e) ami(e) pour lui faire part de votre désarroi (coping émotionnel avec recherche de soutien social), contacter votre directeur de recherche pour lui demander ce qu’il vous reste à faire (coping centré sur le problème avec recherche de soutien social), vous procurer la thèse en question, la lire attentivement, et réfléchir à la meilleure façon de prendre appui sur cette recherche récente pour la compléter, la prolonger ou…en faire la critique (coping centré sur le problème). Selon le contexte, ces stratégies peuvent être adéquates ou inadéquates par rapport à la recherche de solution. De nombreuses études démontrent que le coping centré sur le problème ou la recherche de soutien social consistant à demander conseil sont les plus adaptées, et que la santé physique et psychologique des personnes qui les adoptent est généralement meilleure que celle des individus qui ont tendance à recourir fréquemment au coping émotionnel.
Afin de compléter la première partie de l’étude, je me suis intéressée tout particulièrement au rôle des stratégies de coping des doctorants, en cherchant à prendre en compte l’effet de variables indépendantes telles que le sexe, l’âge, le milieu d’origine, l’activité physique ou la qualité du sommeil sur le stress et sur ces stratégies d’ajustement. Le modèle suivant, inspiré du celui de Lazarus et Folkman, repris par Bruchon-Schweitzer, a été mis à l’épreuve :

Plusieurs hypothèses fondées sur les recherches les plus récentes en psychologie de la santé ont été formulées. Je m’attendais notamment à observer une relation positive entre des niveaux élevés d’anxiété-trait[6], de stress perçu, et une forte tendance au coping émotionnel. À l’inverse, des niveaux d’anxiété-trait et de stress perçu peu élevés seraient associés à une meilleure tendance au coping centré sur le problème. Le stress perçu et les stratégies d’ajustement jouent, dans ce modèle, un rôle sur la santé physique : plus le stress est important et plus le coping est d’ordre émotionnel, plus les plaintes somatiques seraient nombreuses. Je présumais également que les personnes pratiquant une activité physique régulière seraient moins stressées et en meilleure santé que celles qui ne font pas de sport. Ainsi que nous le verrons, toutes les hypothèses ne sont pas vérifiées !
Pour évaluer ces différentes dimensions, des questionnaires et des échelles validées en psychologie ont été utilisés : l’anxiété-trait a été mesurée à l’aide de la State-Trait Anxiety Inventory, trait form (STAI-Y, Spielberger, 1969), le stress perçu, au moyen de la Perceived Stress Scale (PSS-14,Cohen, Kamarck, & Mermelstein, 1983), les stratégies de coping par la Way of Coping Checklist – Revised(WCC-R, Vitaliano et al., 1985) et la santé physique grâce à l’échelle des symptômes somatiques de la Symptom Checklist 90 (SCL-90, Derogatis, 1994)[7].
Les participants étaient un peu moins nombreux que dans la première partie de l’enquête, car le questionnaire sur les stratégies de coping était facultatif et tous ne l’avaient pas rempli. Le nombre de participant s’élevait à 1 549 (dont 66,7 % de doctorantes), âgés en moyenne de 28 ans (alors que, pour mémoire, le nombre total de participants au départ était 2285). Les doctorants inscrits en lettres et en sciences humaines étaient les plus représentés (49,6 %), suivis par les sciences et technologies (39,4 %), puis par l’ensemble droit, sciences politiques, économie, gestion et administration (6,1 %) et la santé (médecine ou pharmacie, 4,9 %).
Des résultats en partie inattendus et contrastés
Dans l’ensemble, les hypothèses de départ ont été confirmées. Ainsi que le montre le tableau ci-dessous, il existe bien une relation positive entre des niveaux élevés d’anxiété-trait, de stress perçu et une tendance au coping émotionnel, ainsi qu’une relation entre des niveaux peu élevés d’anxiété-trait et de stress perçu et une tendance au coping centré sur le problème. Mais l’effet des stratégies de coping sur la santé physique n’a pas été vérifié, et celui de la pratique sportive sur le stress aussi bien que sur la santé s’est révélé nettement plus faible que prévu. En outre, contrairement à mes attentes (fondées sur un examen de la littérature afférente à la question), certaines variables socio-démographiques contrôlées dans l’enquête – comme le fait de bénéficier d’un financement institutionnel pour la thèse, d’être ou non en couple, l’orientation disciplinaire, la nationalité ou le fait d’avoir pour langue maternelle une langue autre que le français – n’exerçaient d’effet réellement significatif ni sur le stress perçu, ni sur la santé physique. À titre indicatif, le détail des corrélations entre les variables apparaît dans le tableau ci-dessous[8] .
|
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
|
| 1. Anxiété-trait |
|
|
|
|
|
|
| 2. Stress perçu |
81** |
|
|
|
|
|
| 3. Coping centré sur le problème |
-.47** |
-.44** |
|
|
|
|
| 4. Coping émotionnel |
.69** |
.63** |
-.37** |
|
|
|
| 5. Recherche de soutien social |
-.09** |
-.07** |
.36** |
.01 |
|
|
| 6. Symptômes somatiques |
.5** |
.46** |
-.13** |
.36** |
.02 |
|
| 7. Activité physique |
-14** |
-.14** |
.11** |
-.1** |
.02 |
-,13** |
** p < .01
En pratique, ce que nous enseignent ces résultats, c’est d’abord qu’un(e) doctorant(e) anxieux(se) et/ou stressé(e) présente davantage de risques d’adopter une stratégie d’ajustement inadéquate. Face aux inévitables difficultés du parcours, il/elle aura peut-être tendance à adopter une conduite d’évitement – se distraire de façon excessive, boire de l’alcool –, ou encore à se laisser envahir par la tristesse, ruminer des pensées négatives, s’auto-dévaloriser, etc. Ces réactions sont normales et parfois utiles comme « soupapes de sécurité », à conditions qu’elles ne se prolongent pas. Elles sont cependant plus ou moins automatiques et gagneraient souvent à être examinées en prenant un peu de recul.
S’il peut en effet arriver à tout un chacun, à un moment ou à un autre, d’être submergé par des pensées du type « Je n’y arriverai jamais, je suis nul(le) de toutes façons, et je ferais mieux de tout laisser tomber ! », dans le cas de l’ajustement émotionnel, cette cognition est entretenue involontairement, et l’émotion négative qu’elle suscite (tristesse, honte, colère, etc.) a tout le loisir de s’amplifier, donnant potentiellement naissance à une spirale d’échec. L’attitude centrée sur le problème consiste notamment à accepter la ou les pensées qui surviennent, aussi désagréables soient-elles, tout en se demandant quelles sont les ressources à disposition, qui permettraient de reprendre, ne serait-ce qu’un peu, le contrôle sur la situation. Diverses stratégies peuvent être adoptées : se focaliser sur une tâche limitée (lecture d’un article ou d’un chapitre de livre pertinent pour la thèse, rédaction d’un paragraphe, recherches bibliographiques), tenir un « journal de bord » en notant les étapes déjà réalisées et en planifiant la suite du travail, s’accorder une pause bénéfique, appeler ou voir un(e) ami(e), etc. L’humour peut également vous être d’un grand secours, ainsi qu’en témoignent les divers blogs de doctorants qui florissent sur Internet, et vous pouvez toujours vous dire : « Je ne suis peut-être pas une lumière, mais est-ce bien nécessaire pour obtenir un doctorat ? ». Une personne peu anxieuse aura tendance à adopter spontanément de tels comportements, tandis qu’une autre, qui l’est davantage, aura besoin de faire un effort supplémentaire pour découvrir les ressources susceptibles de faire évoluer la situation. Le doctorat peut ainsi constituer, en plus du reste, un moyen de mieux se connaître soi-même !
L’effet relativement limité de l’activité physique sur le stress et sur les symptômes somatiques, qui est observé dès lors qu’on prend en compte les stratégies d’ajustement dans les calculs statistiques, ne signifie pas qu’il faut renoncer à son jogging ou à sa séance de piscine ! D’innombrables études ont déjà démontré l’influence positive de la pratique sportive sur la santé physique et mentale à court, moyen et long terme[9]. Toutefois, les bénéfices s’accroissent avec le temps et c’est surtout au-delà de 40, voire de 50 ans, qu’ils se manifestent le plus clairement. Il n’est guère surprenant que des doctorants, souvent âgés de moins de trente ans, soient encore en bonne santé physique, même s’ils ne pratiquent pas (ou peu) de sport. Prendre soin de sa santé n’en demeure pas moins fondamental[10].
Les résultats de l’enquête ont laissé entrevoir d’importantes variations interindividuelles. Alors que près d’un tiers des participants a obtenu un score élevé à l’échelle d’anxiété-trait, il est notable que 40 % des participants ont obtenu un score peu élevé – tous ne vont donc pas si mal que cela ! – et que 30 % se situent dans la moyenne. De même, l’évaluation du stress perçu a montré que près d’un cinquième des doctorants présentaient des niveaux anormalement élevés et que seuls 3 % des doctorants obtenaient un score considéré comme faible, mais une grande majorité (78 %) se situait dans la catégorie médiane (stress perçu modéré).
Et maintenant ?
L’intérêt suscité par le premier volet de l’enquête m’encourage à poursuivre cette recherche, en explorant d’autres dimensions. Je compte en particulier m’intéresser aux facteurs qui distinguent les individus les plus aptes à faire face au stress universitaire (de plus en plus souvent désigné par l’expression « stress académique ») de ceux qui rencontrent davantage de difficultés, ainsi qu’aux stratégies que mettent en place les chercheurs en début de carrière pour traverser le plus sereinement possible cette période de transition, qui se présente simultanément comme le dernier maillon du cursus universitaire et le premier de leur entrée dans le monde du travail. Une enquête sur ce thème, qui fera appel cette fois à une méthode mixte associant recherche qualitative et quantitative commencera d’ici quelques mois. De nouveaux questionnaires seront mis en ligne d’ici la fin de l’année 2014 et, comme en 2012, votre participation est fondamentale pour permettre de disposer de données représentatives. L’analyse des questionnaires sera complétée par des entretiens et j’invite d’ores et déjà les doctorants qui seraient intéressés d’y participer à me contacter (ph[at]ehess.fr).
Disposer de telles informations ne constitue pas une fin en soi et il ne saurait être question de se contenter d’évaluer les déterminants du mal-être ou du bien-être sans chercher à mettre en place, à plus long terme, des dispositifs d’aides efficaces qui répondent véritablement aux attentes des intéressés de façon à « (ré)enchanter la thèse »[11]. En l’absence de réponses institutionnelles satisfaisantes à ce jour, c’est à tous ceux qui se sentent concernés par cette question qu’il appartient d’agir. À titre d’exemple, un groupe de travail composé de doctorants et de chercheurs titulaires a été mis en place tout récemment à l’IRIS (Institut de recherches interdisciplinaires sur les enjeux sociaux, EHESS), qui se fixe pour objectif d’apporter, dans la mesure du possible, des améliorations aux conditions de travail des doctorants en réponse à leurs demandes. Dans ce cadre, une recherche interventionnelle visant à favoriser l’accompagnement psychologique de ceux qui en éprouvent le besoin est envisagée. Dans un contexte où l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche suscitent bien des inquiétudes, une telle démarche peut sembler une goutte d’eau dans l’océan, mais, comme le colibri de la légende, je fais de mon mieux pour « faire ma part »[12].
[1]Mark, G., & Smith, A. P. (2012). Effects of occupational stress, job characteristics, coping, and attributional style on the mental health and job satisfaction of university employees. Anxiety, Stress & Coping, 25(1), 63‑78 ; Fusulier B., del Rio Carral M, 2012, Chercheur-e-s sous haute tension. Vitalité, compétivité, précarité et (in)compatibilité travail/famille, Louvain-la-Neuve, Presses Universitaires de Louvain.
[2] Maître de conférences à l’EHESS ayant repris un cursus d’études en psychologie, j’avais effectué ce travail dans le cadre d’un Master de psychologie à l’université de Nanterre sous la direction du professeur Marie-Claire Gay (https://www.researchgate.net/profile/Marie-Claire_Gay ). Il a notamment été question de cette enquête dans le cadre du séminaire ACT en novembre 2012, dont Laurence Bianchini a rédigé un compte rendu [https://www.mysciencework.com/news/9357/qualite-de-vie-et-doctorat-vous-avez-dit-quoi], et lors d’une présentation à la 27e Conférence de la European Health Psychology Society à Bordeaux en juillet 2013.
[3] Lazarus, R.S., Folkman, S., 1984. Stress, appraisal and coping. NewYork : Springer.
[4] C’est-à-dire la réponse immédiate, quelle que soit la situation. Cet usage pourrait être inspiré de la biologie, qui distingue deux types de réponses du système immunitaire : une réponse « non spécifique », innée, dont l’action ne dépend pas du micro-organisme combattu et une réponse spécifique ou « immunité acquise » qui passe par la reconnaissance de l’agent agresseur.
[5] Pour une présentation synthétique de ce modèle, voir notamment Untas, A., Koleck, M., Rascle, N., & Bruchon-Schweitzer, M. (2012). Du modèle transactionnel à une approche dyadique en psychologie de la santé. Psychologie Française, 57(2), 97‑110.
[6] Il est d’usage, en psychologie, de distinguer l’anxiété-trait, caractérisée comme « une tendance stable et généralisée à percevoir les situations aversives comme dangereuses », de l’anxiété-état, « sentiment d’appréhension, tension et activation autonome momentanées, liées à un événement spécifique » ; voir Bruchon-Schweitzer, M. (2002). Psychologie de la santé. Modèles, concepts et méthodes. Paris : Dunod, p. 187.
[7] Pour en savoir plus sur ces outils, voir Bruchon-Schweitzer, Ibid.
[8] La liaison entre deux variables est notée par un chiffre entre 1 et -1. Si le résultat est proche de 0, cela indique qu’il n’y a pas de lien entre les deux (c’est par exemple le cas, dans le tableau, entre la recherche de soutien social et les symptômes somatiques ou l’activité physique, puisque le résultat est .02 dans les deux cas et, en effet, on peut tomber malade, que l’on ait ou non tendance à rechercher de l’aide auprès d’autrui). Si deux variables vont dans le même sens, le résultat se situe entre 0 et 1 ; plus la relation entre deux éléments est forte, plus le résultat se rapproche de 1, comme l’indique par exemple le résultat de la relation entre anxiété-trait et stress perçu (.81), qui signifie que les personnes de nature anxieuses sont aussi – en moyenne – les plus stressées. Un résultat entre -1 et 0 se présente lorsque deux variables sont inversement liées (comme l’activité physique avec l’anxiété, le stress ou les symptômes somatiques) : les personnes qui ont une activité physique régulière sont moins anxieuses, moins stressées et en meilleure santé physique que celles qui ne font pas ou peu de sport. Il est à noter cependant qu’un coefficient de corrélation élevé ne suffit pas à prouver qu’il existe une relation de causalité entre les phénomènes.
[9] Pour une présentation précise et détaillée des différents effets de l’activité physique sur l’organisme, voir l’ouvrage de Bouchard, C., Blair, S. N. et Haskell, W. L. (2012). Physical Activity and Health. Champaign, IL : Human Kinetics, ainsi que Biddle, S. J. H, Fox, K. R. et Boutcher, S. H. (2000).Physical Activity and Psychological Well-Being, London and New York : Routledge.
[10] Vous trouverez des réflexions intéressantes et de nombreuses astuces sur des sites tels que https://blogs.mcgill.ca/wellbeing ou https://iamfutureproof.com.
[11] On notera que cette difficulté ne concerne pas uniquement les doctorants : il semble malheureusement que l’ensemble du système scolaire français soit concerné, ainsi qu’en témoigne l’ouvrage On achève bien les écoliers de Peter Gumbel (2010).
[12] Cette légende amérindienne est à l’origine du nom du mouvement Les Colibris (https://www.colibris-lemouvement.org), créé en 2007 sous l’impulsion de Pierre Rabhi. Voici comment il la raconte : « Un jour il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! » Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. » (et selon certaines versions, il ajoute même : « Et si tous les animaux de la forêt faisaient comme moi, nous éteindrions l’incendie ! »).
Le 3 mars 2014, les Aspects concrets de la thèse recevaient Philippe Artières, chercheur en histoire, directeur de recherche au CNRS au sein de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (EHESS), qui fut également, en tant qu’écrivain, pensionnaire de la Villa Médicis (2011-2012). Spécialiste de l’histoire des écritures ordinaires et des discours sur l’écriture aux XIXe et XXe siècles, il est venu partager ses expériences de coécriture et proposer une réflexion sur les manières de produire des écrits historiques dans un dialogue scientifique n’hésitant pas à bousculer la forme textuelle.
Recherche et dialogues

Pier-Francesco Sacchi (XVIe s.)
La question de la coécriture est pour Philippe Artières indissociable de celle de la co-construction des savoirs et sous-tend celle des modalités de production d’un texte scientifique. Les problématiques soulevées par la coécriture sont donc centrales dans les sciences humaines et sociales. Si la pratique n’est pas nouvelle, elle est aujourd’hui souvent remise en question par les logiques d’individualisation des trajectoires et de mise en concurrence des individus. Or, la coécriture constitue une modalité d’écriture en soi, qu’il s’agisse d’articles, de livres ou d’enquêtes, qui va de pair avec la dimension collective de la recherche, que Philippe Artières conçoit comme une activité et un métier faits d’essais, d’égarements, d’avancées (« parfois »), mais surtout de dialogues.
Ces dialogues se nouent d’abord entre les chercheurs, jeunes et moins jeunes, au sein des colloques, des séminaires, des équipes de recherche ; et entre les doctorants, post-doctorants ou jeunes chercheurs qui, se constituant en collectifs et s’émancipant de l’égide d’un « patron » (le directeur de thèse), instaurent un dialogue générationnel dont Philippe Artières souligne la force. Ces dialogues peuvent se nouer aussi entre les différentes sciences sociales par un décloisonnement des disciplines, par la mise en œuvre d’une pluridisciplinarité qui reconfigure et enrichit les regards et les objets étudiés.
Enfin, ces dialogues sont ceux qui existent, pendant et après l’écriture, entre auteur(s) et éditeur(s). Si l’écriture peut être parfois solitaire, elle ne le reste jamais longtemps : la relecture éditoriale et les échanges qui en naissent sont partie intégrante du processus de production d’un texte scientifique [1]. Cet aspect fait par ailleurs écho à celui de la cooptation par les pairs, problématique au centre du séminaire des Aspects concrets de la thèse : ce n’est pas pour soi que l’on écrit, mais pour et avec les autres, dans un constant dialogue avec la communauté de chercheurs à laquelle on entend appartenir et dans laquelle on inscrit sa recherche.
Philippe Artières illustre ces différents dialogues et les problèmes qu’ils soulèvent (éthiquement, méthodologiquement, etc.) au travers de quatre expériences, toutes différentes mais qui ont ceci de commun que la question de l’écriture y est devenue un projet scientifique et éditorial à part entière.
Coécriture autour d’un objet, dialogue autour de sources différentes
La première situation évoquée par Philippe Artières est celle de la rencontre et de la collaboration de deux jeunes chercheurs (lui-même et Dominique Kalifa) de la même génération et de la même discipline autour d’une figure commune à leurs travaux de thèse respectifs – Henri Vidal, « le tueur de femmes » [2]. Si leurs matériaux de travail sont au départ différents (textes cliniques et autobiographiques pour l’un, articles de presse pour l’autre), ils portent sur eux le même questionnement, celui de la construction de la figure du criminel par les discours, et le projet qu’ils élaborent collectivement se situe dans la continuité de leur travaux respectifs. Le premier temps de recherche, celui de l’enquête, est alors consacré à la collecte d’un corpus visant à enrichir leur double documentation initiale, collecte contrainte par l’éparpillement géographique des archives, qui les poussera à se répartir les tâches tout en restant étroitement en contact.Vient ensuite le temps de la restitution de l’enquête. De la problématisation des matériaux récoltés naît une réflexion commune sur le genre et la forme de l’ouvrage final. Les deux chercheurs se réapproprient le récit biographique en composant un texte plurivoque à partir d’extraits des discours collectés. L’« écriture à deux voix » prend donc ici des formes inattendues, puisque les voix se démultiplient et que celle des chercheurs est finalement la moins présente. Ceux-ci n’ont en effet posé les ciseaux pour prendre la plume que le temps d’une introduction – et d’une histoire des textes – qui, après discussion, aura fait une dizaine d’allers-retours de l’un à l’autre avant d’être soumise à l’éditeur. Enfin, le dialogue se poursuit après la publication, lorsqu’il s’agit de présenter l’ouvrage, toujours à deux, que ce soit de vive voix ou au travers d’articles.
Coécriture et pluridisciplinarité, rencontre autour d’un terrain

Dans le second cas de figure présenté par Artières, les deux chercheurs sont de génération et de discipline différentes, mais partagent cependant (parfois littéralement) une même pratique : chiner des écrits ordinaires aux puces ou chez les bouquinistes. La correspondance autour de laquelle se construit ce second projet [3], celle d’une mère et de son fils incarcéré après-guerre à la Santé, est dénichée par Philippe Artières. Il en fera alors une première lecture, puis une seconde lorsqu’il aura partagé le document avec Jean-François Laé, sociologue.
C’est avec l’enquête que commence le travail à deux – et que les méthodes propres à chacun et à chaque discipline se confrontent pour la première fois. Alors que le premier planche habituellement sur ses archives et s’immerge dans les textes, le second l’entraîne « sur le terrain », passage obligé pour le sociologue mais dont l’historien reconnaît qu’il s’en serait volontiers passé. La collaboration manque de prendre fin lorsque Laé se met en quête des auteurs des courriers et organise une rencontre avec la dernière épouse du fils, une fois la trace de celle-ci retrouvée. Pour l’historien, le problème est double : d’une part, l’incursion dans l’histoire familiale que constitue l’entretien et le prétexte invoqué auprès de l’enquêtée pour justifier de leur intérêt lui posent un problème éthique ; d’autre part, le projet envisagé par les deux chercheurs porte sur l’écriture de la séparation et de l’absence, matérialisée dans cette correspondance, et non pas sur la relation particulière de cette mère et de son fils. Pour résoudre la tension entre « l’archive et le témoignage », la décision est prise d’inscrire la correspondance dans une série de documents (petites annonces, autobiographie d’un prisonnier, etc.), permettant ainsi de dépasser les divergences et de faire aboutir le projet.
Cette fois-ci encore, l’écriture à deux continue après la première publication. À partir de leurs écrits respectifs et de leurs échanges, ils ont reconstitué et publié un journal de leur enquête – et de leur différend [4] – qui n’avait pas trouvé sa place dans le livre. Une publication de l’EHESS sur la correspondance amoureuse leur a ensuite donné l’occasion de retravailler leur premier matériau. Enfin, un feuilleton radiophonique [5] a été tiré des lettres, où les chapôs d’introduction lus par Artières étaient le fruit d’une nouvelle coécriture.
Écriture(s) collective(s), rencontre intergénérationnelle
L’écriture d’un livre collectif et la codirection d’un ouvrage sont encore d’autres formes d’écriture à plusieurs voix, que Philippe Artières distingue cependant des précédentes, où les auteurs tiennent finalement la même plume pour ne produire qu’un seul texte. Si l’échange est toujours partie intégrante du processus (notamment pendant l’enquête), il se traduit différemment dans un ouvrage collectif, où chaque auteur reste maître de son propos tout en se faisant premier lecteur de l’autre ; mais ce sont finalement les écrits respectifs de chaque auteur qui dialoguent au sein de l’ouvrage plutôt que les auteurs eux-mêmes au sein d’un texte.
Cet aspect se retrouve dans le troisième cas de figure développé par Philippe Artières, celui de la codirection d’un livre [6] qui rend compte d’une historiographie des « années 68 » (1962-1981), qu’il élabore avec Michelle Zancarini-Fournel, historienne du monde social, et en discussion avec les éditeurs Hugues Jalon et François Gèze. Il s’agit là aussi d’un projet collectif, qui mobilisera cette fois une soixantaine de contributeurs de disciplines différentes et des formes d’écriture très diverses – récits, articles, points-de-vue… Les rôles se distribuent très vite : le chercheur produit l’arborescence de l’ouvrage et les portraits de figures anonymes, tandis que la chercheuse prend en charge le récit factuel qui assurera la cohérence de l’ensemble – chacun apportant de surcroît, ici ou là, sa pierre à l’édifice.
La diversité des formes d’écriture à l’œuvre dans le livre, qui va de pair avec la multiplicité des disciplines convoquées, des objets étudiés et des sources mobilisées, relève d’un choix mûrement réfléchi. Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel n’appartiennent pas à la même école historiographique et ne sont pas de la même génération – il naît en 1968, alors qu’elle est déjà étudiante en histoire et actrice des événements. Vécus, expériences, souvenirs et approches sont donc nécessairement différents et « c’est de ce décalage qu’est né le plan du livre », qui prend le parti d’une déconstruction collective de la « séquence 68 » par un travail « sur ce qui diffère plus que sur ce qui est commun » [7] aux deux historiens.
« Devenir écrivain », rencontre avec un artiste

fonds de la Fondation Bon Sauveur
La dernière collaboration racontée par Philippe Artières, autour de L’Asile des photographies [8], est encore autre, puisqu’il est seul à prendre en charge une écriture par ailleurs très différente de celle(s) communément pratiquée(s) en sciences sociales. Le projet, réalisé avec Mathieu Pernot (photographe), qui prendra la forme d’une exposition et d’un livre, constitue pour lui à plusieurs égards une « mise en danger ». D’abord parce qu’il est commandé par un centre d’art, où le chercheur doit donc trouver sa place, et qu’il s’étale sur quatre années, durant lesquelles le chercheur et l’artiste doivent composer avec les codes et les temporalités de travail de l’autre. Ensuite, parce que l’essentiel des archives écrites du lieu (un hôpital psychiatrique de la Manche) a disparu dans les bombardements et qu’ils ne disposent que d’un corpus iconographique, dont le chercheur n’est alors pas familier.
Enfin et surtout, ce projet est pour Philippe Artières celui où la question du « devenir écrivain » se pose avec le plus d’insistance. Comme il le rappelle, se référant à Alban Bensa [9], les sciences sociales se sont constituées autour de la figure d’un écrivain, Claude Lévi-Strauss ; et ses Tristes Tropiques (1955), l’Histoire de la folie de Michel Foucault (1972) ou encore La Misère du monde de Pierre Bourdieu (1993) sont avant tout de « grands romans ». Depuis toujours, l’écriture des sciences sociales est traversée par la question du style, et elle rattrape ici le chercheur.
Dans le livre L’Asile des photographies, l’écriture mime le geste photographique : Philippe Artières écrit in situ, (s’)installant (avec) son ordinateur sur un lieu comme le photographe (avec) son appareil. Les textes sont ensuite fragmentés et remontés avec des extraits d’archives et se lisent en miroir des photos originales et de celles de Mathieu Pernot, conçues comme une archive supplémentaire. In fine, l’ouvrage retrace ainsi plus une histoire (ou des histoires) de la photographie à travers ce lieu qu’une histoire du lieu par les photographies, bien qu’il en restitue la mémoire. Et si le livre n’a pas été à proprement parler « co-écrit », il s’agit bien d’une création à quatre mains – et même davantage, car la collaboration avec les éditeurs et l’artiste graphiste Susanna Shannon en a également marqué la conception et la réalisation.
L’écriture collective : contraintes et libertés, confiance et abandon
Le parcours de Philippe Artières témoigne que c’est souvent hors des murs de l’université (dans le monde associatif, culturel, militant, etc.) que se font les rencontres, que naissent les dialogues, que se forment des réseaux de travail et que s’élaborent et se réalisent de tels projets. Question de rencontres et d’intérêts partagés, certes, mais aussi question de temporalité : les délais imposés aux projets financés par les institutions (généralement un ou deux ans) ne permettent pas toujours les trois temps de l’élaboration, de la maturation et de la revisite. Or, chercher et écrire à deux prend du temps. Le processus demande de se donner les moyens de se rencontrer régulièrement, de se déplacer ensemble (notamment dans les disciplines de terrain), tout en respectant les contraintes de la vie professionnelle et privée de chacun – tout un équilibre à trouver.
Aux contraintes temporelles, matérielles et financières s’ajoutent aussi des contraintes intellectuelles. Penser puis écrire à deux, c’est assumer ses manières de faire, mettre noir sur blanc ses options et ses partis-pris. C’est se donner des règles, adapter ses méthodes et s’adapter à celles de l’autre ; faire des concessions et mettre parfois son ego de côté. C’est renoncer aussi à la posture d’auteur et signer à deux, ce qui n’est pas toujours évident dans un contexte de mise en concurrence des chercheurs – qui rend l’exercice presque subversif.
Mais écrire à deux est aussi et surtout un exercice enrichissant, « salutaire », où l’on apprend beaucoup, y compris sur soi. C’est apprendre très vite ce qu’on n’aime pas faire, et à le faire quand même. C’est identifier ses propres limites, reconnaître ce que l’autre fait mieux et déléguer. C’est découvrir et s’approprier de nouvelles méthodes, de nouveaux auteurs, de nouveaux sujets. C’est enfin une excitation et un plaisir partagés.
Travailler à deux, c’est donc toujours se mettre à nu – en ouvrant ses placards, en donnant à voir son bricolage, son reprisage –, se mettre en danger et partager. C’est une démarche très personnelle, qui réclame à fois confiance et abandon. Pour Philippe Artières, chaque projet est ainsi la poursuite et la concrétisation d’un dialogue préexistant où, comme il l’aura souligné à plusieurs reprises, s’entremêlent étroitement liens intellectuels et liens affectifs.
[1] Cf. notamment Publier dans une revue à comité de lecture : stratégies éditoriales dans un monde concurrentiel, par Noémie Merleau-Ponty, Les Aspects concrets de la thèse, carnet Hypothèses, 7 mars 2014.
[2] Philippe Artières & Dominique Kalifa, Vidal, le tueur de femmes. Une biographie sociale, Paris, Perrin, 2001.
[3] Philippe Artières & Jean-François Laé, Lettres perdues. Écriture, amour et solitude (XIXe-XXe siècles), Paris, Hachette, coll. « La vie quotidienne », 2003.
[4] Philippe Artières & Jean-François Laé, « L’enquête, l’écriture et l’arrière-cuisine. Chronique d’une enquête sur une correspondance », Genèses, 2004/4 n°57, p. 89-109.
[5] Philippe Artières & Jean-Claude Loiseau, « Coco Chéri, rue de la Santé », par Valérie Mairesse, France Culture, 2003.
[6] Philippe Artières & Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 1968, une histoire collective (1962-1981), Paris, La Découverte, 2008.
[7] Extraits de l’introduction à 1968, une histoire collective (1962-1981) – cf. note précédente.
[8] Philippe Artières & Mathieu Pernot, Exposition L’Asile des photographies, du 20 octobre 2013 au 26 janvier 2014 au Point du Jour (Cherbourg), et du 13 février au 11 mai 2014 à La Maison rouge (Paris) / Livre L’Asile des photographies, Point du jour, 2013 (prix Nadar 2013).
[9] Alban Bensa & François Pouillon (dir.), Terrains d’écrivains. Littérature et ethnographie, Anacharsis, 2012.
La séance du 16 janvier 2014 des Aspects Concrets de la Thèse était consacrée à la publication d’un article dans une revue à comité de lecture. L’invité était le sociologue Jean-Louis Genard, rédacteur en chef de la revue électronique de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF), SociologieS. Fort de son expérience, il nous présente le contexte politico-social et les enjeux épistémologiques de la publication pour les jeunes chercheurs d’aujourd’hui.
Un contexte de concurrence et de course à la publication

Jean-Louis Genard observe une augmentation vertigineuse des candidatures à la publication qui a évidemment pour corollaire une concurrence de plus en plus grande entre chercheurs, jeunes ou confirmés. En effet, le nombre de postes ne s’accroît pas à la même vitesse que le nombre de postulants. L’exigence « de se construire un C.V. », ajoute-t-il, est de plus en plus lourde pour lancer sa « carrière ». Le raccourcissement du temps passé à élaborer une thèse provoque une « course à l’accumulation des lignes dans les C.V. », note-t-il. Conséquence : le comité de rédaction de la revue SociologieS constate que de nombreux articles sont trop vite écrits. La baisse de qualité des textes soumis et l’inadéquation des articles aux appels peuvent être une conséquence dommageable de la course à la publication. Pour pallier ce second défaut, la revue offre un espace « Premiers textes », dont Jean-Louis Genard explique qu’il permet de présenter sa recherche sans contrainte thématique. Il n’est ainsi pas nécessaire, en une stratégie parfois maladroite, de faire entrer sa recherche dans l’appel d’offre de la rubrique « Dossiers ». Une autre stratégie éditoriale s’apparente à du « recyclage » d’article, selon l’expression de l’intervenant, consistant à publier un texte relativement identique dans plusieurs revues afin de gonfler la liste de ses publications. Ces stratégies sont une réponse à « un formatage de l’évaluation des carrières et des C.V. », indique l’intervenant. Les commissions d’évaluation du Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS) en Belgique, ne lisent pas toujours les trois articles significatifs des candidats, sûrement par faute de temps. L’attention se porte ainsi sur les journaux dans lesquels ces publications se trouvent. Le référencement dans Google scholar joue ainsi un rôle important. Le facteur d’impact suscite lui aussi des stratégies, comme l’autocitation ou les citations réciproques au sein d’une même équipe de recherche. « Sans être exagérément caricatural et pessimiste, c’est la réalité », constate J.-L. Genard qui propose ensuite quelques éléments d’explication.
De quelques effets de la réforme de Bologne
Le raccourcissement des thèses est lié à l’impact des réformes issues du processus de Bologne qui ont instauré le système Licence/Master/Doctorat (LMD). Une thèse devrait aujourd’hui durer trois ans. Sébastien Kapp fait cependant remarquer que la durée moyenne des thèses à l’EHESS – 250 défendues par an – s’élève à un peu plus de six années [1] …! Les thématiques traitées doivent ainsi s’ajuster à ce rétrécissement du temps.
En arrière-plan, c’est bien de la formation des étudiants dont il est question. En France et en Belgique, les compétences théoriques acquises jusqu’au Master, ainsi que la capacité à déployer une certaine autonomie dans la recherche seraient en question par rapport à ces cursus. Les universités canadiennes, par exemple, proposent peu de cours magistraux durant le Master mais privilégient les lectures approfondies de certains textes ainsi que des travaux d’écriture, au contraire de la France et de la Belgique où ce type de cours forme les étudiants à une plus grande variété d’auteurs et de théories mais avec moins d’exercices ciblés et de mise en pratique. Les étudiants canadiens peuvent avoir de nombreuses lacunes dans l’histoire de leur discipline mais ils savent lire et commenter des textes. Réaliser une thèse en peu d’années nécessite ainsi que l’acquisition des compétences de recherche commence plus tôt, dès le Master. Dans cette logique de promotion du Master, un des critères d’octroi de financements pour d’importants projets de recherche au Canada est l’intégration de masterant(e)s. Alors qu’il y a vingt ans les étudiant(e)s canadiens venaient nombreux faire leurs études en France, on assiste à une inversion de la tendance. Jean-Louis Genard propose une explication : l’encadrement des jeunes chercheurs par leurs enseignant(e)s. Alors qu’au Canada une charge de formation doctorale est rémunérée et a valeur d’une unité d’enseignement à part entière, les chercheurs français ou belges perçoivent une prime [2], en plus de leurs charges de cours. Les écoles doctorales ont peu de moyens octroyés à l’encadrement des étudiant(e)s. Les enseignant(e)s ont ainsi moins de temps à consacrer à leurs étudiant(e)s (Ali et Rouch, 2013).
Les crédits européens, les fameux ECTS, ont permis de formaliser et d’unifier les pratiques des différents États européens en matière de notation. Certaines institutions universitaires s’en servent pour répartir en crédits la valeur de différentes productions. Sébastien Kapp relate qu’à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), le mémoire de thèse vaut 60 crédits sur les 120 nécessaires à l’obtention du diplôme. Les autres 60 points sont dévolus aux publications, participations à des colloques, organisations d’événements scientifiques (comme des journées doctorales). L’annexe du règlement de la faculté de sciences sociales de l’ULB propose le découpage suivant : la publication d’un livre vaut 15 points et la publication d’un article…également. Le calcul d’intérêt n’est pas très compliqué…d’autant plus qu’il est rare de publier un livre avant la fin de la thèse.
En arrière-plan, une épistémologie qui déploie « une conception cumulative de la science »

La production de thèses courtes renvoie à une conception particulière de la recherche, rapprochant les sciences humaines et sociales de mécanismes propres aux sciences dures. Il s’agirait davantage de vérifier une hypothèse non testée jusqu’ici au sein d’un corpus théorique bien délimité, un état de l’art bien connu. Le jeune chercheur semble ainsi devoir faire preuve d’originalité dans un domaine hyperspécialisé, plutôt que de répondre à une grande question à l’aide d’une assise théorique solide et généraliste. Les thèses en sociologie avaient jusqu’alors une culture plus spéculative nécessitant un apprentissage lourd de la littérature généraliste. Un écart générationnel opère bien ici. Jean-Louis Genard rappelle qu’il a écrit une thèse de 1300 pages. Ceci peut avoir des conséquences lors d’une tentative de publication : les articles de jeunes chercheurs peuvent être refusés par les comités de lecture constitués de chercheurs plus expérimentés qui cherchent les signes d’une bonne assise théorique.
Les thèses susceptibles de donner lieu à la publication d’un ouvrage tendent à être remplacées par des thèses qui articulent plusieurs articles publiés pendant ou après la soutenance : Jean-Louis Genard suggère qu’il paraît aujourd’hui plus important d’avoir des articles publiés dans des revues reconnues au niveau international que d’avoir publié sa thèse sous la forme d’un ouvrage. Le type de rationalité mobilisée dans ces deux formats n’est, semble-t-il, pas tout à fait le même, du moins cette différence se pose comme question. La rédaction d’articles dissipe-t-elle la montée en généralité de la pensée, importante dans un ouvrage, construite sur plusieurs années d’enquêtes et de réflexions ?
S’ajoute à cette tendance cumulative un renforcement de la conception positiviste de la scientificité. En sociologie, les financements des recherches commandées sont souvent liés, comme le note l’intervenant, à une « demande d’indicateurs » explicitant un phénomène social et donnant à l’Etat des outils pour aider à la décision. C’est un type de « gouvernance par objectifs », ajoute-t-il. Cela s’accompagne de la restructuration des centres de recherche dont la taille importante est valorisée contre les petites structures considérées trop fragiles économiquement, car incapables d’attirer les crédits européens d’envergure.
Ce détour qui cherche à mettre en lumière une certaine dynamique contemporaine de la recherche et de son écriture, permet de comprendre, un peu, les ressorts d’un monde où le jeune chercheur souhaite faire entendre sa voix. Sans plus de préambules :
Quelques conseils pour publier
- L’originalité : Veillez à ce que votre article ouvre une nouvelle problématique ou une nouvelle question dans une problématique déjà existante. Pour ce faire, bien connaître l’état de l’art est un début nécessaire, mais les bonnes intuitions réalisent aussi une part non négligeable du travail. Il faut saisir ce qui est intéressant aujourd’hui. Un exemple : Après les travaux inauguraux de Thévenot et Boltanski (1991), le thème de la participation a fleuri dans les années 1990, mais il est aujourd’hui très difficile de publier autour de ce thème largement traité.
- La clarté et la cohérence : Montrez que vous maîtrisez votre méthodologie, soyez réflexifs afin d’être clairs sur la place de l’empirie et de la théorie dans votre article. Un résumé de douze lignes doit énoncer clairement une ou deux idées, pas plus.
- Mobiliser une intelligence collective: Faites-vous relire avant d’envoyer un article. N’ayez pas peur des critiques. Trouver des lecteurs impitoyables et ne vous vexez pas. Adressez-vous aussi bien à des collègues doctorant(e)s qu’à des chercheurs plus expérimentés. Si votre article vous est renvoyé pour demandes de modifications : modifiez-le et renvoyez-le. Nombreux sont les articles qui ne reviennent jamais dans les mains du comité de lecture parce que leurs auteurs ont interprété une demande de modifications comme un refus déguisé. Habituez-vous aux refus, vous les rencontrerez souvent, mais prenez-les comme une occasion d’améliorer votre pensée.
- Cibler les revues : Privilégiez les revues à comité de lecture avec anonymisation, qu’elle prenne la forme d’une évaluation en double ou à l’aveugle. Lisez et chercher à comprendre le type d’articles que recherche la revue dans laquelle vous souhaitez publier. Bien choisir, c’est déjà éviter un refus par erreur de ciblage (ex : La revue a-t-elle une aire géographique de prédilection ?) Mieux vaut publier peu dans des revues de qualité plutôt que de multiplier les papiers dans une revue de centre au lectorat plus limité, et dans une certaine mesure, déjà acquis à votre cause. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une revue a refusé votre article qu’une autre ne l’acceptera pas. Tapez à plusieurs portes ! Pour vous aider à vous repérer sachez que l’AERES publie une liste de revues qu’elle estime être de bonne qualité.
- L’internationalisation/l’anglicisation : C’est un vrai avantage de lire et d’écrire en anglais et de faire des séjours à l’étranger durant son doctorat. Les mentions de la littérature anglo-saxonne dans les projets et les publications sont attendues.
- C’est bien d’être publié, c’est encore mieux d’être lu ! L’offre de lecture est aujourd’hui immense et nous sommes entrés dans l’ère du numérique. Une revue en ligne ou une revue papier disponible en ligne offriront certainement plus de visibilité à votre article qu’une revue disponible sur seul papier.
Ne courez pas derrière votre point final, justifiez-le ou pour le dire avec Jean de La Fontaine, « Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. »
Noémie Merleau-Ponty

Indications bibliographiques
Nawel Aït Ali et Jean-Pierre Rouch, 2013, « Le « Je suis débordé » de l’enseignant-chercheur, Petite mécanique des pressions et ajustements temporels », Temporalités, n°18 ‘Temporalités de la recherche’ (https://temporalites.revues.org/2632).
Luc Boltanski et Laurent Thévenot, 1991, De la justification : Les économies de la grandeur. Paris, Gallimard.
Alexandre Mathieu-Fritz et Alain Quemin, 2007, « Publier pendant et après la thèse. Quelques conseils à l’attention des jeunes sociologues », Socio-Logos (https://socio-logos.revues.org/107)
_____________________________________
1 Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Directeur_de_thèse et https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000220131&dateTexte=
2 Voir les rapports de M. Bustamente publiés en 2008 et en 2012
Le 2 décembre 2013, le séminaire des Aspects concrets de la thèse recevait Xavier Paulès, maître de conférences à l’EHESS où il a été, pendant plusieurs années, chargé de mission à la vie étudiante. Une séance qui soulignait que l’avenir professionnel du doctorant se dessine bien avant la fin de sa thèse …
Dès le début de la thèse, préparer l’après-thèse
L’après-thèse doit se considérer avec autant d’exigence que l’excellence du travail fourni. De nombreuses démarches, incontournables, semblent parfois dénuées de sens ; en première année, on est avant tout accaparé par l’esquisse d’un premier corpus, son périmètre, l’organisation des premiers travaux… Mais il ne faut pas oublier les « actions satellites », primordiales pour avancer sereinement : demandes de financements, publications, mise en place d’un réseau, participations et organisations des colloques, conférences et autres séminaires, demandes de stages… Toutes ces démarches sont autant de stratégies pour se présenter progressivement à une communauté de chercheurs qui n’offrira que très difficilement une place à ceux restés dans l’ombre.
Se faire connaître, créer un réseau, est donc impératif : la tour d’ivoire du doctorant n’est qu’une chimère. En sortir, c’est envisager la recherche comme un travail, une émulation collective. Internet est un formidable accélérateur pour faire les bons choix quant aux réseaux qui nous conviennent : publications, séminaires, blogs, colloques… Mais aussi prix et autres distinctions, auxquels il ne faut pas hésiter à concourir : « J’ai croisé, au cours de ces dernières années, des gens qui avaient un potentiel incroyable, mais à le sous-estimer et le censurer par manque de confiance ou trop d’humilité, ils ne s’en sortent que difficilement (voire pas du tout) », insiste Xavier Paulès. La meilleure manière de faire est de confronter son travail au jugement de ses futurs pairs.
Dès lors, que ce soit pour traiter collectivement d’un sujet ou tout simplement pour des rencontres informelles, les moments de sociabilité sont importants. Ceux qui sont liés à la vie étudiante sont précieux : entre doctorants il est plus facile d’exprimer ses doutes, de poser des questions, d’échanger tout simplement. Sans l’éventuelle pression du directeur de thèse ou du corps enseignant.
Très tôt, se mettre à écrire…
L’organisation de l’écriture est strictement personnelle : il faut parvenir à connaître son fonctionnement, et s’y tenir pour produire un texte de qualité.
Xavier Paulès propose cette liste de fondamentaux :
- Ne pas commencer au milieu de la troisième année.
- Se défaire de la contrainte du chapitre : se servir des échéances d’appel à communications et publications pour orienter l’écriture.
- Pas convaincu(e) par un papier ? L’envoyer quand même. Il sera jugé et annoté, parfait pour affiner la forme d’un texte ou faire évoluer son contenu.
- Toujours écrire dans la langue de destination : certaines idées, exprimées dans une langue, demandent toujours un travail de version minutieux, au risque de perdre la substance même du propos.
- Rédiger assez rapidement l’introduction et la conclusion. Ce sont les racines pour le reste.
- En première année, place à la spontanéité, à l’écriture sans objectif précis, excellent moyen de préciser le périmètre de recherche.
- Dès le début, comprendre la ligne éditoriale d’une thèse… en consultant des thèses, tout simplement.
Le mieux est de travailler en ayant conscience de multiples critères, décisifs : nombre de pages, niveau de discours, attrait narratif et didactique ; et – notamment dans l’objectif de publier ensuite la thèse – de composer un texte qui s’offre aux lecteurs, pas seulement aux scientifiques et experts.
Préparer la soutenance

Préparer sa soutenance, c’est l’envisager de manière concrète et pragmatique.
Environ trois mois avant le jour J, tout doit être mis en œuvre en termes d’organisation pour éviter la précipitation des derniers instants : les derniers jours avant la soutenance, tout se bouscule, le monde s’écroule, plus rien d’autre n’a d’importance. C’est normal. La soutenance est le point d’orgue de vos années de travail, il faut la préparer avec soin. Attention au calendrier : les places sont chères, un phénomène d’embouteillage est de coutume aux mois de juin et septembre, et ce n’est pas un hasard : c’est la course pour les dépôts de dossiers (CNRS, post-doc, etc.).
Le choix du jury est un passage délicat mais obligatoire. À faire avec le directeur de thèse qui aura, de toute façon, le dernier mot. Le mieux est de préparer une liste en fonction de critères utiles, pas affectifs… quoique ! La constitution du jury doit se faire en fonction des disciplines évidemment, mais aussi en fonction de l’intérêt pour le sujet. Attention à la « compatibilité » des membres du jury (conflits, concurrences…).
Bien connaître les membres de son jury est primordial : biographies, publications, connaissances de votre domaine… Maîtriser leurs profils, c’est mieux anticiper leurs questions. S’il y a des retours sur le pré-rapport de thèse, ils sont à prendre en compte sérieusement ; on ne peut pas s’autoriser de vexation, ou se réfugier derrière une divergence de point de vue : si les rapporteurs ont fait des remarques lors du pré-rapport qui ne sont pas prises en compte dans votre discours en début de soutenance, ils lanceront l’attaque à l’oral. Cela risque alors d’être cinglant, à moins que le doctorant n’ait vraiment les armes et les justifications nécessaires.
Publier la thèse : faire exister votre savoir, développer votre savoir-faire
La publication au fil des années, sur tous les supports existants, permet de se familiariser avec l’environnement de l’édition, pour le point d’orgue de la thèse : le livre.
Le jury, lors de la soutenance, délivre généralement un avis favorable à la publication quand il s’agit d’un travail sérieux, cohérent, logique. Mais un tel avis ne garantit rien. Gagner les rayonnages est un travail fastidieux ! Attention : le monde de l’édition est victime des enjeux économiques et de la difficulté de survie d’un bien commun devenu valeur marchande standardisée. Certaines thèses, moins bonnes que d’autres, se retrouveront en tête de gondole car certains éditeurs feront payer une patente en échange d’une place de choix… Accepter de payer est une grave erreur ! Rester attentif et bien connaître les éditeurs permet d’éviter de très mauvaises surprises.
Devenir pro (-visoire)

Trop tarder à s’insérer professionnellement après la thèse, c’est risquer de se déconnecter du réseau que l’on a mis du temps à forger : « Je suis revenu de Chine deux ans après la fin du doctorat. A l’époque je ne considérais pas ces histoires de réseau ou d’acte de présence dès la fin de ma thèse, comme importantes. Sauf qu’en France tout le monde m’avait oublié, j’ai dû redoubler d’efforts pour me réintégrer », voilà comment Xavier Paulès interpelle sur ce point. Même pendant un post-doc, il faut rester vigilant sur sa propre visibilité dans les cercles académiques que l’on veut intégrer in fine.
Un jeune docteur doit bien sûr manger pour vivre : il existe une multitude de statuts, plus ou moins attractifs en termes de salaire et de mission, et c’est l’heure de ne rien refuser : chargé de cours, post-doc, ATER… Même si les contenus ne sont pas directement liés à nos spécialités, il faut savoir « faire flèche de tout bois ».
]]>
Howard Becker et l’équipe des ACT sont heureux de vous faire partager la préface de l’ouvrage collectif : Devenir chercheur – Écrire une thèse en sciences sociales (dir. M. Hunsmann et S. Kapp), ici dans sa version originale. Pour consulter la version française ainsi que la table des matières de l’ouvrage, suivez ce lien. Bonne lecture !
Graduate students all over the world confront, as the final test of their scholarly abilities, the task of writing a dissertation. Dissertations surely cause more suffering than all the other traumas of post-graduate education—more sleepless nights, more false starts, more destruction of morale and self-confidence. Doing a large research project creates real problems of planning and execution. You need real skills to do it all. But the biggest problem is unnecessary. The would-be authors think that their inability to do the final task, which so many others have successfully done— to write a report of what you did and what you found and what it means—makes plain for all the world to see that they have some fatal weakness of character or intellect. They think, in short, that their problems of writing are their own fault. Sociologists, of all people, should know better.
If they haven’t figured it out for themselves, C. Wright Mills (1959, p. 9), the North American sociologist, explained the problem in the simplest possible terms, telling us that we must never mistake public issues for private troubles, that we should always look for the roots of those troubles outside of individual people and their weaknesses and shortcomings. The great example of people blaming their private, individually suffered troubles had been created by the Great Depression that followed the stock market crash of 1929. Millions of people were out of work and suffered doubly because they felt that in some way their failure to find work showed a fundamental flaw in their character. They thought their own actions had caused their lack of work, instead of blaming an economic system that did not create enough jobs for everybody.
Why not apply that kind of thinking to the problems of writing a dissertation? We can adopt as a sociological guideline that whenever many people in a similar situation, but otherwise differing in personality, social background, cultural training and aptitudes, etc., have the same troubles, the cause is probably not in them but in the situation they find themselves in. When so many graduate students who, for all the talk of the privileged lives they lead and the huge amounts of cultural capital they control, have trouble doing something they learned to do long ago in the schools that sent them on to do their graduate work, we have to ask what aspects of those graduate programs cause them to lose their ability to write a coherent report.
I have never thought this was a difficult problem to solve. The solution is obvious. We often solve problems by watching others solve them, not just seeing the “answer” to the problem but seeing the steps by which the solver arrived at the answer. I will tell you a few things I have learned, painfully, from years of “doing it.”
There are really only three problems someone who wants to write a dissertation has to solve: how to start, how to stop, and what to do in between those two points.
The solution to the first problem—how to start writing your thesis—is simple. All you have to do is recognize that it isn’t a problem at all, since you started doing that long ago. “No, that can’t be right! I’m sitting here looking at a perfectly blank computer screen. How can you say that I’ve started already?”
I can say it because it’s true. You decided what the answers would be to many of the questions that now seem so perplexing when you made, day by day, the hundreds of decisions about what you would do on each of those days. What data will I collect today? What short note will I write to myself about a very specific question of interpretation of something I’ve learned? Where will I put this fragment of material I collected today so that I will be able to find it when I need it? You have already made hundreds of decisions like that, day by day, decision so tiny and unimportant in themselves that you hardly think of them as “decisions” at all. And yet the cumulating weight of all those small actions has sent you down this path rather than that one, has closed off this possibility while enabling that one, so that you no longer have so many possibilities to choose among. You have the data you have, because you decided many times to talk to this person rather than that one, to investigate that source rather than some other one, ignore that path that seemed so inviting in favor of another one that looked even better, concentrate on this idea rather than that one. Now, as you finally settle down to write, you think you have “to start,” that you are just at the beginning. In fact, you’re at the end and the main thing you have to do is recognize all the choices you have made, and see how they have given you this particular thing to say and made it difficult, maybe impossible to say some other thing that now, for the moment, seems like a better idea. It might be a better idea but you long ago decided not to pursue it.
So when to start is not a problem, it’s a fait accompli. Your only difficulty now is to recognize and accept what you have done and set down that recognition in words and paragraphs. Not as difficult as sitting staring a blank screen.
The third problem—how to finish—is even easier. You finish by saying to yourself “Stop!” the way a mother would say it to a child who is banging on a drum, or crying uncontrollably over a spilled ice cream cone, or pulling the cat’s tail. We all want to put off the moment when the document leaves our hands and goes out into the world to meet its fate. I was once director of a collection for a maison d’édition and one of the authors had put off giving me the final manuscript of his book, offering instead one excuse after another, the last one being that he had to go from New York to London to check one final reference. Which he did not get around to doing. One day, the publisher, being in New York, went to the author’s apartment to see if he could extract the manuscript by wheedling or, if necessary, by force. He was in luck. The author was not home. But his wife was. And when he asked her if she knew where the manuscript was, she said she did, led him to it, and let him walk out with it. The author, the matter having been taken out of his hands, didn’t call the police.
When my colleagues and I were nearing the end of our research on undergraduate students at the University of Kansas, we suddenly had a brilliant idea. We knew that these students, who came from everywhere in this largely rural state, made contacts while they were in college with people from everywhere else in the state, people they would never have known had they studied somewhere closer to home. And that these students, because of the networks they had established, would become part of the elite of the state and thus have social and economic and cultural advantages they would never have had otherwise. And that, because of the experiences they had shared at the university, they shared a lot of understandings—what we usually refer to as “culture”—that would make it easier to find partners for any kind of enterprise they wanted to undertake. (Well, alright, we didn’t really “know” any of that, but we thought they were reasonable guesses.) So, after fifteen minutes of talking about this wonderful idea excitedly, we looked at each other and almost in unison (not quite, but it felt simultaneous) said, “That’s it. The study is finished. We’re through.” Because we knew that our great idea would require another three or four years to do properly and we were all tired (maybe tired of Kansas too, fond as we were of it).
The point is not that it wasn’t a good idea, but that we saw clearly at that moment that there is no really good, logical place to stop. There are always new and interesting problems just ahead, beckoning to us, enticing to spend just a little more time, and to think how much better our work would be if we did that. The corpses of wonderful studies that might have been, had the authors avoided such lures, litter the history of our fields. Since there’s no logical end point, it’s only sensible to let circumstances tell you when it’s time to quit. External signals abound. Your companion is tired of hearing you complain about how hard this is and threatens to leave. You will lose a chance for a wonderful post-doctoral fellowship if you don’t have your degree by a certain date. Your manuscript will not be included in a book you want very much to be part of if you don’t send it in tomorrow—all these give you very good reasons to stop. The world you work and live in is telling you something. Pay attention.
How does all this optimistic talk fit with my earlier insistence that the problems of writing are problems of the social organization, of the places we write in and for? Does it mean that those problems aren’t real problems, after all? No, it isn’t that easy. But the social organization of our work also gives us, if we know how to look, the solutions to these problems.
In Thomas Kuhn’s (1970, pp. 56-7) description, natural scientists learn their craft by watching others in their laboratory at work and seeing “how they do it,” whatever “it” is. But social scientists don’t work in labs that way, where what they’re doing can be seen by neophytes. On the contrary, social scientists, both those already at work and those in training, are usually very secretive. They don’t tell others about their troubles. They act unconcerned, hiding their anxieties and difficulties behind an optimistic façade. Students seldom learn that their professors have trouble writing. They only see the newly published book or article, which hides the anguish and frustration of the production process. But, if we social scientists don’t see someone in the lab doing the very thing we don’t know how to do, so that we can watch and imitate, we can see the solution in the finished product, if we look for it. The solutions seldom sit out in plain view. We have to do a little work.
These successful authors (successful in the minimal but important sense that they actually finished what they were writing) don’t say “I had this problem and solved it this way.” They just show you the solved problem. Anyone writing a dissertation knows at least one person, usually more than that, who has successfully finished one. How did they do it? If we inspect their manuscript, we will very likely find the analogue of the problem we can’t seem to solve, see how they dealt with it, and do the same. I finished my dissertation relatively easily at least in part because I took as a model the excellent dissertation of a somewhat older student at the University of Chicago who had written on a topic that differed from mine in detail, but resembled it, more or less, in its general outline. Oswald Hall (1948) had written his dissertation on the careers of medical practitioners in a small American city. Mine reported on the careers of schoolteachers in a large American city. Not the same problem, but not completely different either. (“Close enough for jazz,” as my musical colleagues and I used to say when they tuned up to the piano before we began playing.) I took Hall’s thesis as a template, solved the problems as he had unless the circumstances of our two cases were too different for that, in which case I made the adjustments the difference called for.
(As a bonus, I will tell you the other secret that let me finish my dissertation promptly and without undue suffering. I wrote two pages every day without fail. That was a day’s work. If I finished my two pages by nine in the morning then I took the rest of the day off. If necessary, I worked for several hours. But I always ended the day with two new pages. A friend of mine did the simple arithmetic for me: if you write two pages a day at the end of a year you will have 730 pages, enough for at least two dissertations.)
My final injunction to anyone having trouble writing is: start writing! Never sit looking at an empty screen. Write something, anything. Keep writing until you find something that looks useful and then work on it. S. I. Hayakawa, one of the leaders of the general semantics movement many years ago, used to teach a class in writing at San Francisco State University. His very popular classes usually had about six hundred students. How can you teach writing to that many people at once? Easy. Every day, when the students came in and sat down, they had first to spend twenty minutes writing. Not something to be handed in and given a grade. Just writing. The pencil moving, no matter what it wrote. If they couldn’t think of anything to say—a common complaint, as you might imagine—he told them to write their name and address. If they were still unable to think of something, write your name and address again. Students testified that after a week of this regimen they had absolutely no trouble writing on any topic. They had learned this important lesson: nobody cares about the stupid things you write as long as, in the end, you write something they find useful or interesting or enjoyable.
I mentioned three problems, the last of them being “what to do in between getting started and stopping.” What about those problems? Actually, they aren’t easy to deal with, but the entire literature of our fields is filled with advice on those matters. The only thing to add is that it is always better to do something than do nothing, to keep active, keep looking for things that will move your project along.
In the words of the great American baseball player and philosopher Satchel Paige, “Keep moving and don’t look back. Something might be gaining on you.”
Howard S. Becker
Bibliographie
Hall, Oswald. 1948. “The Stages of the Medical Career.” American Journal of Sociology 53:243-253.
Kuhn, Thomas. 1970. The Structure of Scientific Revolutions. Chicago: University of Chicago Press.
Mills, C. Wright. 1959. The Sociological Imagination. New York: Oxford University Press, p. 9.
]]>
« Eva est en deuxième année de doctorat, son domaine de recherche est la sociologie urbaine. Elle travaille à mi-temps à la bibliothèque universitaire pour financer son doctorat. Lors d’un rendez-vous avec son directeur de thèse, celui-ci lui propose de prendre en charge, en tant que vacataire, deux TD de L1 et un CM en L3. Eva n’a jamais enseigné, mais elle pense que cette expérience d’enseignement constituera un atout majeur dans son CV, elle accepte donc avec plaisir la proposition. Son directeur lui donne les titres des enseignements dont elle aura la charge : “sociologie de l’éducation”, “sociologie du corps”, “introduction à l’anthropologie”, et il n’oublie pas de lui donner quelques notes écrites à la main et trois textes clés à aborder en cours. Le défi d’Eva est de taille. Elle va devoir aborder un contenu qu’elle ne maîtrise pas avec un public d’étudiants pas toujours intéressés par la matière (L1). De plus, elle devra gérer un amphi (CM) de 500 étudiants qui ont quasiment le même âge qu’elle ». (Gérard, 2013)
La situation d’Eva, rapportée par Lætitia Gérard (2013)1, docteure en sciences de l’éducation et spécialiste de la valorisation du doctorat/parcours doctoral, est loin d’être anecdotique. Les activités d’enseignement concernent un certain nombre de doctorants, non seulement parce qu’elles constituent une source de financement mais aussi parce qu’elles sont l’occasion d’acquérir une expérience professionnelle. Un rapport2 de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) sur les profils et conditions d’étude des doctorants relève, à travers l’étude de leurs principales ressources financières, des différences en fonction des domaines disciplinaires. Ces différences s’avèrent moins favorables aux doctorants en LSHS (Vourch, 2010). Pour ces derniers, quand ils se destinent au professorat universitaire, enseigner pendant le doctorat apparaît comme un pré-requis à la fois pour se former et pour se socialiser au métier d’enseignant-chercheur, et augmenter ainsi leurs chances de recrutement. Pour les doctorants qui s’orienteront vers d’autres professions, les activités d’enseignement, sans être incontournables, sont l’opportunité de développer des compétences valorisables dans un contexte professionnel plus large. Enseigner pendant le doctorat, c’est aussi intérioriser les tensions permanentes qui traversent la profession d’enseignant-chercheur, à commencer par celles relatives à l’articulation entre les activités d’enseignement et de recherche. Le statut de moniteur ayant disparu en avril 2009, on peut considérer qu’il existe aujourd’hui trois positions administratives principales pour les doctorants qui enseignent dans le supérieur : le contrat doctoral (avec charge d’enseignement), les postes d’ATER et les vacations3.
Enseigner pendant le doctorat, une manière efficace d’entrer dans le métier d’enseignant ?
Dans les textes réglementaires, enseigner pendant le doctorat apparaît comme une manière efficace d’entrer dans le métier. Le décret du 30 octobre 1989 stipule que « les étudiants qui souhaitent se préparer à des fonctions d’enseignant-chercheur bénéficient d’une formation par l’enseignement et la recherche à ces fonctions dans le cadre du monitorat d’initiation à l’enseignement supérieur. » L’expérience d’enseignement apparaît comme un pilier de l’apprentissage du métier, le texte précisant qu’afin de « s’initier à la pratique pédagogique, les moniteurs doivent assurer, annuellement, soixante-quatre heures de travaux dirigés ou quatre-vingt-seize heures de travaux pratiques »4. En réponse à la suppression du statut de moniteur, la mise en place du contrat doctoral à la rentrée 2009 est présentée comme « une avancée dans le processus de professionnalisation du doctorat »5. L’enseignement y apparaît comme l’une des modalités possibles de professionnalisation proposées aux doctorants6.

Christine Musselin distingue deux phases (avant et après l’obtention d’un poste permanent) dans la carrière des enseignants-chercheurs, depuis le doctorat jusqu’aux échelons les plus élevés du professorat : « la première phase correspond à une période de socialisation, caractérisée par des emplois de type contractuel, et souvent hypersélective ». Les activités d’enseignement sont une occasion de socialisation non négligeable pour les doctorants en SHS qui ne bénéficient pas de certaines formes de socialisation propres aux doctorants en sciences dites dures, comme la fréquentation quotidienne d’un laboratoire. « Un excellent dossier scientifique ne suffit jamais » rappelle Musselin. « Dans tous les départements étudiés, soit vingt-deux au total dans trois pays7, sont prises aussi en compte les capacités pédagogiques et la potentialité du candidat à se comporter en “bon collègue” ». « Ce sont alors des formes types de l’interaction ou du réseau qui prévalent. » En France, il est fréquent que les recruteurs s’appuient, pour faire leur choix, « soit sur les expériences passées qu’ils ont eues avec tel ou tel candidat, soit sur ce que disent les collègues des départements par lesquels le candidat est passé et qu’ils ont contactés8». Ainsi, la socialisation et la possibilité d’avoir une expérience concluante d’enseignement peuvent être décisives dans les processus de recrutement.
Cet apprentissage du métier commence avec l’expérience d’ancien étudiant et se prolonge avec l’expérience d’enseignant dans un contexte professionnel universitaire qui valorise peu la mission d’enseignement. Les interactions avec les collègues sont souvent épisodiques et rarement formalisées dans le sens d’un apprentissage systématique du métier d’enseignant. Le corollaire de cette absence de formalisation est le caractère aléatoire de l’initiation des doctorants au métier d’enseignant et de la prise en charge des difficultés qu’ils rencontrent lors de leurs premiers enseignements.
Les principales difficultés rencontrées par les doctorants lors de leurs premiers enseignements

Les résultats d’une enquête9 réalisée par Saeed Paivandi en 2001 auprès de 3 327 moniteurs sur leur expérience du monitorat (à la fois initiation CIES et immersion dans l’enseignement universitaire) sont intéressants pour aborder cette question de la première expérience pédagogique à l’université, en la replaçant dans le contexte plus large des tensions que connaît actuellement l’université française, en particulier celles relatives à la définition des missions des enseignants-chercheurs. Les moniteurs évoquent des codes tacites qui encouragent l’individualisme pédagogique auxquels s’ajoute l’absence d’une culture de préparation professionnelle. L’identité professionnelle se construit à travers un processus conflictuel marqué par une « (re)définition, dans le contexte de la massification de l’université, du métier d’universitaire conçu sur le modèle humboldtien postulant l’unité de l’enseignement et de la recherche, la primauté de la recherche et la place subordonnée de l’enseignement ». Il ajoute que « le décalage croissant entre enseignant et étudiant quant à la relation au savoir [et notamment la] disqualification du savoir universitaire chez les nouvelles générations d’étudiants » peut être la source d’une grande insécurité lors des premières expériences d’enseignement.
D’après l’enquête de Paivandi, au sujet des difficultés importantes rencontrées dans leur activité d’enseignant débutant, près d’un moniteur sur deux évoque la question de l’apprentissage des étudiants (comment les motiver, les faire réussir, leur faire comprendre les concepts, acquérir les méthodes, etc.), 37 % les difficultés liées à la préparation des cours, un sur quatre le trac personnel. Un tiers des réponses textuelles concernant la relation avec les étudiants se réfère aux difficultés pédagogiques (« ambiance sociale », « contexte pédagogique du département d’exercice », « caractère “flou” du projet pédagogique de l’université », « absence d’un espace de médiation pour débattre de leurs questions pédagogiques », regret quant au « manque de considération et à l’absence totale d’intégration à une équipe pédagogique qui n’existe pas. »…). Les problèmes pratiques rencontrés sur les plans organisationnel et pédagogique sont de deux ordres :
- Comment élaborer un cours (définir ce que les étudiants doivent apprendre, préparer les références et les supports de cours, concevoir l’évaluation, anticiper les difficultés liées aux apprentissages…). Les moniteurs sont « amenés à bricoler des formes d’adaptation individuelles afin de remplir leur mission d’enseignement ».
- Comment motiver les étudiants et favoriser leurs apprentissages : « 50 % des moniteurs mettent en avant le manque d’appétit intellectuel des étudiants comme étant la difficulté la plus importante qu’ils aient rencontrée. ». Ils font état d’un sentiment de déception face à une attitude « passive » ou « utilitariste », choquante pour les moniteurs qui dans leur parcours d’étudiant ont eu une expérience complètement différente.
Paivandi rappelle que « la relation entre enseignant et étudiants s’organise autour d’un savoir à acquérir […] or les universitaires et les étudiants ne vivent souvent pas la même relation au savoir ». Ce décalage « est à l’origine d’une frustration permanente chez les enseignants ». L’étudiant actuel de 1er cycle est un « contre-modèle de l’étudiant idéal attendu par l’enseignant ». L’article conclut sur les « aspects conflictuels de la construction de la nouvelle identité de ces apprentis enseignants. Le moniteur est un étudiant transformé au « claquement de doigts (expression employée par certains moniteurs eux-mêmes) en un enseignant. »
Il semble donc nécessaire de réfléchir à des modalités d’apprentissage du métier répondant aux attentes et aux besoins des enseignants débutant dans le supérieur, à commencer par les doctorants chargés d’enseignement. Au niveau de la pratique pédagogique stricto sensu, trois points concrets peuvent être dégagés sur lesquels les doctorants pourraient avoir besoin d’être formés et/ou accompagnés :
- La préparation des cours : enseigner des contenus dont on n’est pas spécialiste, définir des objectifs pédagogiques, choisir des supports appropriés, organiser une progression sur un semestre, prévoir des évaluations adaptées, tenir compte du contexte (par exemple prendre en compte le CM sur lequel s’appuie le TD).
- L’animation d’un cours et l’efficacité pédagogique : prendre la parole en public, gérer son stress, favoriser les interactions avec les étudiants, évaluer l’acquisition des connaissances, mettre les étudiants en activité, etc.
- La gestion de classe et des rapports avec les étudiants : organiser la communication électronique, réagir de manière appropriée aux retards et absences, prévenir les bavardages, favoriser le travail personnel, s’assurer que les travaux soient rendus, réagir aux incivilités, etc. Évidemment, cela dépend beaucoup du contexte d’enseignement. On ne rencontre pas les mêmes problèmes en L1 qu’en master et les difficultés semblent aussi pouvoir différer en fonction des disciplines universitaires.
Pour faire face à ces problématiques liées aux activités d’enseignement, il existe des outils, des exemples de démarches, de méthodes déjà mises en pratique (on le verra un peu plus loin). Ils ne sont pas à prendre comme des recettes, des prescriptions s’appliquant de manière mécanique mais bien comme ce qu’ils sont, des références ancrées dont chaque enseignant doit pouvoir se saisir de manière intelligente et intelligible pour répondre aux problématiques pédagogiques qui sont les siennes en fonction de son contexte d’enseignement, de ses objectifs pédagogiques, de ses contraintes organisationnelles, matérielles et même personnelles.
Quelles passerelles entre les activités de recherche et d’enseignement ?

Les activités de recherche permettent à l’enseignant-chercheur de rester au fait des changements rapides qui touchent sa discipline, aussi bien en termes de contenus que de méthodes, et nourrissent donc la préparation des cours dispensés. Elles représentent aussi une démarche, incarnée par l’enseignant, avec laquelle les étudiants doivent peu à peu se familiariser et qui consiste à faire preuve de distance critique face à un savoir vivant. Enseigner peut-il être enrichissant au moment où l’on travaille à préparer sa thèse ? Des compétences communes aux activités d’enseignement et de recherche peuvent être développées simultanément : mener une veille, rechercher des informations ; analyser, synthétiser, illustrer ; gérer un projet ; prendre la parole en public ; rendre accessible, vulgariser. Toujours extraite de l’enquête de Paivandi, une remarque d’un moniteur attire l’attention sur les aller-retour entre les activités d’enseignement et de recherche qui se nourriraient l’une de l’autre :
Le couplage enseignement-recherche me paraît idéal : chaque activité influe sur l’autre de façon positive ; l’enseignement ouvre de nouveaux espaces à la recherche et on transmet une partie de son expérience de chercheur en enseignant10.
En parallèle du travail de recherche qu’est la thèse, l’enseignement peut favoriser l’accès à des temporalités et à des modes de rapport au savoir différents, enrichir un travail de recherche en ouvrant des possibilités réflexives. Dans une notice sur l’histoire du cours magistral11, Annie Bruter rapporte que c’est au XIXe siècle, dans les facultés créées sous le Premier Empire, qu’on commence à délivrer des « exposés magistraux que les auditeurs prennent en note pour en faire ensuite la “rédaction”, c’est-à-dire les transcrire au propre, travail considéré comme très profitable pour eux – de même que la leçon est parfois vue comme très utile au professeur en ce qu’elle lui permet d’évaluer sa propre production au vu des réactions du public. » Alors, bien sûr, on n’enseigne pas toujours sur son domaine de spécialité, mais tout de même, en enseignant, on teste et on exerce sa capacité à faire comprendre un savoir qu’on a organisé d’une certaine manière, en vue de favoriser son acquisition. L’activité de préparation d’un cours, qui prend en compte les apprentissages des étudiants, implique de réfléchir à l’épistémologie de sa discipline tout en parcourant plus largement un domaine du savoir, suppose des recherches connexes au sujet de thèse, voire même éloignées qui pourtant nourriront le travail de thèse par une mise en perspective, une occasion de faire des liens auxquels on n’aurait pas pensé, voire de réaliser des trouvailles, en tout cas de prendre du recul. On pourra ainsi développer des compétences « métacognitives » sur son travail de chercheur grâce à sa pratique d’enseignement. Le travail de thèse, pour le définir très grossièrement, implique de se documenter et de construire, sur la base d’hypothèses, un travail original, un savoir nouveau. Il faut donc assimiler des notions, des concepts, parfois complexes, se les approprier pour pouvoir les manipuler. Prendre du recul sur sa propre pratique d’étudiant-chercheur, s’observer en train de faire et décoder ses stratégies, c’est s’outiller pour rendre explicites les compétences que l’on veut faire acquérir aux étudiants ; c’est aussi revenir sur les processus qu’on met en œuvre dans son propre travail de recherche.
Comment former à l’enseignement dans le supérieur ?

Les opportunités de formation à l’enseignement dans le cadre de la formation doctorale dans l’espace francophone, hors France, ont été récemment décrites par Lætitia Gérard (2013) qui montre, à travers différents exemples, que cette formation pédagogique est reconnue institutionnellement avec des ECTS (Universités de Sherbrooke, de Bruxelles, de Lausanne par exemple) ou des attestations12. En France, les Centres d’initiation à l’enseignement supérieur (CIES), mis en place en 1989, ont dispensé des formations réservées aux allocataires-moniteurs. La disparition de ce statut a entraîné la suppression du seul dispositif formel national destiné à former les futurs enseignants-chercheurs français et la relocalisation de la mission de formation à des échelons régionaux ou locaux. Différents modèles émergent qui répondent à des conceptions divergentes de l’apprentissage du métier d’enseignant13. Ils ont promus et/ou mis en œuvre par des acteurs variés14, plus ou moins identifiés, plus ou moins acceptés, ce qui est à l’origine de débats et de questionnements tant chez les enseignants-chercheurs que chez les universitaires qui se professionnalisent sur ces questions de pédagogie universitaire et d’accompagnement/formation des enseignants-chercheurs. Un certain nombre d’enjeux, qui sont aussi des points de tension, sont liés à cette question. Nous en retenons deux :
- Qui est légitime pour être acteur de cette formation : des enseignants, des enseignants-chercheurs, des ingénieurs pédagogiques, les conseillers pédagogiques, etc. ?
- Doit-on trancher ou assurer une complémentarité entre une formation/socialisation de type informelle et des dispositifs formalisés15 (le corollaire étant la définition des compétences des enseignants-chercheurs) ?
Si le savoir de l’enseignant-professionnel se construit en prenant appui sur l’expérience, reste à définir, comme le soulignent Léopold Paquay, Marguerite Altet et Evelyne Charlier, auteurs du livre Former des enseignants professionnels16, ce que cela signifie et pour qui : s’agit-il de construire des compétences à partir d’expériences vécues ou d’articuler théorie et pratique ? Les besoins sont-ils les mêmes pour les futurs enseignants, les enseignants débutants, les enseignants en fonction ? Il existe des référentiels de compétences pour le supérieur comme celui de Nancy Brassard17, professeure à l’ENAP Montréal, qui constituent des propositions auxquelles on peut s’intéresser mais dont il faut noter qu’elles ont émergé dans des contextes différents du nôtre, notamment au Québec, en Suisse et en Belgique, où la préoccupation de formation à la pédagogie pour les enseignants du supérieur est beaucoup plus ancienne. Si ces questions sont encore en chantier en France, différentes pratiques se développent :
Les formations « classiques », de type stage ou atelier peuvent être internes aux établissements ou mutualisées. Par exemple, à Paris 1, une formation de deux jours « Initiation à l’enseignement dans le supérieur », a eu lieu tous les ans en septembre depuis 2009. Elle s’adresse aux doctorants contractuels et ATER n’ayant jamais bénéficié d’une formation à l’enseignement et s’articule autour des activités suivantes : connaissance de l’institution, ateliers disciplinaires animés par des enseignants du champ disciplinaire, conférence en psychologie cognitive sur les stratégies de réussite et d’apprentissage des étudiants (vidéo ici), présentation des dispositifs pédagogiques numériques (vidéo ici), ateliers de prise de parole en public. Elles peuvent être mutualisées entre plusieurs établissements. Par exemple, l’Université numérique Paris-Ile-de-France propose des formations, accessibles aux chargés d’enseignement de tous les établissements membres, pour enseigner avec le numérique ou utiliser le numérique pour ses activités de recherche et de valorisation scientifique18.
Autre modalité de formation, les activités d’accompagnement des enseignants ont pour objectif de s’adapter au mieux aux contraintes qui sont celles des enseignants-chercheurs (notamment celle du manque de temps). Elles reposent généralement sur le principe de la formation-action qui permet de réaliser un projet en bénéficiant d’actions de formation ciblées et personnalisées nécessaires à sa bonne réalisation. Elles peuvent s’inspirer du concept du Scholarship of teaching and learning (SoTL) dont Ernest Boyer jette les fondements dans son ouvrage sur la professionnalité enseignante dans le supérieur Scholarship reconsidered : priorities for the professoriate. Comme l’expliquent Nicole Rege Colet, Lynn McAlpine, Joëlle Fanghanel et Cynthia Weston dans un article sur le concept de SoTL, le postulat est de « rapprocher l’enseignement et la recherche dans un même paradigme de professionnalité » et de « montrer que certaines formes de recherche sur la pratique enseignante contribuent à la formation pédagogique des enseignants-chercheurs19». Selon Boyer, en effet, il est temps de dépasser le vieux débat « enseignement versus recherche » et de donner au terme scholarship « une signification plus large qui apporte une légitimité à l’ensemble du travail académique »20 . Boyer propose, pour approcher la complexité de la fonction de professeur à l’université, un modèle à quatre composantes dont chacune est centrée sur une activité :
- scholarship of discovery : produire de nouvelles connaissances à travers la recherche ;
- scholarship of integration : utiliser et synthétiser les connaissances à travers les publications ;
- scholarship of application : transférer les connaissances vers la société civile ;
- scholarship of teaching : transformer et transmettre les connaissances.
Au Scholarship of Teaching (SoT) s’ajoute le L de Learning. Rege Colet et alii définissent le SoTL comme « une démarche de questionnement systématique sur les apprentissages des étudiants qui permet d’améliorer la pratique enseignante en communiquant publiquement sur cette recherche ou ce questionnement». Le principe de recherche-action consistant à « examiner de manière systématique sa pratique d’enseignement et ce qui est entrepris pour soutenir les apprentissages des étudiants » est ici central : son « double objectif est d’améliorer l’enseignement et de contribuer à la connaissance théorique de manière à renforcer les apprentissages des étudiants »21. Les résultats de ces recherches sont encore très localisés mais constituent une expérience formative pour les enseignants qui s’y impliquent. Pour les doctorants souhaitant bénéficier d’une formation ou d’un accompagnement, il est nécessaire d’identifier – quand elles existent – les structures susceptibles de mener ce type d’activités dans leurs établissements ou dans les établissements associés. Par exemple, le service TICE de Paris 1 a développé une démarche d’accompagnement des projets pédagogiques des enseignants reposant sur le principe d’une définition commune des objectifs et des moyens accordés au projet ainsi que sur le principe de la formation-action22. Voici deux exemples de projets menés avec des doctorants :
- Un projet mené en 2011 (et reconduit en 2012 et 2013) avec l’école doctorale d’archéologie à l’initiative d’une doctorante pour former les doctorants aux techniques d’expression orale, compétences fondamentales dans l’exercice de leur métier de chercheur et d’enseignant et favorise le rayonnement de l’École doctorale en capitalisant et en diffusant des ressources audio de qualité. (Plus d’informations ici)
- Un projet mené en 2011-2012 en L1 Économie à l’initiative d’une doctorante pour favoriser l’implication des étudiants dans leur TD d’Introduction générale à l’économie. (Plus d’informations ici)
Se documenter et organiser sa veille pédagogique apparaît comme une troisième modalité pour se former et s’informer sur ces questions. On trouve de nombreuses références, qui vont des livres de « teaching tips »23 aux ouvrages de recherche sur les questions d’enseignement et apprentissage dans le supérieur24. Un certain nombre de blogs, dont le plus connu est sans doute pédagogie universitaire, constituent une mine de conseils et de références bibliographiques et webographiques. Il est aussi important d’identifier les différents réseaux (professionnels, disciplinaires, etc.) voire de participer à des communautés, plus ou moins formalisées, d’échanges de pratiques. Enfin, une démarche d’évaluation des enseignements par les étudiants (EEE), à condition qu’elle ait une visée formative25 et que l’enseignant ou l’équipe pédagogique s’implique dans la constitution des questionnaires et l’analyse des résultats, permet d’identifier les points à améliorer et contribue à nourrir la réflexivité pédagogique.
À propos de la naissance de la pédagogie, F. Jacquet-Francillon et P. Kahn écrivent que « toute cette histoire repose sur un schéma d’opposition entre d’une part le passé révolu de la tradition, de la “routine”, et d’autre part, un présent améliorateur, celui du progrès inévitable. La valeur de la modernité fonde la pensée pédagogique26 ». Cette remarque est intéressante parce qu’elle place la pédagogie du côté de la rupture, de l’évolution, du progrès. Mais considérer la pédagogie à l’université comme un remède, c’est la réduire à une technique. Or la pédagogie est aussi objet de savoir et c’est sur cette dimension essentielle qu’il est important d’insister dans un contexte universitaire. Car si l’introduction d’une pensée pédagogique formalisée à l’université a ses défenseurs, elle a aussi ses détracteurs. Taxant cette pensée d’inutile, d’inadaptée ou de normative, leurs réactions ont parfois le défaut d’être trop incarnées et d’asseoir leur légitimité sur une expérience personnelle d’enseignant débutant réussie, dans le système tel qu’il existe. La posture inverse, désincarnée celle-là, est une vision surplombante, parfois institutionnelle, focalisée sur un progrès nécessairement perçu comme positif, et dont la clé pourrait dépasser ceux-là mêmes qui sont concernés. Ces deux postures nourrissent un débat nécessaire et apportent des éléments de réflexion, mais il est important de ne pas mettre de côté la complexité, ou du moins la diversité du réel, et notamment de s’intéresser aux difficultés rencontrées par ceux qui sont en première ligne : les doctorants qui commencent à enseigner.
[2] Ronan Vourch, Les doctorants. Profils et conditions d’études, Rapport de l’observatoire de la vie étudiante, n° 24, 2010
[3] Sur cette question, on pourra également se reporter au billet très précis rédigé par Sébastien Kapp « Enseigner pendant la thèse, le parcours du combattant »
[4] « Décret N°89-794 du 30 octobre 1989 RELATIF AU MONITORAT D’INITIATION À L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR | Legifrance, » accessed March 1, 2013, [en ligne]
[5] Vourch, 2010
[6] Voir aussi sur ce point le billet de Jean Francès « Distinguer la thèse du doctorat : Une condition pour “exceller” »
[7] France, Allemagne, États-Unis
[8] Christine Musselin, “Recrutement Et Carrière Des Enseignants Du Supérieur,” Les Universitaires (La Découverte, 2008). p.65/ p.71
[9] Paivandi S. (2010). « L’expérience pédagogique des moniteurs comme analyseur de l’université », Revue française de pédagogie, n ° 172, pp. 29-42. Toutes les citations qui suivent dans ce paragraphe sur les difficultés rencontrées lors des premiers enseignements sont extraites de cet article.
[10] Paivandi S. (2010). Op.cit
[11] François Jacquet-Francillon (dir.), Une histoire de l’École, Retz, 2010
[12] Gérard.L, 2013, op.cit
[13] A propos de la formation des enseignants du secondaire, Françoise Carraud rappelle les fondements sur lesquelles s’appuient ces conceptions divergentes : nature des savoirs à acquérir et modalités selon lesquelles ces savoirs sont acquis : « Les savoirs nécessaires aux enseignants sont hétérogènes, leurs classements et catégorisations se font en référence à différents modèles (Altet, 2001). À cette hétérogénéité correspond la variété des modalités, des temps et des lieux permettant leur acquisition. Les typologies les plus simples distinguent les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner, ceux-ci pouvant se diviser en savoirs professionnels et savoirs issus de la recherche. […] Le modèle de formation dominant est cependant resté un modèle successif (Serres, 2008) : les différents savoirs sont acquis de manière consécutive, dans des lieux différents et selon des temporalités distinctes. » [En ligne]
[14] Parmi les acteurs plus ou moins récents de la formation et de l’accompagnement des enseignants du supérieur, on peut citer les Services universitaires de pédagogie (SUP) qui se développent et se constituent en réseau, des services TICE qui interviennent dans le champ de la pédagogie et du numérique, les établissements universitaires qui mettent en place en interne des formations spécifiques, une structure nationale comme l’Institut français de l’éducation (IFE), récemment créé.
[15] Laure Endrizzi aborde cette question, en particulier pour ce qui concerne les « néo-universitaires » (p.8-11). Endrizzi, Laure (2011). « Savoir enseigner dans le supérieur : un enjeu d’excellence pédagogique ». Dossier d’actualité Veille et analyses, n°64, septembre [en ligne].
[16] Paquay Léopold et al., Former des enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ?, Bruxelles, De Boeck Supérieur « Perspectives en éducation et formation », 2001
[19] Nicole Rege Colet, Lynn McAlpine, Joëlle Fanghanel et Cynthia Weston, « Le concept de Scholarship of Teaching and Learning », Recherche et formation, 67 | 2011, mis en ligne le 1er mai 2015, consulté le 14 juin 2013 [en ligne].
[20] Ernest Boyer, Scholarship reconsidered : priorities for the professoriate, Carnegie Foundation, 1990, p.16 [notre traduction]
[21] Rege Colet et al., op.cit
[22] Mener un projet pédagogique numérique [en ligne]
[23] McKeachies Teaching Tips (déjà la treizième édition !), Enseigner à l’université de Markus Brauer, Moi j’enseigne mais eux apprennent-ils ? de Michel Saint-Onge, 1984 (1ère édition). Note de lecture de l’ouvrage de Saint-Onge accessible en ligne.
[24] Romainville et Donnay, Enseigner à l’université, un métier qui s’apprend, 1996 ; Romainville et Rege-Colet, La pratique enseignante en mutation à l’université, 2006 ; Deschryver et Charlier, Dispositifs hybrides, Nouvelles perspectives pour une pédagogie renouvelée de l’enseignement supérieur, 2012
[25] Vidéo : La dynamique paradoxale de l’évaluation de l’enseignement par les étudiants [en ligne]
[26] « Naissance de la pédagogie. Les méthodes », Une histoire de l’École, PUF, 2010
Ce texte fait suite à une intervention qui a eu lieu le 18 mars 2013 lors d’une séance du séminaire. Barbara Sémel est professeure certifiée de Lettres modernes, chargée d’études au service TICE – Pédagogie et numérique de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle prépare en parallèle une thèse sur le rapport au savoir des étudiants à l’heure de Wikipédia sous la direction de Laurent Cosnefroy.
1ers lundis du mois de 15 h à 17 h
EHESS, salle 5, 105 bd Raspail 75006 Paris
Du 4 novembre 2013 au 2 juin 2014

quant à l’activité intellectuelle…
Au cœur du processus intellectuel et académique qu’est l’écriture d’une thèse de doctorat, la relation à l’Autre est permanente et multiple : dialogues – au moins théoriques – avec les auteurs auxquels il est fait référence, relectures plus ou moins savantes de nos ébauches de texte, place des « sujets » dans la restitution de nos enquêtes, mise en discussion formelle et informelle de nos résultats et de nos questionnements… Qu’il soit porteur d’émulation ou de conflits, l’échange est un élément central des pratiques de recherche. Il s’y joue la condition de production de connaissances originales et la mise en place d’un parcours professionnel intimement chevillé à la notion de pairs, dont il s’agit de gagner le respect et la reconnaissance.
Ces allers-retours de la pensée, qui la forment, la transforment et la font résonner, seront le fil conducteur de cette année pour aborder à nouveaux frais certains des aspects concrets de la thèse. Au principe de cette exploration, une conviction : malgré son caractère d’exercice solitaire, l’écriture d’une thèse est avant tout un acte de co-création. Partant de là, les ressorts de cet art complexe demandent à être explorés et interrogés.
Lundi 4 novembre 2013 (15h30-17h30, dans l’amphithéâtre de l’EHESS) : “Devenir chercheur. Regards croisés autour de la thèse en sciences sociales”.
Table ronde en présence de Maryvonne Charmillot (maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Genève), et d’Emmanuel Désveaux (directeur d’études à l’EHESS, directeur des éditions de l’EHESS).
Lundi 2 décembre 2013 : “La thèse et l’après-thèse. Bien démarrer l’année et son doctorat”.
Invité : Xavier Paulès, maître de conférences à l’EHESS, ancien chargé de mission à la vie étudiante
Jeudi 16 janvier 2014 (salle 8, 15h-17h) : “Publier dans une revue à comité de lecture“.
Invité : Jean-Louis Genard, rédacteur en chef de la revue SociologieS, professeur à l’Université libre de Bruxelles
Lundi 3 février 2014 (salle 5, 15h-17h) : “Penser avec les autres : autour d’un dialogue scientifique international”
Invité : Rafael Mandressi, historien au Centre Alexandre Koyré
Lundi 3 mars 2014 (salle 5, 15h-17h) : “Recherche en deux temps, écriture à deux voix”
Invité : Philippe Artières, historien, directeur de recherche au CNRS
Lundi 7 avril 2014 (salle 5, 15h-17h): “Penser avec ses enquêtés. Réflexions sur les pratiques de recherche engagées“
Invités : Pascal Marichalar, sociologue, chargé de recherche au CNRS, Nicolas Jaoul, anthropologue, chargé de recherche au CNRS et Annie Thébaud-Mony, sociologue, directrice de recherche honoraire à l’INSERM
Vendredi 16 mai 2014 (salle 2, 18H-20H): “Radio Thésards. Le dicible et l’indicible des jeunes chercheurs”
Invité : David Christoffel, musicologue, poète, auteur d’opéras parlés, producteur de l’émission « Radio Thésards » (France Culture Plus)
Lundi 2 juin 2014 (salle 5, 15H-17H) : La recherche “sur projet”
Invités : Saadi Lahlou, professeur de psychologie sociale à la London School of Economics, et Fred Pailler, sociologue, ingénieur d’études et doctorant au Centre atlantique de philosophie (CAPHI) à l’université de Nantes
__________________________
Equipe organisatrice du séminaire : Marie Glon, doctorante à l’EHESS; Moritz Hunsmann, postdoctorant à l’EHESS; Sébastien Kapp, chercheur associé à l’EHESS et collaborateur scientifique à l’Université libre de Bruxelles; Jade Legrand, doctorante à l’EHESS.
Contact : acthese[at]gmail.com
]]>
Diverses activités jalonnent le parcours d’un doctorant : participer à des colloques ou à des journées d’études, organiser des rencontres scientifiques ponctuelles, animer un atelier ou séminaire de recherche, intégrer un réseau de (jeunes) chercheurs, voire en assurer la coordination. Ces tâches n’ont pas un caractère impératif, si ce n’est peut-être la première d’entre elles, devenue relativement incontournable pour celles et ceux qui prétendront à une carrière de chercheur. Mais elles relèvent toutes d’une certaine conception d’un « dynamisme de recherche » de plus en plus valorisé, notamment au sein d’institutions telles que le CNU (le Conseil National pour les Universités)[1]. Et chacune représente, pour le doctorant qui s’y implique, des opportunités de valorisation scientifique, de socialisation universitaire et d’insertion professionnelle.
Or ces activités se révèlent particulièrement chronophages et invitent à réfléchir à la place à leur donner dans une trajectoire individuelle. C’est la raison pour laquelle une séance du séminaire des Aspects concrets de la thèse leur a été consacrée, le 15 avril, en présence de deux jeunes chercheuses venues partager leur expérience en la matière. Fanny Chabrol, chercheure associée à l’IRIS, a contribué à créer en 2008 le réseau « Jeunes chercheurs en sciences sociales et VIH » et a également coordonné le réseau « Santé et société » au cours de l’année 2010. Giada Danesi, doctorante de l’IIAC, a quant à elle co-organisé les journées doctorales de son institut de recherche en 2012. Toutes deux ont mis en discussion, à l’occasion de cette séance, ces moments particuliers de fabrication et d’acquisition de savoirs et de savoir-faire, leur portée, et leur inscription au cœur du doctorat en SHS.
La séance a été filmée par Mathieu Rouault, fondateur de l’équipe Docteo. Vous pouvez la visionner ici :
Afin de compléter ce document en images, je ferai ici un rapide compte rendu des présentations des intervenantes et des échanges suscités par leurs propos.
S’impliquer pour être acteur de son parcours de formation
Deux intervenantes, deux parcours singuliers. Nos invitées ont d’abord évoqué les raisons qui les ont poussées, respectivement, à s’impliquer dans une activité d’animation scientifique. Bien que différentes, leurs deux expériences témoignent d’une même envie de participer à une aventure collective au sein de leur communauté scientifique. Et si elles reconnaissent une part de hasard dans leurs trajectoires, nous retiendrons surtout que pour l’une et l’autre, et quels que soient les motifs à l’origine de leur décision, c’est le passage à l’acte qui fait du doctorant l’acteur de son propre parcours de formation.
L’environnement dans lequel se joue ce passage à l’acte est celui du contexte institutionnel proche : l’espace du bureau que l’on partage, le cadre du laboratoire de recherche auquel on appartient. Cette spatialisation de l’engagement souligne à quel point l’équipe de recherche du doctorant (et pas seulement celle de son directeur de thèse) ancre localement une distribution d’opportunités. Dès lors, bien sûr, que le doctorant est attentif à ce qui s’y passe, qu’il s’informe sur ce qui s’y fait, ou va se faire, et qu’il parvient à se (faire) reconnaitre comme ressource potentielle et à se rendre disponible pour un projet qui l’intéresse.
S’impliquer requiert enfin de prendre en compte la nature de l’initiative que l’on souhaite rejoindre (un réseau pensé et défendu par des chercheurs internationalement reconnus dans le cas de Fanny, des journées doctorales bien établies dans son institut pour Giada). La genèse de l’événement, ses éventuels « parrains » ou soutiens, et son mode de fonctionnement définissent des niveaux de perspectives – présentes et futures – très variables pour le doctorant (par exemple en termes de rémunération possible ou d’accès à un réseau plus ou moins étendu). Il importe enfin d’articuler ses intérêts personnels (rencontrer d’autres doctorants, découvrir un projet collectif, être perçu comme membre actif de son laboratoire, etc.) à l’envergure plus large du projet en question, de telle sorte d’y trouver un équilibre qui corresponde aussi aux engagements pris par le doctorant vis-à-vis de l’équipe qu’il intègre.
Un engagement individuel au bénéfice du collectif ?
Il existe une très forte dimension collective dans le type de projets que recouvrent les activités d’animation scientifique. D’abord parce qu’ils sont souvent portés par des équipes. Ensuite parce qu’ils sont destinés à une partie de la communauté scientifique qui dépasse largement le nombre restreint de personnes en charge du projet. Ainsi, les journées doctorales dont s’est occupée Giada Danesi ont été mises en place grâce à un groupe de quelques volontaires, tout en bénéficiant directement et indirectement à l’ensemble des doctorants et chercheurs de son UMR et même au-delà (de l’intervention de chercheurs extérieurs lors des journées, à la mention de cet événement comme point positif dans le rapport d’évaluation par l’AERES de l’unité).

Intégrer ces collectifs est une façon de compenser des inégalités parfois fortes entre doctorants et entre centres de recherches. C’est le cas en établissant un mode alternatif de valorisation des doctorants (par distinction avec les trop peu nombreux contrats doctoraux par exemple), en démultipliant les réseaux auxquels ils ont accès, et en leur donnant une existence institutionnelle et scientifique que le seul statut de doctorant ne garantit qu’a minima. Les projets dont il est question ici autonomisent leurs membres, à la fois dans le sens de les responsabiliser, mais aussi dans le sens de leur faire intégrer d’autres espaces de recherches, parfois prisés. Dans un article récent[2] co-signé par Fanny Chabrol, les auteurs, tous impliqués dans le « réseau des jeunes chercheurs Santé et Société », expliquent comment ce réseau spécialisé est devenu un véritable acteur dans le domaine des sciences sociales de la santé.
Le bénéfice individuel à retirer de ce type de participation est donc multiple. Intégrer une équipe vient notamment rompre l’isolement du doctorant. Plus encore, s’impliquer dans un projet collectif de recherche permet de renforcer ses réseaux de connexions et d’information, aussi bien académiques qu’institutionnels (comme dans le cas des acteurs de santé publique proches du réseau coordonné un temps par Fanny Chabrol). Enfin, nos deux intervenantes rappellent que leur participation a également été l’occasion d’acquérir de nouvelles compétences. Ce point a d’ailleurs suscité un débat avec les auditeurs présents sur la reconnaissance de telles compétences (dans les domaines de la communication ou de la gestion de budget par exemple). Comme Fanny Chabrol le précise, ces éléments ne sont pas si facilement exploitables dans les dossiers de recrutement de MCF. Comment, alors, valoriser les compétences acquises tout en évitant de s’enfermer dans un profil d’accompagnateur de la recherche au détriment de celui de chercheur ? La question se pose selon l’orientation que l’on souhaite donner à la suite de sa carrière.
En tout état de cause, le temps du doctorat est un moment d’auto-formation. A plus d’un titre. Il appartient donc à chacun de faire des apprentissages permis par ces activités d’animation scientifique les leviers de l’élaboration d’une future candidature. La nature du projet est, de ce point de vue, déterminante.
La nature du projet et sa dimension thématique
Le débat qui a suivi les présentations a éclairé une profonde différence entre les deux récits rapportés. Fanny Chabrol a souligné l’importance du contexte de son engagement dans des activités d’animation scientifique : celui de son retour de terrain. Alors qu’elle revenait en France et se confrontait au matériel collecté, elle vit émerger des questions d’ordre méthodologique et conceptuel dont la mise en discussion lui paraissait nécessaire, ou du moins profitable. Elle a donc cherché à se mettre en relation avec d’autres jeunes chercheurs partageant ses questionnements. Tous travaillaient sur la question du VIH, à laquelle ils revendiquaient une certaine spécificité. Ici, le lien entre les acteurs du collectif est double (à la fois la temporalité du traitement des données au retour du terrain, et la particularité du sida comme objet) et surtout, il est directement issu de leurs recherches individuelles.
La démarche de Giada Danesi s’inscrit dans une trajectoire tout autre. Elle-même le reconnaît, l’un des plus grands défis à l’organisation des journées doctorales fut l’élaboration d’une problématique et d’un appel à contribution. En effet, les 150 doctorants de son institut travaillent sur des objets très différents, et avec des approches tout aussi variées. Qui plus est, aucun des membres responsables de l’organisation des JD n’était spécialiste de la question finalement posée (celle des crises), ce qui s’est avéré être une difficulté supplémentaire dans le montage d’un programme cohérent sur le plan scientifique. Le soutien obtenu d’Edgar Morin à leur projet tend à prouver que le défi a été largement relevé.
Dans le premier cas, de jeunes chercheurs promeuvent une forme de dialogue scientifique dont le contenu les intéresse au premier degré. Cette caractéristique les inscrit dans une durabilité de l’échange et donne du sens à la communauté de membres ainsi réunis, ce dont atteste par ailleurs le succès du réseau thématique. Dans le second cas, la dimension conjoncturelle de l’exercice n’en est pour autant pas moins fructueuse puisqu’elle conforte la place des doctorants comme membres actifs de leur institution, et qu’elle a également donné lieu à l’édition d’un guide des JD à l’attention des futurs organisateurs. Ce guide est le fruit d’une réflexion sur la capitalisation d’expériences passées et sur le besoin de former les doctorants à la gestion de tels événements.
D’autres témoignages nous auraient certainement apporté un éclairage encore différent sur ces activités d’animation scientifique. En effet, en premier lieu, ces activités apparaissent au prisme de la manière dont chacun s’approprie l’aventure. Dans le même temps, les récits de Fanny Chabrol et Giada Danesi ont largement dépassé le cas individuel. Les invariants de leurs propos nous montrent notamment que ces activités contribuent à façonner le parcours du doctorant qui y consacre une partie de son temps et de son énergie. Peut-être sans lui garantir plus de certitudes quant à son futur recrutement, mais de façon certaine en lui donnant une chance de s’exercer très concrètement à la recherche par la recherche, dans toutes ses dimensions. Une expérience utile donc, souvent valorisable, mais qui – rappelons-le – ne se substitue en aucune façon à l’objectif premier du doctorat : la rédaction d’une thèse.
[1] Ce qui apparaitra par exemple dans les recommandations adressées aux candidats au poste de maitre de conférences des sections 19 et 20.
[2] Marc Bessin, Fanny Chabrol, Janina Kehr et David Michels, « Le “Réseau des Jeunes Chercheurs Santé et Société” : un acteur des sciences sociales de la santé », Socio- logos. Revue de l’association française de sociologie [En ligne], 7 | 2012, mis en ligne le 10 juillet 2012, Consulté le 03 février 2013. URL : https://socio-logos.revues.org/2671
« Il observait les astres et, comme il avait les yeux au ciel, il tomba dans un puits. Une servante de Thrace, fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant qu’il s’évertuait à savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu’il ne prenait pas garde à ce qui était devant lui et à ses pieds1 »Une vingtaine de contrats doctoraux pour l’ensemble des inscriptions annuelles en thèse à l’EHESS (1 600 en 20122) : le déséquilibre du ratio illustre les difficultés économiques qui minent depuis quelques années le fonctionnement du monde de la recherche. Ce durcissement politique3 se concrétise pour les doctorants sous la forme de jobs à temps partiels (voire à temps plein), de l’obtention du RSA – sur dérogation exceptionnelle – et d’une prospection tous azimuts (bourses, allocations, conventions CIFRE, etc.). Si le fait de travailler parallèlement à la thèse n’est pas nouveau, les critères académiques exigés pour présenter un profil professionnel viable nécessitent de la part de l’étudiant un investissement en temps bien plus important que la seule conception et rédaction d’une thèse4. L’apprenti-chercheur actuel doit donc prendre garde à l’écueil : s’il entend poursuivre une carrière de chercheur, soutenir sa thèse avec brio ne suffit plus. Le véritable enjeu devient alors de dégager le temps que requièrent les expériences complémentaires (publication, animation scientifique, etc.). La coupe drastique des budgets de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur dont de nombreuses communications ont martelé les effets dévastateurs5 rend, dans ce contexte, la situation des doctorants particulièrement délicate. Ces derniers doivent ainsi trouver les moyens de vivre au jour le jour tout en essayant de remplir les nombreuses conditions qui accréditeraient leur ambition professionnelle en tant que chercheur.
Quand les apprentis-chercheurs sortent du bois…
Le faible quota de contrats doctoraux (proposés par les formations doctorales ou autres regroupements scientifiques tels que les LabEx ou PRES6) et la spécificité des thématiques des allocations doctorales régionales placent en effet les apprentis-chercheurs devant l’évidence : « trouve tes financements – quels qu’ils soient – ou abandonne la recherche ». Cette réduction massive du soutien financier public, dont l’impact se fait partout ressentir, présente néanmoins l’avantage de faire jour sur la valeur « grand public7 » accordée à l’activité de chercheur. A défaut de pouvoir bénéficier d’un mode de financement public – dont la défection actuelle est le fruit d’une politique critiquable mais sur laquelle le doctorant a peu de prises – le doctorant en sciences sociales, s’il désire poursuivre son objet de recherches, se doit d’imaginer lui-même d’autres soutiens financiers. C’est donc à des instances et organisations externes au monde de la recherche que la chasse aux financements va confronter l’apprenti-chercheur. A l’affût du moindre indice de financement possible, le jeune doctorant ne peut que s’interroger : qui, finalement, est prêt à payer pour la production d’un savoir en sciences sociales ? En dehors de l’Institution – garante d’une mission précieuse d’encouragement et de soutien à la recherche – quelle valeur accorde-t-on à la recherche ? Qu’est-ce qu’évoque l’idée de chercheur en anthropologie, en histoire, en philosophie pour les personnes lambda de la société, les patrons d’entreprises, les artisans, les salariés, etc. ?
En s’aventurant hors des sphères professionnelles habituelles de la Recherche, le doctorant doit souvent expliquer son activité « concrètement », décrire de quelle façon celle-ci se matérialise ainsi que la motivation effective d’une telle démarche (« à quoi cela sert-il ? »). Les doctorants qui entament leur huitième année d’étude et se battent chaque jour pour maintenir un équilibre financier précaire apparaissent aisément comme d’ « éternels étudiants », d’indécises personnes qui ne voudraient pas se frotter à la « vraie vie »8. Il serait aisé de gloser, pour tout chercheur en sciences sociales, sur les présupposés que contient l’expression « une vraie vie ». Il importe néanmoins davantage de convaincre et de changer de telles représentations que de démontrer les erreurs sur lesquelles reposent les clichés.
Or, combien de doctorants s’aventurent à présenter à un public de non-initiés l’ambition de leurs travaux ? Les années doctorales représentent pour un grand nombre d’apprentis-chercheurs une expérience éprouvante, marquée par la solitude et la dimension obsédante de l’activité de recherche, ces deux facettes s’encourageant l’une l’autre9. Que cette formation soit ardue n’est pas un mal en soi – il serait néanmoins regrettable que cette épreuve devienne synonyme de désarroi, colère ou découragement. Le doute, qui fait partie du parcours du chercheur, est particulièrement ravageur lorsque l’objet de la recherche et son intérêt ne sont pas partagés, ne sont pas discutés avec des personnes tierces. Que ce soit au détour d’une conversation entre amis, collègues, voisins, proches ou plus en profondeur, l’échange habitue le doctorant à synthétiser sa démarche, l’exerce à amener son interlocuteur à suivre le fil de sa pensée tout en encourageant, par l’imprévisible que comporte toute discussion, les possibilités de voir surgir des pistes encore impensées.
Le retranchement social des doctorants est d’autant plus surprenant que la motivation épistémologique des sciences sociales est toujours d’actualité. Sans verser dans le catastrophisme et tout en se méfiant de l’emphase prophétique de certains grands penseurs, de nombreux écrits10 ont souligné les dangers que comportent nombre de dynamiques actuelles – les bouleversements apportés par les nouvelles technologies, le nouveau rapport à l’espace/temps qu’elles induisent, l’ampleur sans précédent de leur application et la démultiplication de l’échelle entre le geste et la conséquence avivent des problématiques, telles que la répartition des ressources, l’organisation sociale et la transmission dans le temps, qui, si elles sont loin d’être nouvelles, n’en demeurent pas moins essentielles.
Le travail de mise en relief, particulièrement long que sous-tend l’activité de chercheur, est d’autant plus précieux que peu de sphères de la société occidentale contemporaine résistent encore à l’urgence du court terme. Le cloisonnement qui accompagne l’activité de recherche au niveau doctoral s’avère ainsi (éventuellement) nuisible pour l’équilibre des apprentis-chercheurs mais surtout regrettable pour la richesse potentielle que présentent leurs analyses aux yeux du grand public et le pouvoir intellectuellement stimulant de celles-ci.
La dimension concrète que requiert toute production
Perspective précieuse qu’apportent ainsi idéalement les sciences humaines et sociales – le seul hic étant le passage du potentiel au bel et bien réel… S’il est impossible de garantir la pertinence de toute production dite scientifique, il est en revanche possible de l’encourager. Il n’y a pas, en effet, de recherche gratuite ; et cette remarque vaut dans tous les sens du terme. Le sujet d’une thèse ne survient pas gratuitement mais contient ses propres raisons d’être : l’idée, l’orientation d’un travail découle d’une histoire personnelle, de stratégies et d’opportunités aperçues. De même, la production de celle-ci n’est pas gratuite : requérant matière et investissement, elle ne peut être exemptée d’une dimension économique. L’exercice intellectuel attendu, dans le cadre du doctorat, et notamment l’écriture de la thèse, nécessite ainsi de disposer d’un minimum de confort intellectuel et pratique. L’efficace de la démonstration déployée dans Une chambre à soi11 de Virginia Woolf tient à la déconstruction attentive des stratégies conscientes (ou non) de discrédit quant à cette préoccupation matérielle – habilement reléguée dans le cadre d’une activité intellectuelle ou artistique au rang de trivialité au regard de la vocation.
Or, ces préoccupations matérielles – manger, boire, dormir sous un toit, pouvoir s’asseoir à une table, avoir accès à de l’électricité, etc.- sont bien le préalable requis à toute dynamique de recherche. Ainsi, si les autorités publiques n’assurent plus ce soutien financier, il revient au doctorant de chercher lui-même, et finalement d’imaginer les voies par lesquelles il peut obtenir le confort intellectuel et pratique essentiel à cette entreprise – et il est important de préciser que l’accès à un cahier, ordinateur, bibliothèque, etc. fait partie de ce « confort », dans le sens où celui-ci est loin de constituer une priorité vitale, et loin d’être simplement garanti.
La valeur du savoir
Inviter l’apprenti-chercheur à prendre en main son propre financement amène à réfléchir sur le « bien » qu’il propose, sur ce qu’il est capable de produire et sur ce que cela sous-tend (temps, disponibilité d’esprit et matériel de travail). Préserver ces conditions de travail repose principalement sur l’adéquation budgétaire avec la durée que nécessite un travail de recherche et son rendu matériel – et dans la poursuite de cette démarche se pose la question de la facturation basique d’un tel travail… quels critères prendre en compte pour un devis de travail intellectuel ?
Si le temps long (laps de temps alloué à l’enquête mais aussi à l’élaboration du raisonnement) et la rigueur (transparence de la méthode, exactitude des données, explicitation des sources) sont au fondement de la production du savoir scientifique, ils supposent d’obtenir un tarif non pas fondé sur le nombre de signes mais sur la qualité de l’apport. L’opposition binaire quantité / qualité, très présente dans les schémas usuels du quotidien, suggère un raccourci trompeur. La mise en regard des termes engage en effet à prendre et l’une et l’autre comme des attributs arrêtés du produit. Or, contrairement à la quantité, comprise comme l’étendue physique d’un corps dans l’espace, la qualité n’existe pas par elle-même. La « qualité » d’un objet est le fruit d’un jugement, réalisé par une personne x et éprouvant la pertinence précisément circonstanciée de cet objet. C’est-à-dire que la notion de « qualité » résulte des caractéristiques internes de l’objet et de leur adéquation avec l’objectif ou l’effet attendu par cette personne – cette situation et attentes préexistantes détiennent une place fondamentale dans l’équation au terme de laquelle se décide la « qualité » de la production.
La qualité d’un objet, valeur résultant d’un jugement au moment t, peut donc être rejouée ultérieurement, ou encore discutée, calculée, etc., et surtout négociée. Encore faut-il être versé dans l’art de présenter son travail et savoir estimer l’intérêt que ses recherches peuvent présenter pour autrui.
Vendre son travail de recherche ?
L’impasse professionnelle à laquelle mène la formation doctorale dans les conditions actuelles des sciences sociales semble liée au cloisonnement propre à l’activité de chercheur. Si le retranchement intellectuel que suppose la réflexion innovante12 est une condition sine qua none de la production scientifique, celle-ci n’interdit pas de consacrer une partie de son temps à l’exercice de communication autour de l’activité de la recherche. Or, si le diplôme n’apporte aucune garantie de reconnaissance symbolique ou financière de la part de l’institution, on peut questionner l’absence d’enseignement et de discussions concernant cette fameuse aptitude à valoriser et savoir défendre cette activité. Le rapport de l’Académie des sciences sur l’Évolution des métiers de la recherche rédigé en 1994 suggérait de façon très ouverte d’introduire au sein de la formation doctorale des « cours de gestion »13. Sans détailler plus avant la teneur de ces cours, il est difficile de se prononcer sur la pertinence d’une telle proposition. Néanmoins, la suggestion cible une déficience toujours actuelle qui est l’absence d’enseignement concernant la dimension pratique de l’activité de chercheur, avec ses caractéristiques juridiques, ses démarches spécifiques (élaboration de budgets, rapports, devis, etc.), etc. L’organisation de tels enseignements ou ateliers au niveau des institutions, invitant le doctorant à travailler ces différentes facettes, paraît peu probable en un moment de coupes budgétaires, tant l’aval des différentes hiérarchies nécessiterait de rapports, commissions, réunions, etc., sans compter les débats que susciterait l’attribution de fonds à une telle initiative.
Les apprentis-chercheurs, en tant qu’individus, disposent alors de davantage de marge de manœuvre ; à la fois maillons de la chaîne et principaux intéressés puisque se jouent dans ces enjeux leurs perspectives d’avenir, les doctorants peuvent, dans un dialogue avec les multiples interlocuteurs qui composent les universités, les UFR et laboratoires de recherche réfléchir à la mise en place d’un tel partage d’expériences et réflexions. Dans cette optique, et à défaut d’enseignements plus construits, un premier pas serait de réfléchir à la valeur de sa propre recherche, de s’exercer à la négociation et de se confronter à l’argumentation vivante, en acceptant notamment d’en découdre avec le « grand public ». Cette démarche, qui repose sur le faire individuel et collectif, peut venir consolider, nourrir, et diversifier les espaces de réflexions et de dialogues déjà existants autour de l’enjeu du savoir en sciences sociales et auxquels les jeunes chercheurs sont nécessairement confrontés, tant le parcours académique devient laborieux. Il ne s’agit alors pas tant de savoir « se vendre » que de comprendre soi-même la valeur de son travail et de se donner les moyens de le poursuivre lorsque les politiques publiques offrent peu de soutien à la recherche en sciences sociales.
NOTES
[1] Platon, Théétète [174 a] – anecdote « racontée » par Socrate à Théodore au sujet de la vie de l’astrologue et physicien Thalès
[2] Eric Wittersheim, chargé de mission Vie Étudiante de l’EHESS, lors de la journée d’accueil de l’Ecole, le 16 octobre 2012.
[3] La Loi sur les Réformes Universitaires, passée en 2007, qui transforme radicalement le système de gestion des universités et établissements d’enseignement supérieur, et la diminution des subventions publiques participent d’une même dynamique politique, qui est une réponse, parmi d’autres possibles, au contexte économique et à la mise en regard mondiale des établissement d’enseignement supérieur.
[4] Concernant ces expériences attendues en parallèle à la thèse – peu évoqués par l’institution et néanmoins nécessaires pour tout avenir professionnel dans le monde de la recherche – comme l’enseignement, les publications, les participations aux journées d’études, l’animation de programme scientifique, etc., on peut se rapporter aux différentes séances du séminaire des Aspects concrets de la thèse. https://act.hypotheses.org
[5] Les Assises nationales de la Recherche, qui se sont déroulées en novembre 2012, ont fait l’objet d’un large traitement médiatique relayant les défis impossibles auxquels se heurtent aujourd’hui les institutions de la recherche française.
https://sciences.blogs.liberation.fr/home/2011/01/la-recherche-fran%C3%A7aise-en-chiffres-ost.html
[6] Les LabEx (Laboratoire d’Excellence) sont les équipes de recherche ayant remporté l’appel d’offre organisé en 2012 par le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement et et disposant d’une subvention publique pour l’axe de recherche présenté par l’équipe. Les PRES sont les Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur, qui disposent également d’un soutien financier de la part de l’Etat concernant l’objectif qu’ils ont déterminé et pour lequel ils ont obtenu le statut de PRES.
[7] Cette valeur « grand public » n’est une qu’en ce que nous la distinguons des représentations propres aux chercheurs sur leur activité. Ce groupement « grand public » permet simplement de poser une valeur « grand public » par rapport à une valeur propre aux chercheurs, tout en sachant pertinemment que chaque groupe rassemble des voix très hétérogènes. Loin d’être monolithique, cette valeur « grand public » correspond à la multiplicité des représentations concernant « la recherche », que produisent et projettent les instances (individus, organisations, etc.) extérieures au monde de la recherche et auxquelles le chercheur n’est pas toujours directement confronté.
[8] En 2012, L. Grandin, patron d’une d’entreprise de près de 50 salariés faisait la distinction entre le secteur privé et ses acteurs, confrontés chaque jour à la « vraie vie » et les étudiants, militants et fonctionnaires, qui, n’étant pas confrontés aux enjeux du « monde réel » restaient dans une sphère « idéaliste ». Par ce type de discours transparaît une conviction assez répandue dans le secteur privé : la concurrence permet de se faire une représentation plus « juste » des rapports humains, et par conséquent de percevoir un niveau de « réalité » supérieur à ce que peuvent se représenter les personnes ne travaillant pas au sein d’une entreprise. (Entretien du 14 septembre 2012 réalisé par Manon Denoun)
[9] Plusieurs blogs relatent au travers de dessins, croquis et vidéos des événements caractéristiques et déconcertants, irritants ou invraisemblables qu’entraînent les recherches intensives lors du doctorat, comme par exemple : https://cielmondoctorat.tumblr.com. La presse, régulièrement, insiste sur le gâchis de ces profils « bac+8 », « bac+ 10 » croulant sous le travail ou sans travail. (cf https://www.courrierinternational.com/article/2011/03/10/faut-il-vraiment-faire-un-doctorat). Enfin, les recherches de Pascale Haag sur la qualité de vie des doctorants mettent en lumière le haut niveau de stress que suscite l’activité de recherches doctorales. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/74/51/83/PDF/Haag_Pascale_-_Anxiete-trait_stress_percu_et_symptomes_somatiques_chez_les_doctorants.pdf (recherche en cours consultable également sur le site des Aspects concrets de la thèse à l’adresse suivante : https://act.hypotheses.org/2257)
[10] Je pense entre autres à ces quelques ouvrages :
Jean Baudrillard, Le crime parfait, Ed. Gallilée, Paris 1995
Jean-François Lyotard, L’Inhumain : causeries sur le temps, Ed. Galillée, Paris, 1988
Paul Virilio, Le grand accélérateur, Ed. Galillée, Paris, 2010
Michel de Certeau, L’invention du quotidien, coll. « Folio/Essais », Ed. Gallimard, 1990
Mark Poster, Information Please, Culture and Politics in the Age of Digital Machine, Duke University Press, Durham and London, 2006
[11] Le recueil Une chambre à soi, de Virginia Woolf, publié en 1929, regroupe différentes conférences et publications concernant l’activité intellectuelle, les conditions matérielles et la légitimité publique – enjeux majeurs et relativement récurrents, qui à cette époque, étaient particulièrement travaillés par l’inégalité entre les sexes et les rapports de genre. En s’appuyant notamment sur la trajectoire fictionnelle qu’aurait connue la sœur de Shakespeare s’il en avait eu une, Woolf met en évidence ce que le « génie » nécessite pour pouvoir s’épanouir : si Shakespeare avait eu une sœur incroyablement talentueuse en termes d’esprit, elle n’aurait vraisemblablement pas pu le mettre à profit ni même l’exprimer au sein de la société anglaise élisabéthaine.
[12] Sur l’événement qu’est le surgissement de la pensée impensée on peut lire notamment l’ouvrage de Jean Baudrillard, Le paroxyste indifférent, Ed. Grasset, Paris, 1997
[13] Évolution des métiers de la recherche, rapport commun n°3, mai 1994 Académie des sciences, comité des applications de l’académie des sciences (CADAS), mémo et conclusion, p. X.

