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]]> https://aca.hypotheses.org/318/feed 0 Journée d’études du 2 décembre 2016 https://aca.hypotheses.org/297 https://aca.hypotheses.org/297#respond Thu, 24 Nov 2016 15:38:58 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=297 Programme de la journée d’études

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Introduction à la journée d’étude du 11 décembre 2015 (3/3) https://aca.hypotheses.org/251 https://aca.hypotheses.org/251#respond Wed, 06 Jan 2016 09:57:47 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=251 Continuer la lecture ]]>
  • Une chronologie
  • L’appel comme d’abus n’est pas un objet qui, né au XVe siècle, serait resté inchangé jusqu’à la Révolution française. Il évolue et change de signification comme de forme suivant les contextes politiques et religieux. D’où la nécessité de faire de l’appel comme d’abus un objet d’histoire et de poser la question de la chronologie. Ce travail paraît d’autant plus nécessaire que l’appel comme d’abus est aussi une construction historiographique. En effet, il existe ce qu’on pourrait appeler une « mythologie » de l’appel comme d’abus.

    D’une part, il existe une légende noire de l’appel comme d’abus. C’est assez net si on étudie le regard que certains historiens — plus particulièrement d’ailleurs ceux qui travaillent sur la construction de l’État — ont porté sur l’appel comme d’abus. Ainsi, François-Olivier Martin par exemple qui, dans son Histoire du droit français. Des origines à la Révolution (1948), écrit (p. 482) :

    « Au XVIIe siècle, l’emploi systématique de l’appel comme d’abus par les moines relâchés retarda beaucoup la réforme monastique que souhaitaient les bons esprits du temps ; il fut encore utilisé avec succès par des clercs indignes pour échapper à la juridiction disciplinaire de leur officialité. » Et plus loin de compléter : « Les passions humaines font qu’il est difficile de délimiter les frontières les plus nécessaires, dont le respect assurerait pourtant la paix intérieure. »

    L’appel comme d’abus est présenté ici comme un moyen pour les religieux « déformés » et pour les clercs « indisciplinés » de s’opposer à l’autorité de leurs supérieurs, un moyen de ne pas obéir, de contester. Cette forme d’utilisation de l’appel comme d’abus serait aux yeux de l’historien du droit doublement condamnable puisqu’elle constituerait une entrave à la fois à la réforme des ordres religieux — présentée ici comme un progrès incontestable — et au disciplinamento post-tridentin. Faut-il souligner qu’il existe un glissement du « mauvais moine » au « mauvais appel comme d’abus », comme si le recours à l’appel comme d’abus par des sujets indignes entachait la procédure elle-même ?

    Dans cette tradition, l’appel comme d’abus est perçu comme un élément perturbateur de l’ordre et de la paix. Michel Antoine l’exprime, à sa manière, dans les quelques lignes qu’il consacre à la question : « C’est ainsi qu’une procédure conçue initialement pour protéger la puissance temporelle des empiétements de la puissance spirituelle pouvait être dévoyée et aboutir, au contraire, à une tentative d’asservissement de l’Église par le pouvoir civil, génératrice de troubles très graves en différents diocèses et même dans tout le royaume » (Louis XV, p. 257-258).

    Selon cette vision traditionnelle, à un âge d’or de l’appel comme d’abus à la fin du Moyen Âge qui aurait protégé la monarchie et serait pour ainsi dire une des conditions de la genèse de l’État moderne, aurait succédé une période « d’asservissement de l’Église par le pouvoir civil », une période de « dévoiement » avec une utilisation pour ainsi dire contre-nature de l’appel comme d’abus. Ainsi, le XVIIIe siècle aurait rompu l’équilibre entre les deux puissances par un usage abusif de l’appel comme d’abus.

    D’autre part, il existe une forme de légende rose de l’appel comme d’abus dont Robert Génestal est un représentant : en effet, dans son livre sur les origines de l’appel comme d’abus, cet historien présente ce recours comme une procédure mise en place pour protéger le pouvoir temporel des empiétements du pouvoir spirituel, dans le contexte précis de l’entrée en application des décrets de la Pragmatique sanction de Bourges. Suivant cette analyse, l’appel comme d’abus aurait permis au XVe siècle de remettre de l’ordre là où l’Église avait semé le désordre.

    Il semble bien que cette mythologie commence à se construire dès l’époque moderne, peut-être même avant — un point que les médiévistes du séminaire viendront probablement préciser. Pour la période moderne, celle que nous connaissons pour le moment un peu mieux, de quand datent ces discours qui glorifient ou condamnent l’appel comme d’abus ? Faut-il remonter au tournant des XVIe et XVIIe siècles, et à la publication des Libertés de l’Église gallicane ? Ou alors commencer à partir du milieu du XVIIe siècle et de la lutte des religieuses de Port-Royal ?

    Tout dépend en réalité de la finalité dans laquelle s’inscrit la réflexion sur l’appel comme d’abus : si l’on prend le cas des jansénistes par exemple, il existe tout un courant, qui commence en effet avec les religieuses de Port-Royal et se poursuit au XVIIIe siècle, selon lequel l’appel comme d’abus serait une arme de résistance contre les abus du pouvoir, qu’il soit royal ou romain.

    Il existe aussi, tant chez les juristes d’Ancien Régime que dans l’ouvrage de Genestal, un mythe des origines :

    Dans les textes des juristes gallicans, du XVIe au XVIIIe siècle, l’un des arguments en faveur de l’appel comme d’abus est ce qu’on pourrait appeler « l’argument passéiste » ; le passé est systématiquement employé par les défenseurs des « libertés de l’Église gallicane » dont le roi serait le gardien, le garant. Dans la plupart des textes (Févret, Jousse, Durand de Maillane), est proposée une généalogie de l’appel comme d’abus.

    La relecture de Robert Génestal fut assez décevante, car la question des origines n’y est pas vraiment résolue ; Génestal s’interroge plutôt sur la pré-histoire de l’appel comme d’abus, c’est-à-dire les deux procédures au fondement de l’appel comme d’abus. Pour paraphraser un célèbre article, il nous est apparu que la question des origines était une question mal posée. Mal posée, parce que la procédure est avant tout née de la pratique ; c’est ensuite que les juristes comme Févret (et les théologiens comme Edmond Richer) s’efforcent de la théoriser ; pour le dire autrement, « l’appel comme d’abus est donc une création jurisprudentielle » (Emmanuel Leprohon). À partir de là, la question des origines, qui consisterait à rechercher le premier cas, ne nous semble pas la démarche la plus féconde.

    Cette idée d’une mythologie de l’appel comme d’abus qui se construit au fil des siècles amène bien sûr à poser la question de la chronologie.

    Quelles sont les évolutions qui se dessinent progressivement ?

    Au sein d’une évolution qui n’est pas linéaire, nous avons mis en lumière des temps forts, des moments, autour desquels l’appel comme d’abus devient un enjeu essentiel :

    • Le XVe siècle, autour de la pragmatique sanction. Pour Edmond Richer par exemple c’est à ce moment-là que l’appel comme d’abus a pris la forme déterminée qu’on lui connaît ensuite. Richer cite in extenso un arrêt du 19 avril 1496 rendu au sujet de la dignité de chambrier de Saint-Jean de Lyon, dans lequel les chanoines de Lyon sont qualifiés d’appelants comme d’abus.
    • Au XVIe siècle, deux logiques à l’oeuvre impliquent l’appel comme d’abus.D’un côté, le renforcement du pouvoir royal avec notamment, face au protestantisme, la prise en charge de questions religieuses par la justice royale ; de l’autre côté, le concile de Trente et le débat sur sa réception en France tout en préservant les libertés de l’Église gallicane ; d’où la configuration originale aux États généraux de la Ligue en 1593 : parmi les raisons qui motivent le refus de recevoir les décrets du concile, figure le droit de faire juger les ecclésiastiques français en France, soit par la justice religieuse, soit par la justice royale ; la procédure d’appel comme d’abus, en cas d’excommunication est notamment citée.
    • Dans les années 1620, de nouveaux enjeux apparaissent : la querelle des réguliers, l’affaire d’Angers en 1623, le traité manuscrit d’Edmond Richer, l’édit royal de 1625 (non enregistré) illustrent cette actualité. Semble alors se mettre en place une configuration appelée à rejouer au siècle suivant. La question du contrôle séculier sur les procédures d’excommunication recoupe en effet l’opposition de deux conceptions de l’Église, l’une plus hiérarchique, l’autre plus presbytérienne.
    • L’édit de 1695, dans un contexte de rapprochement entre Louis XIV et l’épiscopat, confirme l’appel comme d’abus et donc le rôle régulateur des Parlements tout en limitant le recours à cette procédure (forte amende pour l’appelant si recours à tort). Cet édit aurait été promulgué pour répondre à la demande récurrente, tout au long du XVIIe siècle, du haut clergé qui perçoit bien l’extension, à son détriment, des domaines concernés par l’appel comme d’abus.
    • Dans les années 1730, l’appel comme d’abus intervient dans le conflit entre les parlements et la monarchie. L’une des origines de cette crise est l’ordonnance de 1730 par laquelle la bulle Unigenitus devient « loi de l’Église et de l’État », ordonnance dont l’enregistrement est imposé au Parlement par un lit de justice ; cette décision provoque une crise aux nombreuses ramifications. Ainsi, dans « l’affaire des 40 avocats », la défense de l’appel comme d’abus est centrale ; en dépit de la condamnation du factum écrit par les 40 avocats, le parlement reprend à son compte l’argumentation en publiant la Déclaration des Quatre Articles du 7 septembre 1731 ; le texte est lui aussi condamné par le Conseil du roi qui le déclare « nul et sans effet » dans une déclaration du 8 septembre 1731 qui impose au parlement le silence en matière de religion. En dépit de cette interdiction, le parlement déclare abusif un mandement de l’archevêque de Paris. Après de nouvelles péripéties, le Parlement adresse des remontrances le 4 août 1732 sur « l’état du parlement » ; or la défense de l’appel comme d’abus est au coeur de ces remontrances comme en témoigne cet extrait : « un remède si ancien, si nécessaire […] en faveur de ceux qui étaient opprimés – sic – par les ministres de l’Église, remède plus connu de nos jours sous le titre d’appel comme d’abus, mais qui a été en vigueur de tous les temps et dont les plus religieux de nos rois ont toujours maintenu l’usage et reconnu la nécessité » (Flammermont, p. 278).

    Manifestement, la monarchie est peu sensible à cette défense de l’appel comme d’abus puisque la déclaration royale du 18 août 1732 restreint considérablement l’intervention des parlements dans les causes d’appel : en effet, ces appels ne pourraient plus être instruits que sur le réquisitoire du parquet ou du premier président et « ce à la Grand’Chambre seulement », ce qui revient à exclure les magistrats de la chambre des enquêtes et des requêtes (les plus revendicatifs) de la connaissance de telle cause.

    Cette crise des années 1730 révèle que l’appel comme d’abus devient une arme utilisée par les jansénisants et les parlements pour soumettre l’Église. La crise reprendra d’ailleurs dans les années 1750, avec pour enjeu l’administration des sacrements. C’est principalement sur cette période finale, essentielle pour comprendre la logique de l’appel comme d’abus, que porteront nos échanges d’aujourd’hui.

     

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    Introduction à la journée d’étude du 11 décembre 2015 (2/3) https://aca.hypotheses.org/249 https://aca.hypotheses.org/249#respond Tue, 05 Jan 2016 09:35:57 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=249 Continuer la lecture ]]>
  • Typologie ?
  • « Il est impossible, en effet, d’entrer dans le détail des cas d’abus, c’est une hydre qui a autant de têtes qu’il y a de manières de ne pas bien user de son pouvoir » (Rousseaud de la Combe, Recueil de jurisprudence canonique et bénéficiale, tome 1, Paris, 1755, p. 12) ; l’image de l’hydre dont les têtes repoussent à mesure qu’on les coupe se trouve déjà sous la plume de Févret, en 1654. De Févret à Durand de Maillane, en passant par Rousseaud de la Combe et Jousse, tous les théoriciens semblent courir après l’abus pour le définir.

    C’est pourquoi quand les juristes veulent entrer dans le détail de l’appel comme d’abus, ils ne semblent pas avoir d’autres choix que le recours à des cas concrets. Il apparaît donc nécessaire de partir d’études de cas plutôt que des définitions générales que l’on trouve sous leur plume, et qui sont loin d’épuiser la totalité des appels comme d’abus. Parmi les questions à se poser pour dresser une typologie, on peut en distinguer au moins trois :

    1ère question : Qui fait appel ?

    Les exemples abordés en séminaire autant que la bibliographie disponible révèlent la diversité des appelants. L’appel comme d’abus peut tout autant émaner d’un corps que d’un individu, d’un laïc que d’un clerc, d’un protestant que d’un catholique, d’un évêque que d’un simple curé ou d’un moine.

    Si les appelants les plus couramment rencontrés sont des communautés régulières ou des clercs séculiers, certains exemples sont plus inattendus. Ainsi, il arrive que des laïcs saisissent le parlement, soit pour faire lever des censures qu’ils jugent indues (affaire Leschassier étudiée par Thierry Amalou, cas d’excommunication étudiés par Hicham Elmoujahid), soit, semble-t-il, par pur anticléricalisme (Henry Barjot contre les statuts synodaux de son évêque).

    De même, les protestants aussi peuvent y avoir recours. On sait par exemple que la chambre de l’édit de Castres, créée en 1579, étudiée par Stéphane Capot, pouvait recevoir des appels comme d’abus ; ces appels concernaient en priorité les sentences d’officialités et les contentieux impliquant les réformés, mais l’usage semble en avoir été élargi sous le régime de l’édit de Nantes : ainsi, en 1615-1616, en pleine période d’affrontements militaires entre les réformés et le pouvoir royal, un conflit interne à la communauté protestante — un membre du consistoire s’oppose à deux pasteurs — est porté devant le Parlement, dans un contexte de concurrence entre ce Parlement et la chambre de l’édit de Castres.

    Enfin, si les évêques et leur officialité sont les premiers à être remis en cause par les appels comme d’abus, il arrive aussi qu’ils répliquent en y recourant, de manière défensive en quelque sorte.

    2e question : Au nom de quoi fait-on appel ?

    Tout est une question de point de vue.

     Pour les juristes

    Puisque les lois ne définissent pas le contenu de l’appel comme d’abus, les juristes cherchent à combler ce vide en invoquant les libertés de l’Église gallicane. Ils se réfèrent le plus souvent, comme Durand de Maillane, aux « quatre piliers sur lesquels est fondé l’appel comme d’abus, la contravention aux saints décrets, aux ordonnances royaux, aux arrêts du parlement et l’entreprise de juridiction sur la séculière » ; autrement dit, pour élaborer leur typologie, les théoriciens du droit reviennent à ce qu’ils considèrent comme la source, c’est-à-dire aux Libertés de l’Eglise gallicane formulées par Pierre Pithou, et plus précisément à la 79e maxime. En l’absence de texte législatif qui définirait précisément le domaine de compétence de l’appel comme d’abus, l’article 79 devient en effet le texte à partir duquel les juristes fondent la légitimité d’un appel comme d’abus.

    Pour les religieux

    L’argumentation des ordres réguliers est souvent plus complexe car elle repose, au départ, sur un paradoxe : en théorie il est strictement interdit, pour les religieux, de faire appel en dehors de l’Ordre, et donc l’appel comme d’abus ne peut exister. Pourtant, on assiste à l’époque moderne à un mouvement général qui tend à faire des religieux des sujets comme les autres, qui peuvent faire appel à la justice du roi. C’est non seulement une volonté manifeste du pouvoir royal — et on comprend bien pourquoi ; mais c’est aussi une volonté d’un certain nombre de religieux qui comprennent l’intérêt qu’ils peuvent avoir à se saisir de l’appel comme d’abus.

    Il en résulte que les religieux peuvent jouer sur le pluralisme juridique pour parvenir à leurs fins. Les études précises présentées lors du séminaire, qu’il s’agisse des récollets au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, ou des dominicains ou cisterciens du XVIIe siècle, ont montré que les religieux savaient jouer sur la vaste palette de normes dont ils disposaient et qu’ils savaient, quand surgissait un conflit, invoquer un droit plutôt qu’un autre. Ainsi par exemple, les récollets recourent à l’appel comme d’abus pour régler des conflits strictement internes à l’ordre ; mais surtout, certains frères vont jusqu’à saisir le procureur général du parlement pour dénoncer des statuts qui leur interdisent d’interjeter appel comme d’abus.

    Chez les dominicains et les cisterciens du XVIIe siècle, le conflit porte plus précisément sur la question de la réforme. En entrant dans le détail de ces affaires, on se rend compte que l’appel comme d’abus peut être aussi bien utilisé pour défendre la réforme que pour s’y opposer : c’est notamment ce que Bertrand Marceau a bien mis en lumière quand il a présenté le cas des cisterciens français du XVIIe siècle.

     

    Pour les séculiers

    Sans être systématique, l’appel est fréquent parmi les clercs séculiers condamnés pour mauvaise conduite par leur officialité. Ce qu’ils invoquent (ou ce que leur procureur invoque en leur nom) ce sont des vices de procédure. Ils retiennent l’appel plutôt que l’abus, et espèrent surtout gagner du temps (voire obtenir une sentence plus légère ) bien que l’appel ne suspende pas l’exécution de la sentence dans ce type de situation.

     

    3e question : Appel pour s’opposer, pour résister ; à qui ?

    • s’opposer à son évêque

    Les conflits entre chapitres cathédraux et évêque utilisent fréquemment cette voie. Il en va ainsi à Angers dans les années 1620 : Charles Miron, évêque d’Angers, en conflit avec son chapitre, excommunie son premier archidiacre, lequel, soutenu par le chapitre cathédral, interjette appel comme d’abus au parlement de Paris ; la cour lui donne raison et saisit le temporel de l’évêque ; l’évêque adresse une requête au Roi contre les entreprises des parlementaires sur la juridiction ecclésiastique et prononce une deuxième sentence contre l’archidiacre ; le Parlement casse ces deux décisions et considère cette seconde censure comme une grave atteinte à ses prérogatives juridictionnelles.

     

    • s’opposer au supérieur de son ordre

    C’est parfois le cas des dominicains étudiés par Ninon Maillard, qui a présenté le cas de l’opposition du couvent de Rouen au milieu du XVIIe siècle au Maître général. Ce couvent appartient à une province non réformée de l’Ordre ; or, une patente du Maître général impose comme prieur un religieux réformé de la congrégation de Bretagne. Comme les religieux du couvent ne veulent pas de la réforme et qu’ils ne peuvent pas former un recours interne puisque la patente vient du Maître général, ils ont recours à l’appel comme d’abus. Point intéressant : les religieux se fondent sur le principe de l’élection libre du prieur, principe validé dans les statuts approuvés par le roi. Les religieux rouennais agitent donc le spectre du Maître général étranger pour échapper à la réforme.

     

    • s’opposer à l’étranger

    Les ordres religieux, bien que dirigés depuis l’extérieur du royaume, doivent reconnaître la justice royale. Il existe donc une tension, qui va crescendo, entre les statuts des ordres religieux qui pour la plupart interdisent de faire appel à la justice séculière, et les lois du royaume selon lesquelles tout sujet — y compris un religieux — doit pouvoir faire appel à la justice du roi .

    Au fil des XVIIe-XVIIIe siècles, l’idée s’impose que le moine est un sujet comme un autre ; c’est ainsi que le parlement parvient à la fin du XVIIe siècle à imposer aux récollets de rédiger de nouveaux statuts en leur donnant une empreinte gallicane certaine. À cette occasion, le premier président du Parlement, Achille III de Harlay écrit en 1698 : « Il ne doit pas estre permis a des Religieux françois d’avoir de tels statuts dans le royaume comme une nation particuliere et separée de ses autres sujets qui ne recognoist plus la justice de Sa Majesté. »

    De ces trois questions, il ressort que l’appel comme d’abus peut émaner de personnes extrêmement différentes et défendre des causes tout aussi variées. C’est l’un des éléments qui permettent de comprendre pourquoi l’appel comme d’abus est avant tout un outil, un moyen et jamais une fin. Malléable, cet outil a été employé dans toutes sortes de cas, qu’il s’agisse du passage à la réforme de son ordre ou de l’opposition à cette réforme, de défense des privilèges ou d’immunités, et, aux XVIIe et XVIIIe siècle, de jansénisme ou d’anti-jansénisme. Cet outil peut s’insérer dans un processus de négociation ou même servir à l’ouverture de négociations. Pour les séculiers, il permet de résister face à une condamnation de son évêque. Mais dans ce type de situation, plusieurs thèses soutenues récemment l’ont montré, l’appel comme d’abus est un moyen parmi d’autres, qui fait partie d’une panoplie déployée par les procureurs, principalement dans le but de gagner du temps (appel au métropolitain, recours au Saint-Siège, appel comme d’abus).

    Par ailleurs, derrière les corps qui agissent (une communauté religieuse, un parlement) se trouvent des individus avec leurs intérêts et leurs réseaux. De plus, si les juristes comme Févret ou les théologiens comme Richer postulent la continuité de l’histoire et l’ancienneté de l’appel comme d’abus, les historiens que nous sommes savent bien que le concile de Bâle n’est pas le concile de Trente, que le Parlement du temps de Louis XV n’est pas celui de l’époque de Henri III, et que le Parlement de Flandre n’est pas celui de Paris.

    Sous les mots et entités récurrents, l’Église gallicane, le roi, le parlement, le clergé, le concile et la papauté, nous nous efforçons donc de débusquer des contextes particuliers qui permettent d’expliquer les différentes configurations qui se succèdent.

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    Introduction à la journée d’étude du 11 décembre 2015 (1/3) https://aca.hypotheses.org/246 https://aca.hypotheses.org/246#respond Mon, 04 Jan 2016 15:06:24 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=246 Continuer la lecture ]]> L’Appel comme d’abus : enjeux politiques et ecclésiologiques

    Au point de départ de cette recherche, nous souhaitions travailler sur les rapports entre le clergé, le politique et le judiciaire ; notre projet portait sur les conflits de juridiction entre justices séculières et justices ecclésiastiques — des conflits que, l’une comme l’autre, nous avions rencontrés lors de nos recherches. Les sources des officialités révèlent en effet, au XVIIe siècle, la fréquence de l’appel de leurs sentences auprès de la justice royale. L’étude des réguliers montre aussi qu’une partie des religieux n’hésite pas à s’en remettre à la justice du roi pour régler des problèmes internes à l’Ordre. Assez rapidement, au fil de nos discussions et de nos échanges, l’appel comme d’abus nous a semblé pouvoir constituer un prisme intéressant pour étudier plus précisément ces relations et ces conflits.

    Nous avons donc au départ envisagé ce sujet comme un laboratoire pour analyser sur le long terme une évolution globale : le transfert de compétences des justices ecclésiastiques aux justices séculières, dans le cadre d’une lutte séculaire du roi pour l’affirmation de son propre pouvoir à la fois contre les seigneurs et contre Rome. Dans ce mouvement de fond, l’appel comme d’abus semblait constituer une porte d’entrée pour approcher de plus près ce transfert de compétences.

    Mais le fil que nous avons déroulé depuis un an nous a conduit sinon à remettre en cause cette première approche, du moins à la nuancer sérieusement, à la compléter, à la moduler. En effet, s’il existe indéniablement des constantes dans l’appel comme d’abus, des enjeux qui réapparaissent à différents moments, le travail accompli depuis une année a également mis en évidence des évolutions, voire des basculements : l’appel comme d’abus utilisé par les jansénistes du XVIIIe siècle n’a plus exactement le même sens que celui défendu à la fin du XVe siècle par le parlement et le pouvoir royal.

    À l’issue d’une année de séminaire, voici les enseignements et questionnements tirés de cette première année de travail commun, qui constitueront le point de départ de la présente journée.

    1. La définition des termes :

    Dans ce premier essai de définition, deux éléments inextricables méritent d’être soulignés : la qualification d’abus et la délimitation des compétences. En effet, la qualification d’abus est au coeur de l’appel. En principe, le juge ne traite pas le fond mais statue sur l’existence ou non d’un abus. D’ailleurs, quand Charles Févret écrit son ouvrage sur l’appel comme d’abus, en 1654, le titre est éloquent : Traité de l’Abus. Du vrai sujet des appellations qualifiées du nom d’abus. L’enjeu porte bien sur la qualification d’un type d’appel particulier : l’abus. Rien d’étonnant à ce que les premiers mots de l’ouvrage de Févret soient consacrés à cette définition minimale de l’abus : « Abuser de quelque chose, c’est en user autrement que l’on ne doit ou l’employer à un autre usage qu’à celui auquel elle est destinée ».

    Ainsi, l’abus de justice se définit comme un « mauvais usage d’un droit que l’on possède ». La première question qui se pose, pour chaque cas, est donc de savoir si l’ecclésiastique qui a prononcé une sentence, avait le droit de le faire ou bien s’il a commis un abus, c’est-à-dire fait un mauvais usage de sa juridiction.

    Le second point de la définition qui mérite d’être souligné porte sur la question de la délimitation des compétences. En effet, l’appel comme d’abus est défini habituellement comme la « plainte contre un juge ecclésiastique accusé d’avoir excédé ses pouvoirs » (B. Barbiche) ou le « recours contre un abus de pouvoir commis par une autorité ecclésiastique qui empiète sur la juridiction royale » (M. Marion). Cette question de la délimitation est, par exemple, au c?ur d’une affaire qui se déroule à Tournai entre 1662 et 1675, l’affaire Martigny, analysée par Véronique Demars-Sion. Cette affaire qui part d’une promesse de mariage non tenue a pour enjeu la question de la compétence des juges d’Église en matière de défloration. Le parlement de Paris, devant lequel est porté le cas, juge donc le droit de l’officialité de se prononcer sur cette matière et non la sentence rendue par l’officialité. L’affaire est d’autant plus complexe qu’elle se déroule en Flandres et que s’y affrontent, au moment du changement de souveraineté, deux traditions juridiques. Cela attire notre attention sur une nécessité qui s’est imposée rapidement lors du défrichage de la question : aller voir ce qui se passe ailleurs, et comparer l’appel comme d’abus à d’autres procédures comparables à l’extérieur du royaume de France, comme le recursus ad principem dans les Pays-Bas et l’Empire.

    La question de la délimitation est présente également dans de nombreux appels interjetés par des curés délinquants condamnés par l’officialité. On sait en effet que les cas graves d’infraction au célibat ecclésiastique, par exemple, sont dits « privilégiés », c’est-à-dire que l’information doit être menée conjointement par l’officialité et la justice séculière. Or il est assez courant que la motivation de ces curés repose précisément sur le fait qu’ils ont été uniquement examinés par un juge d’Église, alors qu’ils prétendent que leur cas est privilégié. On notera au passage que cette manoeuvre des curés, destinée à gagner du temps, est pour le moins paradoxale, car la justice séculière est en règle générale beaucoup plus sévère que la justice ecclésiastique, laquelle recherche la pénitence plus que la punition.

    Bien que fondamentale, cette question de la délimitation n’épuise pourtant pas entièrement le sujet. Peut-être est-ce faire fausse route que d’interpréter exclusivement l’appel comme d’abus en terme de conflit de compétence. Évidemment, nombre de conflits entre juridictions s’articulent et se manifestent par des appels comme d’abus, mais l’appel est utilisé plus largement que cette définition ne l’indique. Et surtout, parce qu’il ne concerne pas seulement la juridiction contentieuse, mais aussi la juridiction ecclésiastique volontaire, il ne recouvre pas toujours un conflit de compétence entre deux justices, mais tend à devenir, plus largement, un recours, un moyen de résister à l’autorité. Ainsi, lorsque l’appel comme d’abus est utilisé pour mettre en cause des excommunications abusives, la justice temporelle contraint les clercs à revenir sur une sentence spirituelle, ce qui cache un enjeu plus vaste en réalité : celui du contrôle séculier sur les procédures d’excommunication.

    L’appel comme d’abus nous apparaît donc comme une procédure, c’est-à-dire qu’il ne définit pas un contenu et n’est pas défini par des lois ; les juristes de l’Ancien Régime en ont d’ailleurs pleinement conscience ; en 1783, dans leur article « appel comme d’abus », Camus et Bayard ont cette remarque lumineuse :

    « Quoique plusieurs des loix qu’on a citées sous le paragraphe précédent, semblent supposer que les cas où les appels comme d’abus doivent être reçus, sont fixés par les ordonnances […] la vérité est néanmoins qu’il n’existe pas d’ordonnance dans laquelle les cas où il y a lieu à l’appel comme d’abus soient spécifiés ».

    De ce fait, l’appel comme d’abus s’applique à des matières extrêmement diverses dont le dénominateur commun est la résistance à une forme d’autorité, et notamment à celle des évêques et du pape. Ce que les évêques perçoivent bien, dès le début du XVIIe siècle, dénonçant par exemple à l’assemblée du clergé de 1605 les « abusives appellations comme d’abus ».

    Mais sur ce point, on note une évolution importante : l’extension du domaine de compétence de l’appel comme d’abus, qui en vient à traiter des matières purement spirituelles, qu’il s’agisse de censures canoniques (excommunication) ou de l’administration des sacrements, question se pose de manière paroxystique au moment de la querelle des refus de sacrements.

    La complexité de la définition et l’absence de législation d’ensemble sur le contenu de l’appel comme d’abus invitent à s’interroger sur la diversité des situations qui amènent à recourir à cette procédure, afin d’esquisser une typologie. [à suivre…]

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    https://aca.hypotheses.org/246/feed 0
    Journée d’étude du 11 décembre 2015 https://aca.hypotheses.org/230 https://aca.hypotheses.org/230#respond Mon, 23 Nov 2015 09:42:11 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=230 consultez le programme

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    Soutenance d’HDR – Véronique Beaulande https://aca.hypotheses.org/234 https://aca.hypotheses.org/234#respond Sat, 21 Nov 2015 09:51:22 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=234 Continuer la lecture ]]> Véronique Beaulande-Barraud soutiendra son dossier d’Habilitation à diriger des recherches, portant sur

    Justice(s) d’Église. Excommunication, officialités, pénitence

    le samedi 5 décembre, à 14h30, à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense (salle des thèses, bâtiment B).

    Le mémoire inédit présenté dans ce dossier porte sur

    Les cas réservés en Occident, XIIIe-XVe siècles. Juridiction épiscopale, hiérarchie ecclésiale et pénitence.

    Le jury est composé de :

    M. Franck Collard, garant, professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense.

    Mme Isabelle Heullant-Donat, professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université de Reims Champagne-Ardenne.

    M. Martin Ingram, Associate Professor of Modern History, Université d’Oxford.

    Mme Corinne Leveleux-Teixeira, professeur d’histoire du droit à l’Université d’Orléans.

    M. Julien Théry, professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université Lyon Lumière.

    Mme Catherine Vincent, professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense.

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    Recherches sur l’appel comme d’abus chez les dominicains de l’époque moderne https://aca.hypotheses.org/186 https://aca.hypotheses.org/186#respond Wed, 22 Apr 2015 19:30:52 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=186 Continuer la lecture ]]> (Ce billet reprend les grandes lignes de l’exposé que j’ai fait dans le cadre du séminaire ACA de Novembre 2014)

    C’est dans le cadre d’une thèse consacrée à l’ordre dominicain que j’ai eu l’occasion de rencontrer la procédure d’appel comme d’abus. Il serait trop fastidieux de rapporter ici toutes les sources de ce travail mais on pourra insister sur deux catégories de sources faisant état du droit dominicain. La première est constituée d’ouvrages tels que Constitutiones, declarationes et ordinationes capitulorum generalium sanctis ordinis praedicatorum ab anno MCCXX usque ad MDCL emanatae… digestae atque evugaltae du dominicain italien Vincentio-Maria Fontana et la seconde par l’édition des actes des chapitres généraux, à savoir le tome VII du titre XII des Monumenta ordinis fratrum praedicatorum historica, publiée par l’institut historique des frères prêcheurs à partir de 1896. Dans la première forme de diffusion du droit dominicain, l’ouvrage se présente comme un répertoire : les dispositions sont sélectionnées et organisées par thèmes. Dans la seconde forme, les actes sont présentés in extenso et on les consulte suivant la chronologie des chapitres généraux. J’ai par ailleurs consulté de nombreux factums, essentiellement à la BNF : il s’agit alors de documents, de pièces qui s’intègrent dans une procédure et qui ont été publiées à cette occasion. C’est une source très riche qui renseigne sur les arguments déployés et sur le discours juridique, dans le cadre d’une affaire particulière.

    Révision des positions
    Au cours de ces recherches, j’ai croisé la procédure d’appel comme d’abus et j’ai été amenée à réviser l’idée que je m’en faisais. J’envisageais en effet volontiers cette procédure dans le cadre d’une confrontation entre la juridiction ecclésiastique et la juridiction séculière ; je m’attendais donc à croiser un juge séculier évaluant si, et si oui dans quelle mesure, la juridiction ecclésiastique avait entrepris sur la juridiction temporelle ; la juridiction s’entendant ici non seulement des entreprises des juges mais aussi des entreprises de ceux qui disent le droit.
    Cependant, l’exemple dominicain permet de constater que la procédure est utilisée par les religieux dans un contexte très différent. Ce contexte, c’est la réforme de l’ordre dont le discours s’articule autour d’un retour à l’observance rigoureuse de la Règle et des Constitutions. Or, ce retour à l’observance est paradoxalement servi par une production normative considérée comme une source de nouveautés insupportables et, d’un point de vue juridique, abusives.
    Nous avons ici une confrontation entre des normes de même nature mais de temporalité différente : une nouvelle norme vient restaurer une ancienne norme, remettant en question la pratique contemporaine. Cette pratique intermédiaire, souvent fondée sur un privilège, est plus fragile juridiquement que la norme ancienne, la constitution primitive, la Règle et de ce fait, l’argument juridique des religieux français ne tient pas vraiment. Mais la procédure de l’appel comme d’abus n’est pas une procédure comme les autres : elle tient du juridique et du politique.
    Cette dimension politique est ici originale car toutes les normes évoquées sont internes à l’ordre. Le juge séculier est alors censeur du droit dominicain via la procédure d’appel comme d’abus. L’autre originalité se trouve dans la position royale. L’évocation en cas d’appel comme d’abus ou une validation a priori des normes de réforme par le roi tendent à empêcher la réception des appels comme d’abus ou à en annihiler les effets. Force est de constater qu’en matière de réforme religieuse, la procédure d’appel comme d’abus peut desservir la politique royale. Ainsi s’est brouillée ma vision manichéenne de l’appel comme d’abus qui plaçait l’Église d’un côté et l’État royal de l’autre.

    Appel comme d’abus et réforme
    La procédure d’appel comme d’abus est nourrie par l’opposition à la réforme. Elle constitue un outil procédural au service d’un objectif plus général, d’une contestation plus profonde. Elle opère comme un ressort technique : le juridique, par le truchement d’une procédure, vient ici offrir une armature à la contestation interne à l’ordre.
    Je reprendrai ici l’exemple de la réforme de Rouen, au milieu du XVIIe siècle, qui occasionne de nombreuses procédures dont un appel comme d’abus contre une patente du maître général dont l’objet était de limiter le choix du prieur à un religieux réformé de la congrégation de Bretagne. Si le principe juridique invoqué devant la juridiction séculière est le principe canonique de l’élection libre du supérieur religieux, en réalité, le conflit porte sur une autre question : il s’agit pour les religieux d’éviter leur intégration dans la congrégation réformée. L’argument de la protection des privilèges et des principes canoniques sert à repousser la réforme. On s’abrite derrière les libertés de l’église gallicane, on agite le spectre du maître général étranger pour mieux échapper à la réforme, c’est-à-dire pour conserver quelques biens, rester dans des chambres individuelles, continuer de manger gras au lieu de maigre, profiter de dispenses illégitimes, etc…

    Vocation de l’appel comme d’abus
    L’affaire du religieux Jean Coutard contre son couvent du Mans, évoquée dans les Œuvres de D’Aguesseau, permet de considérer la procédure dans sa véritable vocation. Après 14 années de vie conventuelle, un chapitre provincial refuse de reconnaître la profession tacite d’un religieux épileptique qui, à l’occasion d’un appel comme d’abus, conteste la sentence devant le parlement. La procédure trouve ici son emploi légitime, sa vraie vocation : un religieux, sujet du roi, fait appel devant le juge séculier d’une mesure abusive prise par la juridiction de son ordre. Ici d’ailleurs, les droits en concurrence sont mis de côté : ni le droit royal, ni le droit dominicain ne servent de motifs à la décision qui semble suivre les arguments de D’Aguesseau fondés sur l’équité et l’intérêt public.

    Questionnements et recherches :
    Cet état de mes recherches ne permet aucune conclusion définitive mais permet de tracer des pistes intéressantes pour la suite de la réflexion : Comment est employé l’appel comme d’abus par les dominicains ? Quelle est la proportion des procédures contre la réforme ? Et les autres ordres religieux ? L’emploi de la procédure est-il comparable ? Quelle est l’efficacité de l’appel comme d’abus? Comment est-il construit, quel argumentaire contient-il? Comment est-il reçu?

    Mes travaux sur la question :
    Ninon Maillard, « Les procédures d’appel comme d’abus des dominicains de France », dans P. Arabeyre et B. Basdevant-Gaudemet (dir.), Les clercs et les princes. Doctrines et pratiques de l’autorité ecclésiastique à l’époque moderne, Paris, École des Chartes, coll. « études et rencontres de l’École des Chartes » 41, 2013, p. 213-225.
    Ninon Maillard, Droit, réforme et organisation nationale d’un ordre religieux en France : le cas de l’ordre des Frères prêcheurs (1629-1660). thèse soutenue à Toulouse en octobre 2005, en cours de publication aux Éditions du Cerf sous le titre Réforme religieuse et droit. La traduction juridique et structurelle du retour à l’observance : le cas des dominicains de France (1629-1660).

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    Remarques sur le gallicanisme de Bossuet https://aca.hypotheses.org/178 https://aca.hypotheses.org/178#respond Wed, 15 Apr 2015 17:56:03 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=178 Continuer la lecture ]]> Cinthia Meli, « Le Sermon sur l’unité de l’Église de Bossuet et son interprétation », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 100 (2014), p. 319-332.

     Auteur d’une thèse de littérature intitulée Le Livre et la Chaire. Les pratiques d’écriture et de publication de Bossuet publiée en 2014, Cinthia Meli est une spécialiste reconnue de l’œuvre de Bossuet. Le présent article propose une analyse de la théologie de l’Aigle de Meaux. L’objet de ses réflexions est le célèbre Sermon sur l’unité de l’Église toujours lu comme un monument de l’ecclésiologie gallicane dont l’historienne entreprend de montrer qu’il est tout aussi éloigné d’un ultramontanisme fervent que d’un gallicanisme extrême.

     Tributaire d’une historiographie dominée par la figure d’Aimé-Georges Martimort, Cinthia Meli ne peut faire l’économie d’un regard contextualisé sur son grand livre Le Gallicanisme de Bossuet. Ce dernier entend mettre en évidence que la théologie de Bossuet est beaucoup plus complexe que ce à quoi l’ont résumé les travaux du XIXe siècle. Toutefois, Martimort ne peut s’empêcher de formuler un jugement parfois sévère sur les écrits de l’évêque qu’il décrit comme maladroit, peu au courant des arcanes de la diplomatie, le portrait est très ambivalent. Analysant avec subtilité les interférences entre la spiritualité de l’historien et le contexte de rédaction de l’ouvrage, Cinthia Meli arrive à la conclusion que son livre apporte autant sur une lecture de Bossuet que sur la façon dont le sermon peut être lu au milieu du XXe siècle. C’est cette image biaisée que l’historienne essaye de relativiser.

     Prononcé au moment de l’ouverture de l’assemblée extraordinaire du clergé de 1682, le Sermon sur l’unité de l’Église est le résultat de multiples réflexions et entretiens avec l’archevêque de Reims, Charles-Maurice Le Tellier. Celui-ci entend faire de ces réunions épiscopales une sorte de concile national ayant des compétences à la fois ecclésiologiques et dogmatiques, s’éloignant ainsi des prérogatives actuelles de ces assemblées quinquennales. Seulement, l’Aigle de Meaux prend l’initiative d’écrire directement au cardinal d’Estrées, représentant du roi à Rome. Sa longue lettre a un double objectif : d’abord de montrer que ses confrères sont d’accord avec lui et ensuite d’expliquer à l’ambassadeur les ressorts de l’argumentation du discours afin, si besoin, de les clarifier auprès de la curie. De plus, Bossuet proteste de sa parfaite soumission envers le Saint-Siège et espère que d’Estrées présentera une version modérée des libertés de l’Église gallicane.

     Pour Cinthia Meli, la question centrale de la publication de ce prêche conjointement à Paris et dans la Ville éternelle est celle de la modération. Le prédicateur se place en butte contre les thèses gallicanes extrêmes des parlementaires et défend constamment l’union traditionnelle entre la couronne capétienne et le Saint-Siège. Selon l’historienne, ce sermon serait un moyen de proposer une voie moyenne pouvant satisfaire à la fois un pape qui voit l’indépendance de l’Église de France d’un mauvais œil et un monarque qui cherche à la promouvoir. Bossuet cherche à doter l’assemblée d’un rôle ecclésiologique nouveau lui permettant d’intervenir dans le débat avec Rome sur l’affaire de la Régale. Le seul biais pour parvenir à ce résultat est d’exalter la mission des évêques et de rappeler au souverain pontife qu’ils sont ses conseillers directs, fidèles et surtout qu’ils disposent des mêmes compétences ecclésiales, même si c’est à un degré inférieur.

    L’article s’achève sur un constat d’échec relatif. La modération prônée par Bossuet ne satisfait personne et il faut attendre 1693 pour que les relations entre les deux cours se normalisent. Sur le plan ecclésiologique, en revanche, le succès a été meilleur. L’assemblée de 1682 a bien agi pendant quelques mois comme un corps politique doté de compétences doctrinales. La réussite essentielle du sermon de l’évêque est d’avoir permis à l’assemblée du clergé d’obtenir un fondement sacré qui lui faisait défaut. À l’origine purement administrative et financière, elle devient avec l’Aigle de Meaux une émanation de l’Épouse mystique du Christ, la représentation d’une partie de la catholicité en communion avec le siège de Pierre.

     Au final, cet article apporte beaucoup sur l’opposition ecclésiologique entre Rome et Paris. Il permet de saisir comment un texte peut être reçu de façon totalement différente selon les présupposés des destinataires. Il est bon malgré tout de compléter la lecture de ce travail par l’étude, tout aussi stimulante, de Sylvio Hermann De Franceschi intitulée « Bossuet ultramontain. Le Centre et l’unité de l’Église : saint Pierre dans l’œuvre bossuétienne » (Bulletin des Amis de Bossuet, n° 36, 2009, p. 14-35) qui souligne à quel point, celui qu’on présente comme le maître du gallicanisme est en fait pétri de soumission pour le Saint-Siège. Son analyse permet, en passant par les fondements scripturaires de l’œuvre de Bossuet, de souligner la force de la dévotion pétrinienne chez le prélat. D’après Sylvio Hermann De Franceschi, c’est également un moyen d’exalter la fonction épiscopale qu’il place au centre de son argumentation ecclésiologique. Seule l’union des évêques au siège romain permet de garantir l’unité de l’Église apostolique.

     Par le recours à l’historiographie, Cinthia Meli et Sylvio Hermann De Franceschi arrivent à mettre pleinement en lumière la complexité du traitement de la question gallicane dans ses dimensions théologiques, dogmatiques et ecclésiologiques. Le gallicanisme de Bossuet n’est pas autant évident qu’il y paraît d’abord et nécessite une étude renouvelée de cette problématique centrale à l’époque moderne.

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    Les réguliers et la procédure d’appel comme d’abus : le cas des récollets, 1695-1710 (3e partie) https://aca.hypotheses.org/159 https://aca.hypotheses.org/159#respond Mon, 06 Apr 2015 16:21:06 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=159 Continuer la lecture ]]> Dans le deuxième billet concernant l’étude de cas consacrée aux récollets, j’avais poursuivi l’analyse en montrant comment, à partir de 1701, les récollets saisissent eux-mêmes le procureur-général du parlement de Paris pour se plaindre de ne pas pouvoir, dans les nouveaux statuts (ceux de 1698 donc), recourir à la procédure d’appel comme d’abus. Mais après examen du président du parlement, Achille III de Harlay, l’affaire en reste là. Pourtant, ce n’est pas la fin de l’histoire comme en témoigne ce dernier billet.

    III- Le point de vue de la monarchie.

    1/ Le contexte

    Du côté des franciscains. En vue du chapitre qui doit se tenir l’année suivante, le définitoire dionysien se réunit le 23 avril 1706 pour établir une liste de plusieurs frères susceptibles de présider le chapitre. Cette liste, avec en tête le P. Bruno Ranouïl (provincial d’Aquitaine), est proposée au ministre général à Rome qui l’approuve et envoie donc une commission au provincial d’Aquitaine.

    La commission arrive en France en avril 1707 et c’est à ce moment-là que les problèmes commencent. Pour une partie des frères, « il y avoit plusieurs raisons d’empescher cette nomination ». C’est pourquoi le 8 avril 1707, deux frères, Florent Rochery et Dieudonné Berthelin, déposent une opposition devant le procureur général du parlement. Les frères dénoncent un « défaut d’homologation » : la commission n’est pas revêtue de lettres patentes et n’a donc pas été enregistrée par le parlement.

    On peut s’étonner de cette attitude, particulièrement procédurière. En tout cas, les frères ont bien retenu la leçon de l’épisode de 1695. Ils viennent chatouiller le parlement là où il est particulièrement sensible. Ceci dit, l’affaire est encore plus complexe qu’il n’y paraît puisque les frères ne contestent pas seulement la légitimité du P. Ranouïl. D’autres documents, extrêmement nombreux, nous apprennent que leurs plaintes concernent sept points. En 1707, la province dionysienne est traversée par une crise particulièrement aiguë puisqu’elle touche tous les domaines, aussi bien temporel que spirituel.

    Coup de théâtre : entrée en scène du roi et l’arrêt du 31 mai 1707

    C’est sans doute en raison de la gravité de la crise que se produit au mois de mai 1707 un coup de théâtre avec l’entrée en scène d’un nouvel acteur : le roi et son Conseil. En effet, le 31 mai 1707 – soit avant la tenue du chapitre – le Conseil du roi prend un arrêt :

    Le Roy estant informé qu’il s’est meü diverses contestations parmy les Relligieux Recollez de la province de France, au sujet des nouveaux et derniers statuts de leur ordre, de l’élection des supérieurs majeurs, de la disposition des aumones et meme des observances particulières et disciple [sic] intérieure lesquelles contestations tendent à troubler la paix et l’union qui doivent estre entre lesdits relligieux et favoriser le relaschement qui pourroit s’estre introduit dans cet ordre que S[a]M[ajesté] honore d’une protection particulière, et voulant faire cesser ces contestations, et meme les prevenir par les voix les plus courtes, et les plus efficaces S[a]M[ajesté] estant en son Conseil a commis et commet le sieur Cardinal de Noailles, archevesque de Paris duc de Saint-Cloud, Pair de France, commandeur de ses ordres, les sieurs de Ribeyre Voisin et de Harlay Consers ordinaires en son Conseil d’Estat, et le Pere de la Chaise, jesuitte, confesseur de S[a] M[ajesté], pour entendre les supérieurs dudit ordre des Recollez, les autres Relligieux qui auront des plaintes ou contestations a former en quelque sorte et manière que ce soit, et sur le tout donner leurs avis a S[a]M[ajesté] pour estre ensuite par elle ordonné ce qu’il appartiendra, faisant deffences tant aux supérieurs qu’autres Relligieux de se pourvoir pour raison de leurs contestations que pardevant les dits sieurs commissaires.

    2- L’évocation et la nomination d’une commission : un contournement du parlement ?

    Le roi décide donc d’exercer dans cette affaire sa justice retenue : par la nomination d’une commission, il évoque l’affaire à sa personne, pour la juger lui-même en son Conseil. En termes plus explicites encore, le roi retire à lui l’affaire pendant au parlement pour en confier l’examen à son Conseil des parties. Faut-il s’étonner de cette évocation ?

    Rappelons que dans son étude sur les parlements au temps de Louis XIV, Albert N. Hamscher a battu en brèche l’idée selon laquelle les relations entre le Conseil du roi et les cours supérieures auraient été très conflictuelles.

    Il a montré, au contraire, que le Conseil des parties a eu le souci de ménager les intérêts matériels et moraux de la grande Robe, de normaliser ses rapports avec elle et de se montrer aussi conciliant que possible, notamment en limitant les procédures de cassation et d’évocations. Plus particulièrement, les évocations générales – dont certaines communautés religieuses bénéficient et contre lesquelles les parlements ont véhément protesté entre 1656 et 1660 – disparaissent à peu près complètement.

    Dans ce contexte, l’intervention soudaine de la monarchie dans l’affaire des récollets paraît légitimement surprenante. La nature même du conflit ainsi qu’une attention fine à la chronologie peuvent sans doute apporter des éléments d’explication.

    En effet, à cette date le roi et les magistrats sont divisés sur la question janséniste : tandis que le roi veut en finir avec les disciples de Quesnel quitte à s’allier avec le pape – tant décrié vingt ans plus tôt dans l’affaire de la régale –, le parlement soutient pour sa part les jansénistes non pas tant parce que les magistrats sont eux-mêmes jansénistes que par gallicanisme ou anti-romanisme.

    Le premier rebondissement janséniste, après la « paix de l’Église » de 1669, a lieu avec la bulle Vineam Domini du 16 juillet 1705, fulminée par Clément XI au sujet du Cas de conscience, qui n’est pas sans heurter l’épiscopat français.

    Dans l’affaire des récollets où il est indirectement question des relations avec Rome, le roi juge sans doute plus sûr et moins périlleux en tout cas d’éviter l’intervention du parlement. Ce sont donc bien les relations entre le pape, le roi et le parlement qui sont au cœur du problème et qui expliquent le recours de Versailles à l’évocation.

    La commission nommée par le roi est composée de cinq membres : l’archevêque de Paris, Louis-Antoine de Noailles, le confesseur du roi, le jésuite de La Chaise trois conseillers d’État : « Ribeyre Voisin et Harlay » qu’on peut identifier comme Antoine de Ribeyre, Daniel-François Voysin et Achille IV de Harlay, fils de l’ancien président Achille III de Harlay.

    La commission doit écouter les deux parties – les frères rebelles comme les supérieurs – afin de rendre ensuite un avis au roi qui jugera en dernier ressort. À en croire les très nombreux mémoires produits par les deux parties ainsi que les rapports des commissaires nommés par le roi, la commission accomplit son travail avec un zèle exemplaire.

    3/ Le rapport de la commission et l’arrêt du Conseil

    À l’été, se tient le chapitre provincial qui ne peut manquer de mettre la question des statuts au programme pour faire taire les contestations. Mais à la rédaction de nouveaux statuts le chapitre préfère une autre solution qu’il estime plus accommodante et pourtant étonnante : reprendre les statuts de 1684, c’est-à-dire ceux rédigés sous le provincialat de Hyacinthe Le Febvre et condamnés en 1695, tout en apportant des modifications, notamment celles exigées par le parlement dans son arrêt du 17 juin 1695.

    Mais, la solution ne satisfait ni les frères rebelles – qui contestent la légitimité de ce chapitre et ses décisions – ni la commission royale.

    La commission écrit d’ailleurs un rapport en 1708 pour présenter ses premières conclusions et suggère trois pistes pour sortir de la crise :

    1o Sur le rappel du P. Mathias à Paris […] les commissaires ne le jugent pas nécessaire pour 2 raisons : c’est le roi qui l’a exilé à Montmorillon ; il va exciter les divisions. […]

    2o L’on croit en second lieu qu’il est utile et meme necessaire qu’il plaise au Roy lors que le premier [sic] chapitre provincial des Recolets se tiendra de nommer des commissaires pour y assister de sa part. […]

    3o Les mêmes Commissaires verroient encore pendant ce Chapitre s’il seroit possible de faire accepter par toutes les provinces du Royaume dans une congrégation générale et pareille a celle tenue à Nevers en 1640 les nouveaux statuts redigez avec plus de soin que tous les precedens et confirmés par l’autorité de Sa Majesté. Cette rinformité [conformité] de règle produiroit sans doute un grand bien dans toutes les provinces ; mais si ce projet paroissoit trop étendu et trop difficile dans son execution par les obstacles que chaque province pourroit apporter a la reception de nouveaux statuts par un effet de leur attachement a leurs anciens statuts particuliers, du moins on pouroit les obliger de les faire confirmer par des lettres patentes qu’ils seroient tenus de faire enregistrer suivant l’usage du royaume et l’on pourroit avertir les Procureurs generaux des Parlements dans les ressorts desquels les provinces s’estendent d’avoir une attention particulière aux articles qui regardent le pouvoir de S[a]M[ajesté], l’autorité légitime des compagnies qui rendent la justice en son nom et par sa permission, les deffenses portees par les statuts de ces religieux d’avoir recours aux tribunaux de la justice seculiere, le pouvoir des evesques sur les religieux dans les cas de droit et dans le ministère de la prédication.

    Le rapport de la commission royale – qu’on peut très certainement attribuer à Achille IV de Harlay – ne laisse pas de surprendre par le degré d’interventionnisme qu’il prône. Il ne se contente pas d’obliger la province Saint-Denys à rédiger de nouveaux statuts, il exige la présence de commissaires royaux au chapitre, commissaires chargés d’examiner les statuts avec d’autres « experts » issus des rangs de l’Église. Surtout, l’idée suggérée ici n’est rien moins que celle d’imposer des statuts nationaux à l’ensemble des récollets français. C’est précisément pour cette raison qu’il est fait référence à 1640, seul moment dans l’histoire des récollets où un frère – Ignace Le Gault – joue le rôle de « vicaire national » de l’ensemble des récollets français près le Saint- Siège. L’expérience, bien qu’éphémère, reste un modèle pour les hommes du roi, qui souhaiteraient la généraliser et même aller plus loin.

    Le rapport final rendu par la commission au roi – et très certainement lui aussi rédigé par Achille IV de Harlay – est plus explicite encore :

    J’ose dire mesme qu’il faut estendre nos veues plus loin et porter le remède par tout où nous connoissons le mal : quand on l’auroit corrigé dans les statuts de la province de St Denis, il ne susbsisteroit pas moins dans les statuts de toutes les autres provinces, où les mesmes dispositions tirées du chapitre de Barcelone et des autres de l’Ordre par rapport à l’authorité des prélats, et à celle de la justice du Roy, et aux deffenses d’y avoir recours, s’y trouvent également.

    Ainsy je croy qu’il faut arracher la mauvaise semence partout où nous la trouvons, par tout où nous la connoissons ; il faut en remettant s’il est possible, la paix dans la province, tascher de l’asseurer dans les autres, aussy bien que la bonne doctrine, et essayer de rendre leurs statuts et loix uniformes, au moins pour ce qui regarde l’interest public. Je croirois qu’il faudroit pour cela les obliger dès à présent par vostre jugement à travailler à une nouvelle compilation de Règlements, et en charger six ou huict de ceux qu’on croiroit les plus instruits de leur Règle ; les obliger dans six mois de remettre ce projet entre les mains de tels commissaires qu’il plairoit au Roy de nommer pour cet examen, qui les communiqueroient à des Religieux d’autres Ordres et à des Séculiers instruits dans ces matières ; et y feroient de leur part les réflexions convenables.

    Le temps du chapitre approcheroit pendant cet examen ; on pourroit mesme l’advancer s’il estoit necessaire : non seulement les mesmes commissaires y assisteroient au nom du Roy, mais on y appeleroit des deputés des autres provinces, et ce seroit en quelque façon un chapitre de toute la nation de France. On les obligeroit d’y rapporter les statuts de toutes les provinces ; on y verroit les dispositions qui peuvent estre contraires à nos usages ; on les porteroit à embrasser une mesme compilation ; et pour cela, on leur ordonneroit d’avoir des procurations et des pouvoirs suffisans ; s’il y avoit des obstacles trop grands on se contenteroit de réformer ce qui seroit le plus abusif, ou l’on supplieroit le Roy de donner des ordres aux procureurs généraux de ses parlemens pour en procurer l’exécution.

    Ce n’est point une chose nouvelle et inusitée parmy eux que ces assemblées : ils l’ont pratiquée en 1640 dans la Congrégation générale tenue à Nevers ; dans une autre tenue à Paris en… [sic] où il y avoit des députés de toutes les provinces ; aussy appellent-ils les statuts qui y furent faits, statuts nationaux.

    S’ils les accepteroient, Sa Majesté authoriseroit et les statuts et leur acceptation par les lettres patentes, enregistrées en la manière ordinaire ; du moins ce seroit ceux qui auroient esté faits pour la province de St Denis ; et pour lors ils auroient une loix fixe et immuable, et l’on sera seur que dans leurs Règlemens il n’y aura rien qui soit contraire au bon ordre et à la discipline.

    Si l’authorithé des supérieurs est trop grande, s’ils en abusent, on trouvera en mesme temps les moyens de l’abaisser ; s’il y a du relaschement dans l’observance, des pratiques utiles à introduire ou à renouveler, on sera en estat de le faire après cet examen.

    La commission suggère ici de faire du prochain chapitre dionysien « un chapitre de toute la nation de France » dans le but de faire adopter par toutes les provinces récollettes les mêmes statuts. Indéniablement, on voit se dessiner en filigrane ce que réalisera cinquante ans plus tard la Commission des réguliers présidée par Loménie de Brienne.

    De fait, en 1770 se tiendra une « congrégation nationale » des récollets français qui adoptera des statuts nationaux.

    Pour l’heure, Achille IV de Harlay se montre prudent et sait la résistance que les récollets opposeront « par leur attachement à leurs anciens statuts particuliers. » C’est pourquoi il propose d’avancer par étapes en commençant par faire confirmer tous les statuts des différentes provinces récollettes par des lettres patentes que les parlements devront enregistrer. Harlay attend des parlements – et plus précisément des procureurs généraux – qu’ils saisissent cette occasion pour examiner de très près les statuts. C’est bien une petite méthode de pratique gallicane que Harlay propose ici.

    De ces propositions, le roi retiendra surtout la deuxième comme en témoigne l’arrêt du 23 juillet 1708 « portant que les récollets de la province Saint-Denys dresseront de nouveaux statuts. »

    Le roi dit « suivre les avis des commissaires selon lesquels il faut que les récollets fassent de nouveaux statuts dans un délai de 6 mois ; pour ce faire, les récollets nommeront neuf religieux approuvés par Noailles, les commissaires Ribeyre et Harlay, La Chaise qui examineront les nouveaux statuts. »

    Cet arrêt révèle que les récollets ont perdu la bataille des statuts. Il ne leur appartient plus de décider quand en rédiger de nouveaux. Par ailleurs, la procédure est surprenante : les récollets dionysiens doivent nommer neuf religieux approuvés par la commission royale qui examinera, in fine, les nouvelles constitutions. Le pouvoir royal contrôle donc toutes les étapes, depuis la nomination des frères chargés de composer les nouveaux statuts jusqu’à l’examen final en passant par leur validation par le chapitre de 1710. Cette procédure n’est pas sans rappeler ce qui se fera quelques années plus tard, entre 1727 et 1735, quand le roi nommera des commissaires pour assister aux chapitres généraux des oratoriens, des bénédictines du Calvaire ou des bénédictins de Saint-Maur (1733), commissaires chargés bien sûr de faire recevoir la bulle Unigenitus par les communautés appellantes.

    Quant au chapitre de 1710, son déroulement ne peut manquer de surprendre tant il va à rebours de tout ce que nous imaginions. Les récollets doivent informer la commission royale au cours des différentes étapes de la rédaction des statuts. On observe ainsi des navettes quasi quotidiennes entre le chapitre et les membres de la commission qui se transmettent les différentes versions des statuts. Les religieux soumettent les travaux du jour, annotés et commentés par Achille IV puis renvoyés.

    Mais ces statuts de 1710 rédigés sous le strict contrôle des hommes du roi au terme de nombreuses navettes, imprimés cinq ans plus tard, en 1715, ne signent pas pour autant la défaite des récollets. En effet, l’exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France réserve une surprise de taille. Il porte les stigmates au sens quasi littéral de ce conflit. Grâce aux marginalia, ces petites notes manuscrites ajoutées dans le livre, on apprend que l’exemplaire provient du couvent de Paris et surtout que la lecture des statuts au réfectoire commençait en haut de la première page et s’achevait précisément avant le « Traité III » intitulé « de la correction des moeurs » où il est question du droit des religieux à saisir les tribunaux séculiers. Mais les frères ne se sont pas contentés de censurer ce chapitre en ne le lisant pas au réfectoire, ils l’ont tout simplement bâillonné au sens propre du terme : sur la première et la dernière page du chapitre, on remarque des traces d’incision très précises qu’il suffit de suivre pour comprendre qu’on y glissait une petite bandelette de papier ou un ruban qui, passant de la première à la dernière page du chapitre, reliait toutes les pages du chapitre. Ainsi, il était matériellement impossible de lire les vingt pages de ce chapitre. Il est fort à parier que le parlement n’aurait guère apprécié la ruse…

     

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    Les réguliers et la procédure d’appel comme d’abus : le cas des récollets, 1695-1710 (2e partie) https://aca.hypotheses.org/148 https://aca.hypotheses.org/148#respond Wed, 01 Apr 2015 10:38:31 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=148 Continuer la lecture ]]> Dans le premier billet concernant l’étude de cas consacrée aux récollets, j’avais analysé une affaire qui se déroulait dans les années 1694-1698. Celle-ci montrait comment le parlement, à l’occasion de l’enregistrement de lettres patentes, se saisissait d’un conflit interne à l’Ordre. Le prétexte était tout trouvé pour examiner les statuts des religieux : ces statuts donnaient-ils la possibilité de recourir à la procédure d’appel comme d’abus ? Si le parlement finissait par enregistrer les lettres patentes, il avait tout de même obtenu entre temps l’interdiction des statuts en vigueur (ceux de 1684)… obligeant ainsi les récollets à rédiger de nouvelles constitutions. Les frères n’eurent pas le choix et, en 1698, ils publièrent de nouveaux statuts.

    Mais peu de temps après, l’affaire rebondit de manière inattendue : une partie des récollets saisit le procureur-général pour se plaindre des nouveaux statuts. Là encore, l’appel comme d’abus est au cœur du conflit.

    II- Le point de vue des religieux. Le recours des récollets gallicans au procureur général (1701)

    Du côté des récollets, il ne faudrait pas croire que les religieux forment un bloc pro-romain tentant de résister à l’intrusion des parlementaires. À la lumière des archives, cette opposition bipolaire ne tient pas. Si les parlementaires ne sont pas tous de farouches jansénistes, de même les récollets ne sont pas tous des partisans de l’absolutisme pontifical.

    Ainsi, en 1701 ce sont des frères (une minorité certes) qui décident de saisir eux-mêmes le procureur général du parlement pour contester leurs propres statuts, il est vrai quelque peu dissuasifs en matière d’appel comme d’abus. Si coopération il y a, n’existerait-elle pas plutôt entre certains religieux et le parlement quand convergent leurs intérêts ?

    Nous voici en 1701. Cette année-là, à l’occasion du chapitre provincial, de nouveaux statuts sont rédigés. En effet, certains frères exigent de « réformer » les statuts de 1698, en ajoutant notamment des articles qui auraient été « omis . »

    Mais – et c’est précisément là que l’affaire devient intéressante – les frères qui demandent la révision des statuts se tournent non vers leur provincial mais vers le procureur général du parlement de Paris, M. d’Aguesseau, à qui ils adressent un mémoire. Deux questions méritent alors d’être posées : pour quelles raisons des frères contestent-ils les anciens statuts ? Et pourquoi l’affaire est-elle portée devant le procureur général ?

    À la première question, les sources apportent un premier élément de réponse :

    « Il est à remarquer […] que c’est à la demande du père Mathias Le Clerc que ces statuts [de 1701] ont été faits, luy seul les a proposés. » C’est du moins ce qu’explique une apostille du provincial Chérubin Le Bel, ajoutée à la suite du document par lequel le chapitre enregistre les modifications apportées aux statuts en 1701.

    Mais que reproche donc le frère Mathias Le Clerc aux statuts de 1698 ? Le provincial, bien embarrassé par ce frère rebelle, le précise :

    Il demanda […] que l’article 6e du chapitre septième des statuts fut supprimé [sic] parce que [cet article] disoit que nous estions obligés aux bulles ; or dit le père Mathias, les bulles défendent de recourir aux tribunaux séculiers […] ; on luy a répondu que l’on estoit obligé aux bulles receues dans ce royaume seulement et non pas à celles qui ne sont pas receues, cela ne s’est iamais entendu autrement ; or le père Mathias ne dit pas et ne peut dire le contraire. Aussi dans son mémoire à M. d’Aguesseau (procureur général) […] il ne se plaint que de ce que l’on avoit pas fait une nouvelle édition. […] On n’a pas crû devoir faire une nouvelle édition, pour éviter les frais, on a crû que c’estoit assez que les articles omis fussent remis en vigueur par la délibération de tout le chapitre leüe et publiée dans les convens de la province.

    En 1701, il existe donc de vives tensions au sein de la province qui semblent opposer un frère gallican à ses supérieurs, plus romains. On peut d’ailleurs supposer que le frère Mathias Le Clerc, s’il est l’acteur principal de cette pièce, celui qui affiche haut et fort son gallicanisme, n’est pas seul.

    Dès lors, une question se pose sur le fond du conflit : la contestation du chapitre 7 des statuts est-elle légitime ou alors n’est-elle qu’un prétexte utilisé par certains récollets sachant qu’elle fera mouche auprès du procureur général ? En d’autres termes, les statuts de 1698 empêchent-ils réellement la procédure d’appel comme d’abus ?

    À n’en pas douter, l’article 6 du chapitre 7 vise à contourner – certes de manière très subtile tant cet article est confus – l’arrêt du parlement du 17 juin 1695 selon lequel les récollets doivent autoriser le recours aux tribunaux séculiers…

    Compte-tenu de la nature même de la plainte, il ne faut pas s’étonner que les récollets appelants n’utilisent pas les voies de recours internes et préfèrent se tourner vers le chef du parquet en se rendant directement à son hôtel particulier66. La démarche est d’autant moins surprenante que la défense des libertés de l’Église gallicane est une des prérogatives primordiales du procureur général.

    Ceci dit, le choix de porter l’affaire devant le procureur général révèle également que l’arrêt du 17 juin 1695 a eu une réelle influence sur une partie des frères qui comptent bien défendre leur droit de recourir à l’arbitrage du parlement.

    C’est ainsi que le conflit sur les statuts sort du cloître pour entrer dans l’enclos du palais de l’île de la Cité.

    Au final, comment se termine ce nouvel épisode ? « Monseigneur de Harlay, pour lors Premier président, a lui même examiné les statuts, il n’a pas jugé à propos d’y rien changer, et n’a pas trouvé les équivoques que le Père Mathias a imaginées » signale le provincial dans son billet. Cette année-là, l’affaire en reste donc là ; le parlement ne saisit pas l’occasion pour rebondir. Mais c’est sans compter sur la pugnacité du frère Mathias qui six ans plus tard remet la question des statuts à l’ordre du jour.

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    Notes de lecture : appel comme d’abus et élections épiscopales à la fin du Moyen Âge https://aca.hypotheses.org/170 https://aca.hypotheses.org/170#respond Mon, 30 Mar 2015 16:33:45 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=170 Continuer la lecture ]]> Les travaux de Véronique Julerot portant sur les conflits autour des élections épiscopales en France à la fin du Moyen Âge abordent la question de l’appel comme d’abus dans ce contexte.

    « Y a ung grant desordre » : élections épiscopales et schismes diocésains en France sous Charles VIII, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, surtout aux p. 211-235.

    → « La concurrence entre justice royale et justice ecclésiastique : le cas des procès de confirmation des élections épiscopales sous le règne de Charles VIII, des cités aux Parlements », dans Fourniel B. dir., La justice dans les cités épiscopales, du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime, Toulouse, Presses de l’Université de Toulous I Capitole, 2014, p. 263-270.

    Véronique Julerot souligne notamment que la Pragmatique Sanction de Bourges de 1438, en prévoyant qu’il était de la responsabilité des juges, tribunaux et parlements royaux de la faire respecter, a permis le développement de la pratique de l’appel aux Parlements (sont cités ceux de Paris, Bordeaux et Toulouse) lorsqu’une élection épiscopale est contestée. Le conflit donnant lieu à l’appel se noue autour de la confirmation de l’évêque nouvellement élu. Cette confirmation doit être effectuée par le supérieur de l’élu, i.e. l’archevêque dans la plupart des cas, par le biais d’une sentence judiciaire ; mais elle appartient également, depuis la Pragmatique, à la « loi de l’État » (Guillaume Benoît, cité d’ap. Arabeyre P., Les idées politiques à Toulouse à la veille de la Réforme, Tolouse, 2003, dans l’article référencé ci-dessus p. 264). Deux causes peuvent alors mener à un appel au Parlement : lorsque l’archevêque déclare l’élection nulle (infirmation) ; lorsqu’il refuse de prononcer une sentence, qu’elle soit d’infirmation ou de confirmation. Dans les deux cas, c’est l’élu non confirmé qui fait alors appel « comme d’abus » – le terme étant explicitement utilisé – à un Parlement. Les archevêques peuvent également faire appel quand il y a débat sur l’identité de celui qui doit les confirmer – la procédure de confirmation de l’archevêque étant âprement disputée entre ses suffragants, le pape ou le primat). Ce sont quatorze appels de ce type qui ont été recensés pour le règne de Charles VIII (12 au Parlement de Paris, 2 à celui de Bordeaux, 2 à celui de Toulouse).

    Les juristes des parlements affirment clairement recevoir ces appels pour éviter que les affaires ne soient traitées à Rome : en ce sens, l’usage de l’appel comme d’abus dans ce contexte, lié à l’application de la Pragmatique, est clairement lié au gallicanisme naissant. La première intervention parlementaire repérée n’est d’ailleurs pas à strictement parler un appel : le Parlement de Paris a lui-même convoqué l’archevêque de Sens, en 1448, après que celui-ci ait remis la confirmation de l’évêque d’Orléans au souverain pontife. Aux yeux du Parlement, il s’agit bien d’un « abus », à l’encontre notamment de la Pragmatique, mais il n’y a pas ici de procédure d’appel. L’origine de la procédure d’appel comme d’abus dans ces conflits autour des élections épiscopales, procédure qui n’est déjà plus rare sous Charles VIII, est sans doute à rechercher dans cette défense, par les parlementaires eux-mêmes, des prérogatives de la justice royale et de leur rôle dans le respect de la loi du royaume qu’est la Pragmatique.

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    Les réguliers et la procédure d’appel comme d’abus : le cas des récollets, 1695-1710, (1ère partie) https://aca.hypotheses.org/136 https://aca.hypotheses.org/136#respond Mon, 23 Mar 2015 15:21:38 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=136 Continuer la lecture ]]> Lors de la séance du 12 janvier 2015 du séminaire, j’ai poursuivi la réflexion entamée par Ninon Maillard (les dominicains) et Bertrand Marceau (les cisterciens) sur la manière dont les réguliers mobilisaient dans le royaume l’appel comme d’abus. Mon analyse porte sur le cas des récollets, entre les années 1695 et 1710. Cette étude a pour point de départ la découverte d’un fonds d’archives constitué par plusieurs générations de parlementaires, dans lequel la procédure d’appel comme d’abus est particulièrement importante. Je vous propose de revenir sur les principaux éléments de cette communication, sous la forme de trois billets. En voici le premier.

    Le fonds en question (près de 520 volumes) est extrêmement riche, mais d’une hétérogénéité vertigineuse : on y trouve des pièces originales de la correspondance des parlementaires avec les plus grands personnages du royaume, des manuscrits divers relatifs à l’histoire de France et surtout au droit public, des copies d’arrêts du Conseil, des extraits de débats parlementaires. À l’intérieur de chaque volume, il est parfois difficile de déceler une logique de classement.

    Cependant, une exception mérite d’être signalée au sein de ce vaste fonds : les 18 volumes consacrés aux ordres religieux, qui forment un sous-ensemble cohérent et gardent la mémoire d’affaires relatives à des ordres religieux traitées par le parlement de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles.

    Cet ensemble de 18 volumes recrée pour ainsi dire une véritable scène de théâtre. L’action se déroule alternativement dans trois types de décors : le cloître des religieux, le Palais de la Cité et Versailles, entre les années 1695 et 1710 et, sur cette scène, trois acteurs se donnent la réplique :

    1- le parlement de Paris, lui-même composé d’une part de “Messieurs” du Parlement (les juges proprement dit) et d’autre part des “gens du roi” qui forment le “parquet” et qui sont chargés de parler au nom du roi, au premier rang desquels le procureur général et l’avocat- général.

    2- les ordres religieux et plus précisément ici les récollets de la province Saint-Denys sur lesquels se concentre cette étude.

    3- la monarchie représentée ici par le Roi et son Conseil (mais pas seulement).

    Sur le fond, les 18 volumes relatifs aux religieux amènent à étudier les rapports triangulaires entre la monarchie, le parlement de Paris et les réguliers durant les deux dernières décennies du règne de Louis XIV. Les archives révèlent que deux types de procédure font l’objet d’un débat entre ces trois acteurs : l’enregistrement des bulles et des brefs qui viennent de Rome d’une part et l’appel comme d’abus d’autre part. L’enjeu de ces différentes affaires porte donc sur la défense de la souveraineté du roi et des privilèges et « libertés de l’Église gallicane ». Point intéressant, les sources donnent à voir non pas un mais des gallicanismes : selon qu’il vient du roi, du parlement de Paris, ou d’une partie des récollets, le gallicanisme s’exprime de manières différentes. C’est pourquoi j’ai pris le parti d’essayer de démêler le point de vue de chacun des acteurs.

    I- Le point de vue du parlement de Paris. L’ingérence dans les statuts des récollets (1695)

    1- Les bruits de parlement sont encore de saison

    Dans les affaires relatives aux réguliers, la question est de savoir comment le parlement se positionne. La question est d’autant plus intéressante que Louis XIV, à partir de 1693, rompt avec sa politique anti-romaine et se réconcilie avec son ennemi d’hier. Dans ce contexte, comment le gallicanisme parlementaire peut-il s’exprimer ? Est-ce seulement possible quand on sait que le parlement ne dispose plus de son droit de remontrances préalables à l’enregistrement ?

    Un certain nombre d’affaires rappellent que dès qu’il s’agit de défendre la souveraineté du roi et les libertés de l’Église de France, le parlement peut se montrer plus royaliste que le roi. Mais jusqu’à quel point ?

    Dans le contexte qui est le nôtre, à savoir cette réconciliation entre Versailles et Rome, la question est donc de savoir si le parlement ne saisit pas les occasions qui se présentent à lui pour manifester son opposition. L’enjeu ici est de taille puisque les travaux d’Hamscher avaient contribué à sérieusement nuancer l’absolutisme louisquatorzien.

    L’un des moyens pour le parlement d’intervenir dans les affaires des réguliers et d’affirmer ses prérogatives est d’examiner les statuts des ordres religieux et, plus précisément, d’examiner si ces statuts permettent aux religieux des ordres exempts de faire appel à la justice du roi. C’est la raison pour laquelle la procédure d’Appel comme d’abus est au centre de toutes les discussions.

    2/ Le parlement et la bataille des statuts des réguliers : étude de cas, 1694-1695

    L’une des affaires récollettes, traitée par le parlement en 1695, apporte un début de réponse : c’est précisément quand il s’agit d’enregistrer un bref du ministre général de l’Observance, à Rome, que le parlement intervient pour la première fois. Le prétexte est tout trouvé pour examiner de près les statuts des récollets… et plus précisément la manière dont les religieux abordent la possibilité de recourir à la procédure d’appel comme d’abus.

    Voici le détail de l’affaire qui s’ouvre à l’hiver 1694-1695. À ce moment-là, le récollet Archange Enguerrand, figure importante de l’Ordre aussi bien pour ses fonctions que pour ses écrits spirituels,proteste et se plaint au ministre général à Rome d’un jugement rendu en 1686. À cette date, le chapitre de la jeune province Saint-Antoine en Artois, à Saint-Omer, avait condamné sa « mauvaise conduite » et l’avait privé de jouir des droits attribués aux pères de province.

    Des raisons de cette condamnation, on ne sait malheureusement rien si ce n’est que celle-ci engendra dix années d’exil au couvent de Ciboure. Seule certitude, l’affaire a dû opposer le P. Enguerrand et le puissant provincial dionysien, Hyacinthe Le Febvre. C’est donc très vraisemblablement la mort de ce dernier, en 1694, qui pousse le P. Enguerrand à faire appel neuf ans après le jugement.

    Par un bref du 11 janvier 1695, le ministre général de l’Observance – dont dépendent les récollets – donne une commission au P. Micault, provincial de Saint-Denys, « pour recevoir les procédures et juger la cause tout de nouveau. » Jusque-là rien de surprenant dans ce conflit interne à l’Ordre.

    Mais l’affaire prend une tournure inattendue quand, le 21 février 1695, le roi demande « aux gens tenants [sa] Cour de parlement de Paris […] d’enregistrer ledit Bref avec ces présentes [lettres d’attache] » pour rendre possible l’exécution de la commission donnée par le ministre général au P. Micault.

    Si, du point de vue du roi, l’affaire est bénigne et l’enregistrement ne doit pas poser problème, il faut reconnaître que le moment n’est guère propice pour présenter un bref romain à la cour souveraine au moins pour deux raisons.

    1) En effet, une partie des magistrats du parlement de Paris ne voit pas d’un très bon œil le rapprochement de Louis XIV et de la papauté après la mort d’Innocent XI en 1689 – rapprochement par lequel se règle une décennie de conflits. Dans ce contexte de changement de cap de la politique royale à l’égard du Saint-Siège, la frange la plus gallicane du parlement de Paris se montre particulièrement sourcilleuse dès qu’il s’agit de prérogatives romaines.

    2) Parallèlement, l’enregistrement du bref intervient au moment où le roi s’emploie à donner des garanties aux non moins gallicans évêques français, quitte à rogner un peu les prérogatives de ses parlements. Par son édit d’avril 1695, Louis XIV entend défendre ce qui reste des juridictions ecclésiastiques contre les empiétements des juridictions séculières.

    Au printemps 1695, la monarchie joue donc sur les deux tableaux et tente de sceller sa réconciliation avec Rome tout en rassurant l’Église gallicane. Dans le maintien de cet équilibre fragile, le parlement de Paris est un rouage essentiel : il peut appuyer la politique du roi comme jouer le rôle de trublion.

    C’est donc dans ce contexte que la cour souveraine, au lieu d’enregistrer le bref du ministre général de l’Observance, se saisit de l’affaire et prétend examiner la légitimité de la procédure. Le chapitre peut-il prendre un décret contre l’un de ses religieux ? Le frère qui conteste le jugement a-t-il le droit de faire appel au ministre général romain ? Qu’advient-il d’une décision du ministre général dans le royaume de France ?

    Pour répondre à ces questions, le parlement « a jugé à propos avant de rendre arrêts de demander le jugement prononcé contre le P. Enguerrand et les statuts de cet ordre pour voir quels sont les degrés de juridiction qui y sont établis. »

    Et d’ajouter : « À l’égard des statuts imprimés en 1684, et dont ces Religieux ont retiré tous les exemplaires, l’on ny a point trouvé l’establissement de cette voye de recours, que l’on put appeler au général du décret d’un chapitre. »

    L’affaire est complexe. Bien qu’il semble se placer du côté du religieux condamné, le parlement conteste la procédure à deux niveaux :

    – il n’est pas conforme de confier à un seul religieux – en l’occurrence ici le P. Micault – le jugement en appel d’une décision prise par un chapitre tout entier

    – et encore moins d’autoriser une voie de recours – celui du P. Enguerrand – au ministre général.

    En réalité, du point de vue du parlement, l’enjeu est double. Il s’agit tout d’abord d’empêcher que « des généraux d’ordre estrangers commet[t]ent des religieux seuls pour renverser par de telles commissions des choses plus justes qui avoient esté ordonnées par des chapitres provinciaux. » Derrière l’ingérence du ministre général, c’est également celle du Saint-Siège qui est visée La moindre intrusion de Rome est suspecte aux yeux du procureur général comme du premier président du parlement, lequel n’avait pas ménagé son zèle dans l’affaire de la régale.

    En outre, c’est bien la procédure d’appel qui retient l’attention du parlement et lui pose problème. C’est pourquoi ce dernier décide d’examiner de très près les statuts des récollets. Comment ces statuts ont-ils pu d’ailleurs passer entre les mailles du filet royal et parlementaire ? Comment ont-ils pu être imprimés sans « privilège du roi » ? L’imprimeur des récollets, Denys Thierry, devra venir s’en expliquer devant le parlement, note dans un mémoire le très suspicieux Achille III de Harlay.

    Le président Harlay et l’avocat général Lamoignon, scrutent le moindre paragraphe des statuts, et condamnent tout particulièrement un point :

    L’on (…) a trouvé (dans les statuts) une chose beaucoup plus importante qui est la défense qu’ils font (…) a tous les Religieux de cette Reforme, d’avoir recours aux tribunaux séculiers a peine d’excommunication réservée au pape a l’article de la mort, et de privation de voix active et passive et des offices de l’ordre et de la défense qu’ils font au mesme endroit d’avoir recours aux ordinaires a peine d’estre puni a l’arbitre des supérieurs.

    En d’autres termes, on reproche aux statuts de 1684, en cas de conflit, d’interdire le recours à l’évêque comme à la justice du roi, ce que confirme la lecture de ces statuts. On comprend le choc qu’a dû ressentir Harlay à leur lecture. Le premier président du parlement commente d’ailleurs dans son mémoire :

    Pour [ce] qui regarde la defence de recourir a la iustice du roy et a l’authorité des archevesques et evesques, il faut advouer que la disposition de ces statuts est conforme à quelques bulles. Mais il est certain en mesme temps qu’elles n’ont jamais eu lieu dans le royaume, et que toutes les fois que quelques religieux de l’ordre de St François dont les Recollets font partie ont osé faire paroistre de semblables statuts l’on en a empesché la publication et l’execution, comme estants contraires a la souveraineté du Roy et au droit que Sa Majesté a receu de Dieu soit de rendre ou de faire rendre iustice a tous ses sujets de quelque qualité qu’ils soient sans qu’aucun engagement les puisse tirer de cette premiere soumission que l’ordre de Dieu leur impose dans le moment de leur naissance.

    Et Harlay d’expliciter encore son point de vue : « Il ne doit pas estre permis a des Religieux françois d’avoir de tels statuts dans le royaume comme une nation particuliere et separée de ses autres sujets qui ne recognoist plus la justice de Sa Majesté . »

    L’analyse du premier président du parlement est particulièrement intéressante : un ordre religieux représente toujours le danger de se transformer en une « nation séparée », ou pour le dire plus explicitement encore, de faire entrer Rome dans le royaume. S’affirmer comme « religieux françois » devient donc le seul moyen pour des frères de prouver leur attachement à la monarchie. Et faire preuve de loyalisme, c’est accepter de s’en remettre à la justice du roi. La procédure d’appel comme d’abus est donc au coeur du débat. Si l’on suit le raisonnement de Harlay, la conclusion s’impose : « Il paroist necessaire d’empescher l’execution du nouveau statut de ces Recolets . »

    C’est précisément ce que fait le parlement par son arrêt du 17 juin 1695 : il ordonne l’enregistrement des lettres patentes du roi, rétablit Enguerrand dans tous ses droits, demande au P. Micault de juger conjointement avec deux docteurs de la Sorbonne, interdit les appels au ministre général tout en rappelant la légitime procédure d’appel comme d’abus, enjoint enfin aux récollets de présenter au roi les statuts imprimés en 1684 désormais interdits. Cet arrêt du parlement est un modèle de pratique gallicane : tout en enregistrant le bref, il impose au provincial récollet de rejuger l’affaire avec deux théologiens de la très gallicane Sorbonne ; surtout, il interdit les statuts et place l’appel comme d’abus au centre du débat.

    L’affaire de 1695 montre donc comment le parlement, à partir de l’enregistrement d’un bref romain, en vient à examiner les statuts récollets et plus particulièrement la procédure d’appel comme d’abus. Le parlement s’impose tour à tour face aux autorités romaines de l’Ordre en discutant la légitimité de la commission délivrée au P. Micault, et face aux autorités provinciales en ordonnant aux récollets de retirer de la circulation tous les exemplaires des statuts imprimés en 1684, à charge pour eux d’en composer de nouveaux. L’appel du P. Enguerrand, affaire au départ strictement interne à l’Ordre, offre l’occasion au parlement d’exprimer son gallicanisme.

    Les récollets n’ont pas d’autre choix que de s’atteler à la rédaction de nouveaux statuts. Ce seront ceux de 1698 qui, à la lumière de cette affaire, méritent d’être relus d’un œil nouveau. Indéniablement, ils portent la trace des tensions qui opposent ces années-là les récollets au pouvoir temporel. Et c’est bien dans le chapitre consacré aux « appellations » que l’intrusion du parlement est la plus manifeste :

    Quiconque auroit recours ou appeleroit aux tribunaux séculiers pour y être jugé, outre l’excommunication réservée au Pape si ce n’est à l’article de la mort, sera privé de l’un et l’autre suffrage, et des offices de l’Ordre et selon les decrets apostoliques, tenu inhabile à les exercer, ce qui se doit entendre selon les restrictions contenuës dans l’Arrest de Nos Seigneurs du parlement en datte du 17 juillet 1695, car pour les appels comme d’abus és cas de droit clairement énoncés par ledit Arrest, nous ordonnons de si [sic] conformer entierement.

    Dans cette affaire, le parlement se montre plus gallican que le roi lui-même et n’hésite pas à faire entendre sa voix tout en enregistrant le bref romain. Il intervient dans la politique des récollets en imposant la rédaction de nouveaux statuts et en jugeant la nature même de certains articles. En 1698, les constitutions des frères portent donc une empreinte gallicane forte. Tout semble rentrer dans l’ordre après la rédaction de ces nouveaux statuts, imprimés cette fois avec « privilège du roy. »

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    L’appel comme d’abus dans le Saint-Empire https://aca.hypotheses.org/126 https://aca.hypotheses.org/126#respond Thu, 19 Mar 2015 14:50:24 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=126 Continuer la lecture ]]> La séance du 10 mars 2015 se proposait de poser des premiers jalons permettant de mieux comprendre les interactions entre juridictions ecclésiastiques et juridictions séculières dans le Saint-Empire (moderne, dans un premier temps) et d’enrichir aussi, par comparaison, l’analyse de cette figure juridique qu’est l’appel comme d’abus dans le contexte français.

    Lorsqu’il tente d’étudier ce recours, l’historien se trouve d’abord confronté à un problème de définition, pour partie sans doute non spécifique au Saint-Empire.
    Premièrement, l’appel du jugement de l’officialité devant une juridiction séculière existe bel et bien dans le Saint-Empire moderne, mais sous des formes apparemment multiples. Ce recours n’est pas nécessairement formulé par les acteurs comme une appellatio ou un recursus ab abusu – c’est-à-dire un recours contre un abus (Missbrauch) perpétré par une juridiction ecclésiastique –, ce qui le rend difficile à repérer.
    Deuxièmement, la structure politique et juridique du Saint-Empire suggère d’emblée une alternative pour interjeter appel devant une juridiction séculière : appelle-t-on devant une juridiction territoriale ? ou bien, malgré des frais probablement plus élevés, devant l’un des deux tribunaux d’Empire (Conseil impérial aulique à Vienne, ou Chambre de justice impériale à Spire puis à Wetzlar) ?

    Ces questions préliminaires ne sont guère évoquées dans la seule étude qui traite, en allemand, spécifiquement du recursus ab abusu, en l’occurrence une thèse de droit soutenue par un théologien catholique au début du XXe siècle (E. Eichmann, Der Recursus ab abusu nach deutschem Recht mit besonderer Berücksichtigung des bayerischen, preußischen und reichsländischen Kirchenrechts, Breslau, 1903).
    Cette étude couvre la chronologie depuis le Moyen Âge jusqu’à la période contemporaine, au-delà même de la disparition du Saint-Empire. En réponse aux problèmes de définition formulés plus haut, l’ouvrage ne fournit aucune analyse satisfaisante :
    •  l’auteur ne définit en effet jamais ce qu’il entend par recursus ab abusu dans le Saint-Empire, expression qu’il emploie du reste concurremment – comme si elle était équivalente – avec celle de recursus ad principem ;
    •  de plus, pour la période moderne, il semble acquis pour l’auteur qu’en parlant de recursus ab abusu, c’est de l’appel de l’officialité devant les tribunaux impériaux dont il s’agit.
    Malgré ces défauts méthodologiques, l’étude est éclairante sur la théorisation de l’appel de la juridiction ecclésiastique vers la séculière par les juristes et théologiens modernes, ainsi que sur les modalités du recours aux tribunaux impériaux, en appel de jugements rendus par l’officialité (voir aussi, sur ce second point, la thèse de droit de H.Ch. Hafke, Zuständigkeit in geistlichen Streitigkeiten und konfessionelle Besetzung der höchsten Reichsgerichte nach dem Westfälischen Friedensschluss, thèse de droit, Frankfurt a.M., 1972).

    Outre son élaboration théorique par les contemporains et son fonctionnement pratique, ce type d’appel pose, dans le Saint-Empire comme en France, d’autres questions : comment interpréter la non-dénomination de ce recours, en dépit de son existence avérée ? Que révèle-t-il des relations entre les différentes juridictions, et des hiérarchies au sein même de l’Église ? À qui profite ce recours ? Existe-t-il un point de vue et/ou des pratiques confessionnel(le)s en matière d’appel comme d’abus ? Enfin, l’appel de la juridiction ecclésiastique devant un tribunal impérial n’est-il que l’un de ces phénomènes au travers desquels se manifeste l’interaction permanente entre les niveaux de pouvoir qui est à l’œuvre dans le Saint-Empire, ou bien est-il le marqueur d’autre chose ?

    Les encyclopédies allemandes de théologie catholique et protestante (Lexikon für Theologie und Kirche, 1993 ; Religion in Geschichte und Gegenwart, 1961 et 2004) et de droit (Handwörterbuch zur deutschen Rechtsgeschichte, 1990 ; Lexikon für Kirchen- und Staatskirchenrecht, 2004) offrent au XXe siècle une définition assez sommaire de l’appel comme d’abus.
    Les ouvrages consultés s’accordent sur son origine française tardo-médiévale, avec une réglementation progressive aux XVe et XVIe siècles. Ce recours serait fondé sur la non-compétence ou l’extension abusive de compétence de la juridiction ecclésiastique, ou encore sur l’illégalité des décisions de cette dernière. Si les théologiens protestants tissent un lien entre l’appel comme d’abus et le développement des libertés de l’Église gallicane, les juristes le rattachent plus largement à la supériorité territoriale du prince, ainsi qu’au devoir de celui-ci de protéger la communauté contre les abus de l’Église, et l’Église elle-même contre les intrusions de la Curie romaine. En dehors de la France, ce recours aurait été utilisé essentiellement en Espagne et aux Pays-Bas, mais de façon marginale dans les territoires « allemands » du Saint-Empire. Enfin, bien que plus nombreux contre l’officialité catholique, des appels comme d’abus contre des juridictions protestantes n’étaient pas impossibles (ex. évoqué lors de la discussion par A. Bonzon : appel comme d’abus devant le parlement de Bordeaux, d’une décision d’un consistoire protestant, en 1616, cité par Ch. Févret, Traité de l’abus…, Lyon, 1699, p. 93) ; sur ce sujet, quid du Saint-Empire ?
    En escamotant quelque peu la question pour le Saint-Empire, ces définitions récentes n’évoquent à aucun moment le niveau de juridiction séculière (territorial ou impérial) auprès duquel il est recouru. Théologiens comme juristes emploient par ailleurs les termes d’État et de souveraineté comme s’ils étaient opératoires dans n’importe quel contexte, ce qui est loin d’être une évidence pour une structure en millefeuille comme celle du Saint-Empire.

    Chez les théologiens et juristes modernes, le terme « appel comme d’abus » semble spécifiquement rapporté au cas français (voire au cas espagnol, avec la notion de recurso de fuerza). Aux Pays-Bas, le canoniste Van Espen (1646-1728) désigne ce recours par l’expression remedium cassationis, qui met l’accent sur le résultat de la procédure – la cassation du jugement de l’officialité – plutôt que sur la procédure elle-même (voir sur ce sujet en particulier les travaux de J. Hallebeek, C.H. van Rhee et B. Wauters). Ce recours est possible y compris contre des décisions pontificales qui contrediraient les canons de l’Église et les concordats, la législation du prince, les prérogatives de l’Église nationale ou les privilèges des états – on rejoint là la justification de l’appel comme d’abus formulée au xvie siècle dans les Preuves de l’Église gallicane (art. 79).
    La question qui mobilise plutôt les théoriciens modernes est celle, plus vaste, du recours au prince (ou recursus ad principem), basé sur trois principes : le caractère limité et purement spirituel du pouvoir ecclésiastique ; la nécessité du consentement du prince à la promulgation des lois ecclésiastiques (placet) ; le devoir du prince de garantir l’ordre public. Dans ce cadre, le prince est tenu de protéger le clergé contre des manquements éventuels des propres autorités ecclésiastiques (y compris à travers leur juridiction), et de défendre l’Église et ses canons, sans que cette protection aille à l’encontre du for ecclésiastique.
    La justification du recours au prince dans le Saint-Empire demande aussi de distinguer deux débats :
    • celui sur la juridiction ecclésiastique du prince territorial, tel qu’il se pose en particulier après 1648 (voir notamment Johann Jacob Moser, Grundriß der heutigen Staats-Verfassung des Teutschen Reichs, Tübingen, 1748, p. 503 et suiv.) ;
    • celui sur les pouvoirs de l’empereur en matière religieuse, qui légitiment un éventuel recours aux tribunaux impériaux contre une juridiction ecclésiastique.

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    Thèse de M. Deniel-Ternant : délinquance sexuelle du clergé et appel comme d’abus https://aca.hypotheses.org/124 https://aca.hypotheses.org/124#respond Wed, 18 Mar 2015 10:23:19 +0000 https://aca.hypotheses.org/?p=124 Continuer la lecture ]]> Le 10 février 2015, Myriam Deniel-Ternant a soutenu sa thèse intitulée “Ecclésiastiques en débauche. La déviance sexuelle du clergé français au XVIIIe siècle“, sous la direction de M. Cottret (Université Paris Ouest Nanterre).

    Au XVIIIe siècle, grâce aux efforts redoublés de l’Église post-tridentine, le clergé semble davantage formé, éduqué et moralisé, comme en atteste le topos littéraire du « bon prêtre ». L’étude d’un corpus de sources éclectiques, issues des archives de la Bastille, du parlement et de l’officialité de Paris, révèle la persistance d’un contingent non négligeable de membres déviants. Enjeux d’une surveillance multiforme de la part de leurs ouailles, de leurs pairs, de leur hiérarchie ou des instances policières, les ecclésiastiques contreviennent à l’impératif de chasteté en entretenant des relations ancillaires, sodomites et tarifées, de manière fortuite ou régulière. Outre la mise en lumière de leurs pratiques sexuelles et d’une géographie de la capitale tentatrice, la confrontation des sources souligne l’existence de plusieurs effets de seuils entraînant scandale, saisine de justice et répression, préalables indispensables à une réconciliation du corps social.
    Parmi les sources convoquées pour étudier cette déviance sexuelle, les officialités tiennent une place importante. Le clergé bénéficie en effet d’un privilège de for justiciel et en vertu de ce dernier, peut se prévaloir d’une justice particulière. Néanmoins, dans un contexte de consolidation monarchique, une situation peut donner lieu à une procédure conjointe, menée à la fois par l’officialité et  le pouvoir royal. Qualifié de “privilégié” en raison de sa gravité, un crime requiert la présence d’un juge laïque en plus du juge ecclésiastique. En effet, le juge ecclésiastique est limité à la prononciation de peines canoniques, contrairement au juge royal qui peut décider de peines afflictives ou infamantes. Dans le cas où cette double juridiction ne serait pas respectée, l’accusé peut interjeter un appel comme d’abus auprès du parlement de Paris, dont le ressort couvre près de la moitié du royaume. Si le parlement juge ce recours justifié, la connaissance de l’abus est renvoyée en matière criminelle à la Tournelle.
    Le corpus examiné permet d’une part l’élaboration d’une analyse sérielle de ces jugements en dernière instance, et d’autre part l’étude de cas du curé de Saint Eustache des Loges Charles Michel Durand, dont la demande d’appel suite au jugement rendu contre lui par l’officialité de Paris, le 24 juillet 1784, est déboutée.

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